Les ressources sont rares sur le marché des Titres publics de l'Umoa. Seuls 278 milliards de FCfa ont été levés sur 445 milliards de FCfa sollicités au mois de mars. Qu'est-ce qui freine le marché ? Quels impacts sur les politiques publiques et le remboursement des dettes des États ? Éclairage des spécialistes.
Le marché monétaire de l'Uemoa semble en crise. Durant ce mois de mars, beaucoup de pays ont peiné à lever les montants mis en adjudication. Plusieurs États en ont fait l'expérience. D'abord, le Niger et le Burkina Faso ont été contraints de reporter et d'annuler leurs émissions prévues respectivement le 1er et le 2 du mois. Après ces deux pays, la Guinée-Bissau, qui a clôturé 2022 en beauté en mobilisant 40,98 de milliards de FCfa n'a pas pu boucler une opération d'un montant de 5 milliards de FCfa. Après bouclage des souscriptions, elle s'est retrouvée avec 1,06 milliard de FCfa. Finalement, elle a dû renoncer. D'autres pays ont également essuyé un échec sur le marché monétaire. Par exemple, le 14 mars, le Burkina mettait en adjudication un montant de 30 milliards de FCfa. Les rares partenaires ayant répondu à l'appel ont soumis 10,76 milliards de FCfa dont 10,24 milliards de FCfa venant des investisseurs locaux. Pour la semaine du 20 mars, l'État ivoirien a reçu 8,24 milliards de FCfa dont 8,2 milliards de FCfa venant des investisseurs ivoiriens, mais aucun montant n'a été retenu et cela pour un montant sollicité de 85 milliards de FCfa. Le Mali et le Bénin ont été, sur cette période, contraints de reporter leurs émissions. Après ces pays, le Togo a échoué dans son objectif de mobiliser 40 milliards de FCfa en Bons et Obligations assimilables du Trésor. Après l'adjudication, le pays n'a pu mobiliser que 9,68 milliards de FCfa, soit un taux de couverture du montant mis en adjudication de 24,19%. Cette pénurie de liquidités et un surenchérissement des coûts de financement ont contraint le trésor public togolais à renoncer à 1,1 milliard de FCfa sur le volume des souscriptions pour ne conserver que 8,58 milliards de FCfa. Ces contre-performances des États démontrent à suffisance « un marché en crise, en manque de liquidités ».
278,86 milliards mobilisés sur 445 milliards sollicités
Pour Philippe Urbain Sébastien Sarr, conseiller en investissement et ingénieur patrimonial en Banque privée, le marché financier des titres publics fait face à une baisse de liquidités de ses principaux investisseurs se traduisant par une réduction des souscriptions des investisseurs sur les opérations par adjudication des États de l'Umoa. Ces difficultés sont exacerbées, selon lui, par les faibles montants levés récemment. « En effet, au courant du mois de mars, sur un montant sollicité de 445 milliards de FCfa par les États émetteurs, les investisseurs n'ont souscrit que pour un montant de 278,86 milliards de FCfa. Il en est ressorti ainsi un faible taux de couverture de 62,66% des montants demandés par les émetteurs, principalement dû à une baisse de leur capacité de placement sur les obligations monétaires », informe M. Sarr .
Le relèvement des taux directeurs, l'une des raisons
D'après l'expert financier Abdoulaye Ndoye, analyste financier, senior trader à Invictus Capital & Finance, la crise est régionale et mondiale. Pour lui, en zone Uemoa, elle est accentuée par la montée des taux directeurs et la baisse des injections financières. « La Bceao a augmenté ses principaux taux directeurs. Ce qui a baissé les montants octroyés aux banques. La combinaison de ces deux éléments entraîne des problèmes de liquidités. L'ensemble des émissions se bouclent très difficilement parce que les banques ne viennent plus alors qu'ils sont les principaux acteurs du marché », explique Abdoulaye Ndoye. À l'en croire, le marché sous tension, les rares pays qui parviennent à lever le font à des taux plus élevés. « Si ces banques ont des problèmes de liquidités, cela va de facto impacter le marché. Ce qui empêche les États de lever les montants souhaités. S'ils parviennent à lever, c'est sur des taux très élevés. Sur la maturité de six mois par exemple, le taux est passé de 3% à 6% cette année », ajoute l'expert financier. Tout cela, selon lui, est compliqué par l'inflation, puisque nos États importent l'essentiel de leurs besoins. L'autre facteur qui entraîne cette « crise » est la fin des mesures d'accompagnement de la Bceao qui appliquait des taux plus bas que d'habitude, facilitant le refinancement des banques. Philippe Urbain Sarr abonde dans le même sens. À ses yeux, pour comprendre les causes de cette faible liquidité des gros investisseurs (banques, assurances, fonds d'Opcvm), il convient de faire une petite rétrospective sur l'évolution de la politique monétaire de la Bceao. « Durant la Covid-19, elle avait réduit à plusieurs reprises son taux directeur pour financer les économies fragilisées par la crise sanitaire renforçant ainsi ses politiques d'injection de liquidités. Dans un second temps, les effets de cette stratégie combinée à ceux de la guerre en Ukraine ont conduit à une situation inflationniste avec la hausse du niveau général des prix, en raison de la surliquidité du marché et d'un déficit de l'offre mondial. Le taux d'inflation dans l'Union s'établissait à 8,1% au mois de juillet. Pour contrer ces effets et soulager le panier des ménages, la Bceao a décidé de relever à plusieurs reprises son principal taux directeur. Ainsi, le 16 mars 2023, l'institut d'émission a eu à relever une quatrième fois de suite son taux directeur principal qui passe de 2,75% à 3,00%, soit une hausse de 25 points de base, avec un taux marginal qui s'établit à 5,00%. L'objectif d'une telle politique est de ramener le taux d'inflation de la zone à un niveau compris entre 1% et 3%. De l'avis de Philippe Urbain Sébastien Sarr, cette politique a contribué à réduire les injections de liquidités à travers le financement des banques commerciales par la Banque centrale, compte tenu du niveau élevé des taux d'intérêt. « Par la suite, les trésoreries, notamment de banque, ont été contraintes de revoir à la baisse leur appétit à l'investissement sur les obligations, afin d'assurer une bonne gestion de leurs liquidités ; ce qui a entraîné une baisse de leur participation aux émissions des États sur le marché des titres publics », ajoute M. Sarr.
