Issue d'une famille modeste de neuf enfants de Triolet, où son père travaillait comme chauffeur d'autobus, alors qu'on hésitait même à l'envoyer à l'école, Jyoti Jeetun a gravi les échelons. Avec son MBA, son PhD (entre autres), elle s'est retrouvée à la tête du groupe Mont Choisy pour booster le développement du Nordaux alentours deTriolet. Un juste retour d'un destin-boomerang.
Malgré tous ses efforts pour moissonner un maximum de diplômes; malgré tous les sacrifices consentis, malgré son track-record à Maurice, à Londres et à Bruxelles, Jyoti Jeetun est la première surprise de se retrouver à la tête d'une entreprise familiale franco-mauricienne vieille de plus de 200 ans avec un conseil d'administration composé exclusivement de descendants connus .«J'étais à Londres depuis dix ans quand j'ai reçu un appel me demandant si ce poste m'intéressait. Je suis tombée des nues ; je croyais à une mauvaise plaisanterie. Je me suis dit comment moi, une hindoue, de couleur marron, malgré mes diplômes, je pouvais être choisie pour occuper un tel poste», me confie Jyoti Jeetun. Elle nous a aussi précisé sur le plateau de Dimanche Culture sur Radio One ce matin, qu'elle avait alors le sentiment d'être un OVNI en sari!
La réponse vient de Vincent Rogers, le grand patron et président du conseil d'administration du groupe Mont Choisy: «Je ne connaissais pas Jyoti, ce sont des chasseurs de têtes qui m'en ont parlé. On m'avait dit qu'elle n'était pas la seule personne retenue; mais qu'elle dominait les autres de la tête et des épaules. Nous avons passé au crible ses états de service et il n'y avait pas photo. Elle remplissait tous les critères.» Et Vincent Rogers de raconter comment, pour faire sa connaissance depuis la fin de l'année 2015, Skype a été d'un grand secours.
À la question: «Quels étaient ces critères qui ont fait pencher la balance en sa faveur?», la réponse de Vincent Rogers: «D'abord ses diplômes impressionnants, sa riche expérience, les succès qu'elle a enregistrés ici et ailleurs, sa culture de l'effort, sa détermination et surtout les valeurs profondes qui l'animent et son sens de l'éthique.» Vincent Rogers insiste pour préciser que ces valeurs-là sont celles de son groupe : «Nous prônons la méritocratie d'où qu'elle vienne. Sur ce plan, Jyoti Jeetun était imbattable et sa capacité de travail immense. C'est 24/7, un travail de tous les instants.»
Jyoti Jeetun est encore émue aux larmes quand elle se remémore son retour au pays après dix ans, le 1er avril 2016. «J'étais extrêmement surprise quand j'ai vu que c'est Vincent Rogers lui-même qui était à l'aéroport pour nous accueillir mon époux et moi, avec un foulard quadricolore. Il n'était pas obligé, mais il avait tenu à marquer le coup. Ce geste m'a beaucoup touchée et émue», avoue Jyoti Jeetun. Elle est surtout reconnaissante envers le groupe Mont Choisy de lui avoir donné la possibilité de revenir vers les lieux de son enfance, en manière d'un pèlerinage symbolique. Car le développement envisagé par le groupe couvre les régions de Grand-Baie, Mon-Choisy, Fond-du-Sac et le voisinage de Triolet!
Quand Jyoti Jeetun débarque sur son lieu de travail en 2016 dans le Nord, son bureau est un magasin qu'elle partage avec d'autres et sa vue s'étend sur de vastes champs de canne qu'elle doit défricher pour faire sortir de terre des villas IRS, un club house, un immense parcours de golf pour des compétitions internationales, une smart city... la liste n'est pas exhaustive. On lui a donné pour cette mission 1 500 arpents à domestiquer, à convertir en plus-value... En moins de sept ans, elle a fait aboutir sept projets majeurs en transformant totalement le paysage de Choisy. Et pas plus tard que la semaine dernière, elle est revenue d'une tournée de sept capitales européennes avec l'Economic Development Board pour promouvoir l'île Maurice.
