Bénin: Pourquoi les trésors royaux restitués au pays ont été remis en caisses

La restitution, en novembre 2021, de 26 oeuvres volées par les colons français au royaume du Dahomey, dans l'actuel Bénin, a été célébrée comme un modèle. Mais ce trésor que les Béninois devaient enfin pouvoir admirer à nouveau chez eux a été remis dans des caisses, entreposées à la résidence présidentielle. Et le musée de Ouidah, qui devait l'exposer durant trois ans, n'est pas prêt à le recevoir.

En 2022, pendant 66 journées exactement, les 26 trésors royaux remis par la France au Bénin ont été l'attraction à Cotonou, la capitale économique du pays. Officiellement, 221 507 personnes ont visité le palais de la présidence de la République, spécialement aménagé pour accueillir l'exposition temporaire de ces oeuvres pillées 120 ans plus tôt par les colons français.

Après cela, les pièces royales devaient être les stars de l'ancien fort portugais réhabilité à Ouidah, à une trentaine de kilomètres de la capitale économique béninoise. Mais ils sont rangés depuis trois mois dans une réserve au palais de la Marina, la résidence officielle du président de la République Patrice Talon, pour on ne sait combien de temps. En effet, du 5 au 13 janvier 2023, les trois statues, les trois trônes, les quatre portes royales ont été minutieusement démontés des vitrines et déposés dans des caisses. Idem pour les quatre assens (autels portatifs), les trois récades (sceptres royaux), le tabouret royal, le sac gibecière, le métier à tisser, le fuseau ainsi que la calebasse à couvercle et l'uniforme d'amazone.

Le 10 novembre 2021, dans son discours lors de l'accueil des oeuvres qui venaient de retrouver leur terre d'origine, le ministre de la Culture avait présenté le programme : « Les oeuvres iront à Ouidah pour une exposition temporaire de trois ans au fort portugais, dans la maison du gouverneur, en attendant la fin des travaux du Musée des Rois et des Amazones du Dahomey, le MuRAD, à Abomey. » Un an et cinq mois plus tard, Ouidah n'est pas encore prête. La date de livraison du chantier était attendue fin 2022. Il ne nous a pas été possible d'accéder au site qui, de loin, paraît toujours en chantier.

Les tôles qui l'entourent sont par endroits couvertes de bâches. La voie en terre battue qui le ceinture est à l'avenant. Des panneaux, sur le sentier, indiquent aux usagers que la route est barrée. A l'intérieur de l'ancien fort portugais, certaines imperfections auraient nécessité une reprise des travaux, précise une source bien informée. Une partie des bordures de trottoir a été aménagée mais d'après cette source, le fort ne devrait être prêt qu'en novembre 2023, pour une ouverture en janvier 2024.

Selon plusieurs sources, Ouidah pourrait ne plus du tout accueillir les 26 trésors royaux avant leur départ pour Abomey. La question devrait être tranchée en octobre-novembre, ou avant.

L'inquiétude de Ouidah

Une telle éventualité ne plaît évidemment pas à ses habitants. Codjo Zomankpé est assis à l'ombre d'un arbre proche du chantier. « Ce serait une déception si ces oeuvres ne venaient pas ici. Ouidah est un carrefour ! C'est le berceau du vodoun [ou vodou, une religion originaire de l'ancien royaume du Dahomey] et pourtant souvent délaissé », peste ce natif de la ville.

De l'autre côté de la voie pavée, deux dames assises près de leurs étalages confient : « Si nous n'accueillons pas nos oeuvres, on ne sera pas du tout content. Nous attendons cela depuis longtemps. Nous espérons que quand nos oeuvres viendront par ici, cela nous permettra d'avoir beaucoup plus de clients, parce qu'il y aura de l'affluence », dit l'une d'elles. La deuxième, plus réticente à s'exprimer sur le sujet, trouve que la venue des trésors royaux est avant tout une question d'honneur pour la ville.

Les taxis motos, reconnaissables à leurs chemises vertes, redoutent aussi ce possible mauvais sort. « Dites-leur que nous les implorons pour que ces oeuvres viennent à Ouidah. Il s'agit de l'évolution de la ville », justifie l'un d'entre eux. « Nous ne sommes pas d'accord pour ce plan ! » lance un autre conducteur sur le parking près du marché de Zobè, qui pense que la décision est déjà actée.

Si dans la rue les réactions sont vives, la cour du souverain pontife parait plus pondérée. Pour le chef des dignitaires du vodoun, Daagbo Hounon Tomandjrèhounkpon 2 Houwamenou, peu importe la prochaine destination des oeuvres pourvu qu'elles soient au Bénin. « Si le gouvernement jugeait bon d'amener les oeuvres directement à Abomey, c'est bon. Rendons à César ce qui est à César. Abomey, c'est toujours le même Bénin. On ne sera pas déçu si c'est le cas. Ouidah a toujours son affluence en tant que berceau du vodoun », dit-il. Le chantier en cours du Musée international de la mémoire et de l'esclavage, dans l'ancien fort, est en soi un motif de satisfaction pour ce gardien des traditions religieuses.

Où en est le musée d'Abomey ?

A Abomey, la fin du chantier est prévue pour début 2025. Mais des fouilles archéologiques sont en cours depuis janvier. Lorsque Justice Info s'y est rendu le 18 février dernier, une dizaine d'archéologues était en plein travail dans la cour des amazones. Des tranchées, des fosses aux formes rectangulaires, de petites comme de très larges cavités jonchaient le site. Munis de pioches, de burins et de pelles pour certains, de brosses de balai ou de théodolites pour d'autres, ils passent au peigne fin les potentiels vestiges enfouis dans le sol. L'équipe a découvert des tessons de poterie, des pipes, des meules, un lieu de culte, des asens (autels portatifs) et des ossements, énumère Gerard Kouagou, assistant au Laboratoire d'art, d'archéologie, d'expertise patrimoniale et touristique de l'université d'Abomey-Calavi, à qui ont été confiés les travaux.

Le directeur, l'archéologue Didier N'Dah, explique qu'il s'agit d'une archéologie préventive. Elle a lieu « avant que les grands travaux ne viennent détruire un site », explique-t-il entre deux fouilles. Elle doit permettre de comprendre et de décrire les différentes structures sur le terrain. Les fouilles devaient durer jusqu'à fin avril. Il reviendra à l'Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme (ANPT) de décider de la suite.

Mais en attendant, les oeuvres si longtemps attendues, célébrées en grande pompe et dont le retour était le symbole d'une restitution exemplaire des biens culturels pillés pendant la colonisation, sont retournées dans leurs caisses, loin des yeux des Béninois.

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