Ile Maurice: Natation / Philippe Pascal, ancien DTN - « Dire aux nageurs mauriciens que le haut niveau est accessible en s'entrainant ici, me semble utopique »

interview

C'est dans une quasi-euphorie que le monde sportif a accueilli la levée des restrictions sanitaires en 2022. Pourtant, à quelques mois des Jeux des Iles à Madagascar et d'autres échéances internationales, Philippe Pascal a un avis mitigé sur la natation mauricienne. A l'heure où beaucoup évoquent le haut niveau en faisant allusion à nos meilleurs nageurs, il estime que les conditions ne sont pas réunies actuellement à Maurice pour que ces athlètes accèdent à cette excellence tant recherchée.

Les Jeux des Iles auront bientôt lieu. Pensez-vous que Maurice puisse réitérer sa performance de la fois passée, cette année, à Madagascar?

En termes de médailles, c'est difficile de prévoir puisque cela dépend de l'adversité que vous avez face à vous. En 2019, La Réunion était particulièrement faible et nos nageurs ont su en tirer profit. Aujourd'hui, le niveau sportif de nos locaux est globalement plus faible qu'en 2019 mais un ou deux d'entre eux devraient être en mesure de briller à Madagascar. Je n'ai pas toutes les informations sur les expatriés (Mauriciens évoluant à l'étranger, Ndlr) mais, il semble probable qu'ils puissent apporter plus de lumière aux résultats.

Depuis la levée des restrictions sanitaires, la natation mauricienne a-t-elle pu reprendre correctement ?

Depuis fin 2021, la natation a effectivement repris ses activités. Lentement au début mais heureusement, le rythme semble s'améliorer aujourd'hui. Néanmoins, la dynamique d'avant la Covid, n'est toujours pas retrouvée. Nous sommes encore en convalescence avec un corps médical qui peine à établir un vrai diagnostic, de façon à pouvoir proposer un meilleur traitement.

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Beaucoup visent le haut niveau au niveau de la natation pour faire partie d'une sélection. Quelle est votre définition du haut niveau ?

D'abord soyons clair, lorsque nous parlons de haut niveau, il faut entendre le niveau mondial et Olympique. Et quand nous faisons allusion ce niveau, il faut comprendre que nous parlons des athlètes qui ont des standards de performances qui les classent parmi les trente meilleurs mondiaux de leur épreuve. Autrement dit, ceux qui ont réussi les minimas A et B. Les autres athlètes présents dans ces compétitions le sont par le biais des "wild cards". Ils sont invités par la 'World Aquatics' (anciennement FINA) via les fédérations nationales, à représenter les pays qui ne disposent pas de nageurs de ce niveau. Une fille et un garçon sont généralement invités.

La natation de haut niveau est-elle une réalité accessible aujourd'hui à Maurice ?

A ce jour, seul Bradley Vincent a pu atteindre un minima olympique B en s'entrainant à Maurice. En 2016, à travers le programme du Trust Fund For Excellence In Sports' (TFES), il pouvait s'entrainer deux fois par jour en piscine tout en ayant des séances de gym. Bradley était mature, doté d'un physique taillé pour la nage, avec une immense envie de réussir et il disposait de ses journées pour se consacrer pleinement à ses ambitions. C'était un cas à part. Cependant, pour réussir un minima A, il lui fallait partir dans un autre pays plus adapté à ses besoins. Donc, dire aux mauriciens que le haut niveau est accessible en s'entrainant ici, me semble utopique. A mes yeux, il manque surtout la volonté et les compétences humaines indispensables à l'élaboration d'un tel plan de route vers cette excellence.

Quels sont les critères pour le haut niveau ?

Le sport de haut niveau repose sur des critères bien établis qui sont : La reconnaissance du caractère de haut niveau de la discipline, les projets de performances fédéraux (podiums, finales, demi-finales), les compétitions de références (Olympiques, Mondiales), la liste des sportifs de haut niveau.

Que faudrait-il faire à Maurice pour qu'un jour un Mauricien puisse atteindre une finale mondiale ou olympique ?

L'histoire du sport mauricien, nous apprend qu'il fut une époque où des athlètes ont atteint ces niveaux mondiaux. Eric Milazar, Stéphane Buckland, Bruno Julie...sont des modèles de réussite. C'est quand même navrant de ne pas les valoriser davantage pour susciter des vocations chez les jeunes. Donc, pour répondre à la question, il faudrait d'abord, me semble-t-il, une vraie volonté nationale. Ensuite, ça doit être le projet de la fédération. De ce fait, elle rassemblerait autour d'elle toutes les compétences et moyens nécessaires pour élaborer un tel plan de carrière et s'engager dans une telle conquête. Pour l'instant l'issue qui me parait la plus fiable, c'est l'expatriation dans un pays plus expérimenté, où le sport de haut-niveau est intégré au système scolaire puisque c'est dans sa jeunesse que le champion en devenir se construit.

Pour finir, il faut savoir qu'aujourd'hui, la quasi-totalité des finalistes mondiaux ou olympiques ont des rythmes de vies similaires à des professionnels (universitaires, boursiers...) face aux besoins quotidiens des entrainements.