En fait, Jyoti Jeetun procède, avec l'aval de son conseil d'administration et une petite équipe très dévouée et compétente, à la transformation tous azimuts d'une région totalement sous-développée (à l'époque) où habitaient ses parents, dont la langue de communication était le bhojpuri. «À l'école primaire de Triolet, je ne parlais même pas créole. J'étais enn zanfan lakanpagn», avoue Jyoti. Il a fallu se battre, par la suite, pour qu'elle continue ses études secondaires. Elle garde un souvenir ému de ses années au Collège Bhujoharry, à la rue St-Georges à Port-Louis, et de feu Manfred Bhujoharry qui avait pris la succession de son père Alfred Bhujoharry.
Triolet toutefois demeurera sa référence, son point d'ancrage. Un village qui est passé d'une économie de plantation (avec de petits et moyens planteurs) à une autre phase de développement. «Quand deux habitants de Triolet se rencontrent, il se passe quelque chose. C'est une question d'ADN», tente-t-elle pour expliquer sa fidélité à sa région. Même par la suite, c'est au village de Laventure, un peu plus loin, qu'elle s'est mariée ! Un mariage en 1982 avec Daya Jeetun, enseignant de carrière, qui lui a donné deux enfants: Pooja et Rahul, tous deux établis en Angleterre.
En 1992, Jyoti Jeetun rencontre Lindsay Rivière qui lui propose de rejoindre Business Publications comme financial journalist au sein de Business Magazine. Un véritable tournant dans son itinéraire vers le haut. Elle travaille sur la publication de Business Year Book et surtout sur les Top 100 Companies. Ce qui lui donne une bonne visibilité du monde des affaires et des finances et elle va en profiter, avec audace, en écrivant au prestigieux Financial Times de Londres pour une demande de stage. Elle y sera pendant trois mois!
Novembre 1994 sera un autre grand tournant de sa carrière. Elle se retrouve à la tête du Sugar Investment Trust (SIT). Elle se découvre des qualités de meneuse, de rassembleuse et de femme de terrain. En 11 ans, elle réussit à convaincre 55 000 personnes de la communauté de petits planteurs et des employés de l'industrie sucrière de devenir actionnaires du SIT. Dans la même lancée, elle est nommée founding chairman de la New Cooperative Bank, qui deviendra la Mauritius Post & Cooperative Bank.
Puis, c'est la rupture du cordon ombilical avec le pays. Le temps de l'exil. En janvier 2006, la famille fait ses valises; son mari démissionne du collège de Curepipe aussi bien que son jeune fils (Pooja fait déjà ses études universitaires). Direction Londres pour une nouvelle vie. Une vie riche d'études d'abord, enrichie d'activités académiques comme lecturer à la Warwick Business School, Oxford Brookes University Business School, Birmingham Business School et Essex, entre autres. Elle crée aussi, à Londres, Arte Fine Arts, une start-up pour la promotion de l'art de Maurice et de l'océan Indien. Une sensibilité artistique qui ne l'a pas empêchée de s'épanouir dans le domaine bancaire chez BNP Parisbas, Barclays Capital, Bank of America Merril Lynch (London). Des activités bancaires qu'elle mène tout en s'échinant pour obtenir son PhD.
Ses appétits de réussite semblent gargantuesques. Et quand on lui fait une offre pour rejoindre le Centre de développement des entreprises à Bruxelles, une agence conjointe UE/ACP pour la promotion du secteur privé de 79 pays, elle n'hésite pas à accepter ce poste diplomatique pour un plus grand rayonnement.
Les chasseurs de têtes du groupe Mont Choisy ne pouvaient pas se permettre de rater une telle cible. Vincent Rogers peut ainsi se flatter d'avoir fait le bon choix : celui d'un esprit indépendant et ouvert, novateur, imaginatif, avec un flair capable de concevoir ce que sera cette partie de notre île dans 25 ans.