Sénégal: La délinquance administrative contre la démocratie

C'est par la constatation des « difficultés [de la majorité présidentielle] de gagner dans les cités religieuses » que commence une très sérieuse analyse de Tidiane KOUNTA dont la proximité avec l'une des quatre principales familles musulmanes du Sénégal - celle de Ndiassane, capitale sénégalaise de la Qadiriyya - et l'intérêt particulier pour les affaires la concernant étayent la crédibilité scientifique. Sur celle-ci s'appuie également le cadre expérimenté de l'administration dont il déplore les relations curieusement heurtées avec l'autorité politique tutélaire depuis une dizaine d'années maintenant.

Du « coup d'État administratif »

Plusieurs décennies avant l'analyse de Tidiane KOUNTA, l'intellectuel et érudit de la Tijaniyya, qui, avec la Mouridiyyah et la Layeniyya, coopère étroitement avec la Qadiriyya, Cheikh Ahmed Tidiane SY, attire l'attention de l'opinion sur deux types de coup d'État : le coup d'État militaire et le « coup d'État administratif ». Le grand conférencier minimisa les risques du premier type au Sénégal. Il n'a toujours pas tort puisque dans son communiqué, daté du 31 mars 2023, la Direction de l'information et des relations publiques des armées (DIRPA) dément catégoriquement les « concertations entre acteurs politiques et gradés des Forces de Défense » dont a fait état, le même jour, la coalition YEWWI à laquelle appartient la formation - PASTEF - de l'opposant Ousmane SONKO. « L'Armée nationale (...) entend garder sa posture républicaine et se consacrer à ses missions régaliennes », insiste le communiqué sans équivoque de la DIRPA sous les bénédictions du Ministère des Forces armées et de l'Etat-major général des armées.

Quid du « coup d'État administratif » ? Cheikh Ahmed Tidiane SY estima que ce second type (insidieux) de coup d'État intervient lorsque plus aucun contrôle des actes administratifs et/ou non administratifs ne s'exerce sur les agents de l'administration toutes hiérarchies confondues. Selon Al Maktoum, le laisser-aller administratif n'émeut l'autorité politique que lorsque celle-ci n'y voit plus le confort qui en est la contrepartie politique, l'inconfort pouvant émaner de la violation flagrante, par l'agent de l'Etat, du code régissant le corps auquel il appartient.

D'après cette percutante analyse, la contrepartie politique du confortable laisser-aller administratif s'est évaporée lorsqu'un certain Ousmane SONKO, inspecteur des Impôts et des Domaines de son état, a enfreint les règles éthiques et déontologiques qui encadrent sa fonction, s'exposant du coup à la radiation qui intervint. En voici le rappel qui vaut toujours le détour : Au chapitre II de ses « Solutions » (Compte d'auteur, 2018), Ousmane SONKO dit « accueillir sa radiation de la Fonction publique avec soulagement car j'avais moi-même entrepris le projet de sortir de l'administration qui, après quinze ans, n'avait plus grand-chose à m'offrir et, de surcroît, devenait une contrainte pesante pour mes activités politiques du fait du corset de sujétions. »

Il aurait donc été plus simple pour lui de se démettre de ses fonctions au lieu de violer l'alinéa 1 de l'article 601 du Code général des Impôts et des Domaines en vertu duquel « sous réserve de l'obligation qui leur est imposée par le Code de procédure pénale, les agents des Impôts et des Domaines intervenant dans l'assiette, la liquidation, le contrôle ou le recouvrement des impôts, droits, taxes et redevances, sont tenus, dans les termes de l'article 363 du Code Pénal, de garder secrets les renseignements de quelque nature qu'ils soient, recueillis dans l'exercice de leur fonction. »

En quittant ses fonctions sous les ovations de l'opinion abusée qui le considéra, à tort, comme une victime du système qu'il dénonce, Ousmane SONKO dissuada ses anciens collègues et amis restés dans l'administration à se faire radier comme lui pour leur laisser le soin de participer, pendant qu'il est, lui, sur le terrain politique, au « coup d'État administratif » dont fait état, en d'autres termes, Tidiane KOUNTA dans son analyse.

Ousmane SONKO gagne deux fois dans une aventure qui vient juste de commencer. Premièrement, l'opinion compatit à la douleur du « persécuté » qui gagne en notoriété politique du fait de son patriotisme administratif. Deuxièmement, une rébellion administrative assure au délinquant administratif radié les collabos dont il a besoin pour toujours comprendre et toujours faire mal à l'autorité politico-administrative dont il est l'ennemi déclaré. Qui pour arrêter le massacre ? D'où partirait le communiqué, comparable à celui de la DIRPA, pour dire stop ? De la Primature nouvellement restaurée ? Pourquoi pas ?

On y inviterait alors les agents administratifs toutes hiérarchies confondues à assurer le service public attendu d'eux en se refusant sans équivoque à coopérer, de près ou de loin, avec les organisations - partis politiques compris - dont les pratiques, passées au crible, sont aux antipodes des principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. Bien sûr, une telle directive administrative serait erronée si elle n'était pas assortie de l'énoncé claire, net et précis des principes de la souveraineté nationale et de la démocratie et de la formulation des sanctions sévères encourues par les contrevenants pouvant aller jusqu'à la radiation définitive de la fonction publique.

Double entorse

D'aucuns nous reprochent les mesures radicales concernant PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour l'éthique, la transparence et la fraternité) que nous mentionnons dans nos posts et articles de journaux depuis quelques semaines. C'est que nous ne voyons pas comment venir à bout d'une radicalité sans être radical. Nous ne voyons surtout pas comment nettoyer les écuries d'Augias de l'administration dont Tidiane KOUNTA parle scrupuleusement, avec la légitimité que lui confère son propre parcours administratif, sans dissoudre administrativement PASTEF.

C'est qu'on ne peut pas faire des omelettes sans casser des oeufs. Une façon de limiter les dégâts que la bête blessée est susceptible de provoquer dans son agonie est alors de fédérer les démocrates du pouvoir comme de l'opposition républicaine autour du respect des principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. Une entorse gravissime à la souveraineté nationale, imputée à PASTEF et à sa coalition YEWWI, vient une fois encore d'être signalée par la DIRPA obligée de monter au créneau pour attester de l'impossibilité de « concertations entre acteurs politiques et gradés des Forces de Défense ». En même temps, aucun démocrate des deux camps (pouvoir et opposition républicaine) n'estime conformes aux principes de la souveraineté nationale et de la démocratie les propos diffamatoires tenus régulièrement par Ousmane SONKO et consorts et dont la Justice, rouage incontournable de la démocratie, pâtit chaque jour.

Simplement pour dire que l'explication entre acteurs politiques responsables est le prélude (souhaitable) à l'acte administratif qu'est la dissolution. Il s'agit d'abord de convaincre de la double entorse - aux principes de la souveraineté nationale et de la démocratie - à l'occasion d'une consultation des forces démocratiques significatives en lice pour n'avancer ensuite qu'avec les démocrates des deux camps adverses. La démocratie sera alors sauvée. La République aussi.

Abdoul Aziz DIOP

Essayiste

Auteur de « Gagner le débat...» (L'Harmattan Sénégal & Éditions universitaires européennes, février 2023)

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