Le sport de haut niveau a-t-il un prix ? Quelles en sont les contraintes ?

La différence entre le haut niveau et un niveau inférieur, c'est le degré d'excellence qu'exige le haut niveau. C'est la différence entre le simple détenteur de la HSC et le lauréat, entre la licence et le doctorat. C'est le couloir des élites. Et, comme dans tout entreprenariat, cette « excellence » demande des investissements exponentiels au prorata du niveau visé. Un investissement de soi-même d'abord, en termes de discipline, rigueur, exigences...mais aussi, financier pour assurer les besoins logistiques nécessaires à la réalisation du projet. Par conséquent, si ces efforts sont un désir familial délibéré, dictés par « l'envie de faire » alors, ils ne seront pas vécus comme des contraintes mais comme un choix de vie. Ils sont des contraintes dès lors qu'ils sont imposés.

La natation de masse, bien qu'étant louable, est-elle en train de tuer le sport de compétition ?

J'aurais plutôt tendance à dire que c'est la natation de compétition qui se tue elle-même. Son attractivité est en déclin. C'est positif de voir de plus en plus de gens fréquenter les piscines, de plus en plus d'enfants dans les écoles de natation mais la pratique compétitive ne fait pas rêver. Trop de contraintes pour trop peu de plaisirs. A part une petite élite qui reste captivée devant les espoirs de sélections dans un rendez-vous international, pour les autres, c'est la misère. Je ne vois pas l'enthousiasme qui caractérise un compétiteur d'un nageur lambda. Et, c'est normal puisqu'ils n'ont aucun challenge à relever. Même les parents désertent régulièrement les gradins face aux compétitions trop longues, trop ennuyeuses. Pourtant, je me rappelle, qu'en mai 2005, lors des championnats nationaux, l'ambiance débordante des gradins de Serge Alfred, c'était une motivation extraordinaire pour les compétiteurs. Aujourd'hui, la sono couvre le silence des tribunes de Côte d'Or. Sur le plan international aussi, à part les JO et quelques exploits aux championnats du monde, très peu de gens s'intéressent à ce sport. Finalement, c'est peut-être l'hyper élitisme qui fait fuir une masse de nageurs dont il a pourtant bien besoin.

Peut-on mesurer le fossé entre Maurice et la région Océan Indien, l'Afrique (Zone 4 et pays du Maghreb), l'Europe et le monde ?

Il faut comparer ce qui est comparable. La taille de Maurice n'est pas celle d'un autre pays africain et encore moins à l'Europe et Monde. Cependant, si nous regardons notre voisinage, nous pouvons constater que notre "soeur" n'est pas notre jumelle, loin de là. La Réunion c'est : 40 piscines publiques/privées, 40 clubs, 1 ERFAN [Ecole régionale de Formation des Activités de la Natation], 2 Centres d'Accession et de Formation [CAF]. C'est surtout, un Comité Régional, guidé par un Conseiller Technique National, qui pilote toutes les générations sur un plan de route qui doit les mener vers le plus haut-niveau possible. Le jeune Nans Manzellier qui vient de rentrer en équipe de France en est le parfait exemple. A Maurice, c'est environ une quinzaine de bassins publics/privés, une quinzaine de clubs (dans 7 piscines), pas de formation d'entraineurs, pas de DTN, pas de plan de route ... bref, je vous laisse mesurer.

Dans cette perspective, nos objectifs, aujourd'hui, devraient-ils être revus à la baisse pour ensuite nous relancer vers des buts plus élevés ?

Quels sont les objectifs ? Personnellement, je ne connais pas les objectifs fédéraux. Cela dit, c'est comme dans le bâtiment, plus vous voulez construire haut, plus les fondations doivent être étudiées, solidifiées. A-t-on seulement un projet, un plan pluriannuel ? Cela étant, il faudrait alors nommer un chef de projet, qui va étudier le terrain, regrouper des compétences, former des entraineurs, des équipes...bref, ce serait une opération très fédératrice qui concernerait et dynamiserait tous les acteurs de la discipline, s'il était entrepris.

Beaucoup de nageurs mauriciens qui, ces 10 dernières années, ont fait flotter le quadricolore ou réalisé des records, sont issus du CAMO. Pensez-vous que ce sera encore le cas dans les cinq années à venir ?

Ça va être très difficile, pour la simple raison que le club n'a plus de piscine depuis 2018. En effet, depuis la rénovation de Serge Alfred, pour les JIOI 2019, le Camo est obligé tous les 5-6 mois de se délocaliser pour organiser ses entrainements. Cette instabilité chronique, déstabilise tout le monde puis, fait également des ravages dans les effectifs et dans la qualité des entrainements. A titre d'exemple, l'an dernier en février il y a eu deux alertes cycloniques. Eh bien, nous avons dû déménager pendant tout le mois puisque les analyses d'eau préalables à la réouverture ont duré 15 jours chacune...alors que partout ailleurs, les piscines étaient opérationnelles dans les 2 jours. Cette année encore c'est le carrelage tout neuf qui ne vas pas et qui provoque une nouvelle fermeture dans cette même période chaude, pendant laquelle le plus gros volume de travail doit se faire. Pour couronner le tout, voilà maintenant que la piscine doit se fermer dès qu'une forte pluie se propage, même en dehors de Beau Bassin et, doit rester fermée le lendemain pour le nettoyage de cette pluie virtuelle...On nage sur la tête.

