Dakar — Des militants de premier plan du Parti de l'indépendance et du travail (PIT) ont loué, dans des entretiens avec l'APS, l'envergure du parcours politique, scientifique et syndical d'Ibrahima Sène, le responsable des questions économiques de cette formation de la majorité présidentielle, décédé dimanche à l'âge de 76 ans.
Le défunt fut un proche collaborateur d'Amath Dansokho, le leader et fondateur du PIT, jusqu'au décès de ce dernier en août 2019. Comme lui, Ibrahima Sène fut une grande figure de la gauche sénégalaise, qui a pris part à toutes les luttes politiques depuis les années 60.
Brillant intellectuel et débatteur hors pair, M. Sène, qui avait aussi le sens de la formule et de la répartie, publiait régulièrement des contributions dans les médias, notamment sur la situation socioéconomique du Sénégal.
L'actuel secrétaire général du PIT et ministre du Travail, du Dialogue social et des Relations avec les institutions, Samba Sy, a loué "la constance, la rigueur, la vigueur même, et l'esprit de discernement" du défunt.
"Il était toujours ancré sur ses positions [...] Voilà quelqu'un qui est humain jusqu'au bout des ongles. Il pouvait ne pas partager vos opinions, cela ne l'empêchait pas de vous embrasser et de vous considérer comme son frère. Il avait compris que l'adversité n'avait rien à voir avec l'animosité. Voilà quelque chose qui, dans le monde que nous vivons aujourd'hui, nous parle beaucoup, nous qui sommes ses cadets", a témoigné M. Sy.
"Seydou Cissokho est parti, Sémou Pathé Guèye est parti au moment où nous ne nous y attendions pas. Amath Dansokho est parti. Aujourd'hui, nous perdons Ibrahima [...] Nous comprenons qu'il y va de la volonté de Dieu", a-t-il poursuivi, rappelant que son défunt camarade de parti "était un homme de dossiers, qui avait beaucoup lu et avait une bonne mémoire".
Né le 1er mai 1946, Ibrahima Sène est un agroéconomiste formé en Union soviétique et aux Etats-Unis. Recruté comme tel dans la fonction publique, il a été affecté à Kolda (sud) et au centre de recherche agricole de Bambey (centre).
Auparavant, à la fois chanteur, journaliste, ingénieur et politicien, il est emprisonné en 1976 pour ses idées communistes. Après sa libération, il est employé par l'ISRA, l'Institut sénégalais de recherches agricoles.
"Il était pour moi un confident, un ami et un très grand camarade, qui m'a beaucoup inspiré dans la recherche sur les questions économiques sénégalaises, surtout quand il s'agissait d'identifier les forces et les faiblesses du mouvement révolutionnaire sénégalais, les questions du monde rural notamment", a témoigné Samba Ndongo, un membre du bureau politique du PIT.
"Ibrahima Sène a beaucoup contribué à ma formation politique en matière surtout d'émancipation de notre peuple. Il était très généreux et très ouvert à la critique. Tout ce qu'il disait était vérifié et vérifiable. Il prenait toujours le soin de confronter ses opinions à la critique objective", s'est souvenu M. Ndongo.
Ce militant de premier plan du PIT dira ensuite du défunt, qu'il a côtoyé pendant "une quarantaine d'années", que "c'était un homme honnête et humble, qui partageait tout". "Depuis quarante, il n'y a jamais eu la moindre friction entre lui et moi, sur quoi ce soit."
Ibrahima Sène, "un homme engagé, dévoué et très courageux"
Samba Ndongo s'émeut par ailleurs de cette "hémorragie très importante", avec "les disparitions tout aussi difficiles de Mady Danfakha, de Sadio Camara, de Matar Niang" et d'autres leaders du Parti de l'indépendance et du travail.
"Une génération d'hommes et de femmes qui ont guidé les pas de notre parti, qui nous ont laissé un héritage que nous sommes chargés de perpétuer", a-t-il ajouté.
De 1979 à 1986, Ibrahima Sène a exercé les fonctions d'inspecteur régional de l'agriculture de la région du Sine-Saloum, d'où il est par la suite expulsé par un puissant responsable du Parti socialiste, à l'époque au pouvoir. Il pose ses baluchons à Thiès (ouest), au service semencier du ministère de l'Agriculture, et y reste de 1987 à 1990.
A parti de juin 1990, il est nommé conseiller technique au ministère de l'Agriculture, un poste qu'il gardera jusqu'à sa retraite. Depuis 2015, il était le président du conseil d'administration de la Société des mines de fer du Sénégal oriental, une entreprise publique.
Pape Mbaye, le secrétaire du comité central, l'organe exécutif du PIT, rappelle qu"'Ibrahima Sène était un homme engagé, dévoué et très courageux, qui avait des convictions".
Il dit garder de lui "le souvenir d'un grand intellectuel, qui avait le courage de ses idées, avec des positions controversées qu'il assumait avec pertinence et courage".
"Tout ce qu'il disait avait un fondement scientifique. C'était un homme clairvoyant, qui n'a jamais renié ses engagements pour la cause des travailleurs. Un économiste qui taquinait beaucoup les autres sciences sociales. Il a épousé la cause du peuple et l'a défendue", a témoigné M. Mbaye.
"Un grand pilier de notre parti s'est écroulé"
"Il y avait quelque chose que beaucoup de Sénégalais ne savaient pas de lui : son coefficient de 'sénégalité'. il vivait foncièrement comme un Sénégalais. Il était de Ngaye Meckhé (ouest) et le clamait partout. C'était une figure emblématique de notre parti et du mouvement communiste", a rappelé Pape Mbaye.
Il dit se souvenir des nombreuses tribunes sur les questions économiques, que l'agroéconomiste publiait dans la presse sénégalaise. Des "polémiques" du défunt aussi, avec "de grands leaders communistes". "Il a polémiqué avec les plus grands penseurs du mouvement communiste international. C'était un homme de gauche, un militant et un révolutionnaire. Un grand pilier de notre parti s'est écroulé. Il ne s'est jamais désengagé sur les plans syndical, politique, culturel et intellectuel."
"On peut dire sans crainte d'être démenti qu'il faisait partie de ceux qui ont porté haut le flambeau du débat scientifique de l'actuelle majorité politique", a soutenu M. Mbaye.
"J'ai connu Ibrahima Sène dans les manifs. Entre mes 12 ans et mes 17 ans, chaque fois que j'allais distribuer des tracts en guise de soutien aux travailleurs [...], on se croisait. Chaque fois qu'on se voyait lors de ces marches, nous plaisantions sur le fait de ne nous voir que lors des manifestations", a écrit le député Guy Marius Sagna sur sa page Facebook. "Je me réveille ce matin et j'apprends la triste nouvelle. Que son âme repose en paix. Mes condoléances à sa famille et à ses camarades."
"La mort est vaincue par la vie. Ibrahima Sène, dont nous endurons la disparition, a pleinement et utilement vécu. Sous le sceau d'un communisme ouvert, il a assumé jusqu'au bout la passion égalitaire, en homme libre, heureux et courageux. Repose en paix, frère précieux !" a témoigné, sur Twitter, le journaliste et philosophe El Hadj Hamidou Kassé, ministre, conseiller du président de la République, Macky Sall.