Cette situation qui semble vous déplaire fortement ?

Oui je suis en colère. D'autant plus que, face à l'immobilisme des instances fédérales, après un mois d'inactions, il a fallu que je provoque moi-même une réunion au ministère pour faire bouger les lignes en faveur d'un retour de tous les compétiteurs dans cette piscine. C'est inadmissible. Ah, pour s'afficher devant nos champions parés d'or lors des JIOI, CJSOI...faisant la fierté nationale, il y a souvent du monde mais, dès qu'il s'agit de mettre la main à la pâte pour les aider, bizarrement il y a moins de vitalité. Dans ces conditions, on comprendra aisément que la perspective du CAMO d'être encore au top dans les années à venir n'est plus vraiment l'objectif. La priorité doit être d'abord tourné vers la privatisation du club, d'avoir son destin en main, avant d'espérer de nouveaux sommets. Depuis 2016, j'ai formulé cette urgence à mes dirigeants, en leur fournissant des projets d'élaborations...je ne sais pas lequel des deux départs sonnera le premier...le top ou le pot ! Tout club pourrait se rapprocher de ce qu'a fait Bigsplash (A l'Espérance Trébuchet). Il est maître de lui-même sans être sous la tutelle d'un propriétaire. A Maurice c'est encore possible de le faire, dans des échelles financières qui semblent encore accessibles. Mais pour ce qui est des mécanismes financiers, je ne suis pas expert en la matière.

Pourquoi construire une piscine ? Les responsables du Ministère pourraient vous dire qu'il y a celles de Côte d'Or.

Oui, mais on ne sera plus à Beau Bassin. A l'origine, le club du CAMO est formé sur Beau Bassin et qui se nourrit de la population de Beau Bassin - Rose Hill, en grande majorité. Il y a une question de proximité. On ne peut obliger aux gens de faire des dizaines de kilomètres pour faire ce qu'ils peuvent effectuer à côté de chez eux. Surtout quand on doit s'entraîner au quotidien. Encore plus avec le traffic qu'il y a sur les routes où pour faire une poignée de kilomètres, il faut un temps infini, avec toutes les contraintes financières que cela comporte. Aussi, si vous permettez, je voudrai profiter ici, pour dire ma grande admiration envers tous les parents et saluer leur dévouement pour leurs enfants. Ces gens-là, actuellement encore, multiplient les kilomètres et absorbent les contraintes pour accompagner leurs « futurs champions » à la piscine de Sparc, ou Côte d'Or, ou Pavillon, là, où nous pouvons leur apprendre à nager du mieux possible.

Quand vous évoquez l'apprentissage de la natation, ne pensez-vous pas qu'il serait mieux servi par l'usage d'équipements technologiques ?

Soyons sérieux. Après tout ce que je viens de vous dire ci-dessus, Nous avons déjà du mal à gérer un simple tableau d'affichage avec son système de chronométrage et son logiciel Hy-Teck. Comment alors imaginer que nous puissions exploiter des machines plus sophistiquées comme des analyses vidéo qui nécessite une expertise spécifique et s'adresse essentiellement à des athlètes tout aussi experts ? C'est comme ces fameuses « power-tower » qui ont dû couter très chers, pour un usage éphémère en 2019 et qui aujourd'hui ressemblent plus à des « flowers » qui bordent des pavillons. D'où vient ce toc de vouloir régulièrement mettre les charrues avant les boeufs ? Il serait plus judicieux, me semble-t-il, de commencer tout simplement par le début, en organisant à des humains, des vraies formations au métier d'entraineur...avant que n'arrivent de futurs robots.

En parlant d'entraîneur, la nomination d'un coach national est-elle nécessaire ou êtes-vous d'avis que de recourir à des coachs personnels soit mieux pour les nageurs ?

Un compétiteur isolé s'ennuiera très vite. Pour s'épanouir il doit se nourrir d'un entourage. L'esprit d'équipe domine dans notre discipline même si nous sommes dans un sport "dit" individuel. Regardez la métamorphose d'un athlète dès qu'il doit nager pour un collectif (relais, sélection, inter-collège...), il se sublime. C'est cette observation qui me fait dire qu'un entraineur national serait plus judicieux que la multiplication d'entraineurs personnels.

FICHE SIGNALETIQUE :

NOM : Philippe Pascal

AGE : 57 ans

PROFESSION : Head coach du CAMO à Beau Bassin depuis septembre 2016

ANCIENNE FONCTION AU NIVEAU NATIONAL : Directeur Technique National de la natation mauricienne de septembre 2009 à septembre 2016 ·

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