Des États dans le désarroi
La situation est tendue et les États n'ont plus accès aux ressources comme avant. Les investisseurs ne répondent plus comme par le passé ou se retrouvent avec des taux très élevés. Abdoulaye Ndoye a peur que la situation s'empire à la longue. « Les derniers communiqués de la Bceao vont dans le sens du durcissement des conditions. Et les États, premiers acteurs du marché, seront impactés », estime-t-il. Pour lui, même si la situation venait à se régler d'ici un ou deux ans, les États qui ont levé des fonds durant cette période (à des taux élevés) seront tenus de rembourser à des taux élevés. « Donc, il y a des conséquences sur une longue période », résume-t-il. À côté des impacts sur les politiques publiques, la conséquence extrême serait un défaut de paiement. « Qu'on le dise ou pas, les États lèvent des fonds pour payer une partie de leurs échéances. S'ils n'ont pas de ressources, il peut y avoir défaut de paiement », considère Abdoulaye Ndoye.
La nécessaire diversification de la base d'investisseurs
C'est l'un défis majeurs d'Umoa-titres. Aux Rencontres sur le marché des Titres publics organisées en janvier dernier, le directeur général adjoint en charge de l'intérim de cette agence, Banassi Ouattara, rappelait l'urgence d'élargir la base des investisseurs pour plus de compétitivité et d'efficacité. « L'objectif d'élargissement et de diversification de la base des investisseurs doit être poursuivi », avait-il plaidé, estimant que cela concourt à la dynamisation et à l'efficience du marché. Dans cette perspective, souligne Abdoulaye Ndoye, il faut que les compagnies d'assurance viennent de plus en plus sur le marché monétaire. « Si la base des investisseurs est bien diversifiée, il y aura moins de risques et d'impacts », dit-il.
Les investisseurs se frottent les mains
Selon Philippe Urbain Sebastien Sarr, si aujourd'hui les États membres de l'Uemoa font face à cette crise de liquidités, les investisseurs se frottent les mains en raison des taux d'intérêt alléchants proposés par les émetteurs sur le marché des titres publics. D'après lui, sur le mois de mars, les émissions ont été exclusivement réalisées sur du court ou moyen terme afin de limiter les charges de la dette compte tenu du niveau élevé des taux d'intérêt. Ainsi, explique-t-il, sur la maturité de 60 mois, les prix marginaux ressortent jusqu'à 9 451 FCfa sur certaines émissions avec des rendements pouvant aller jusqu'à 7,51% (Émission de l'État du Mali du 08 mars). De même, sur la dernière opération du Togo sur la maturité de 12 mois du 24 mars 2023, le rendement est ressorti à 5,93%. Pour la Côte d'Ivoire par exemple, les taux zéro coupon sont passés de 2,87% au 30 décembre 2022 à 5,39% au 17 mars 2023 sur la maturité de 3 mois et 4,49% à 6,49% sur la maturité de 36 mois, traduisant le renchérissement de la dette avec le financement par adjudication.
Les États obligés de se tourner vers les organismes régionaux
Devant cette situation, il devient également de plus en plus complexe pour nos États de concourir aux financements par les marchés étrangers (Eurobond) à cause d'une prime de risque assez élevée pour des investisseurs étrangers orientés vers des placements plus sûrs et généralement plus liquides. Ainsi, souligne Philippe Urbain Sarr, les États ont recours à d'autres ressources pour soutenir leurs économies, notamment les financements auprès des organismes sous-régionaux et internationaux comme la Banque mondiale et le Fmi ou encore la Banque ouest-africaine de développement (Boad), qui procède actuellement à une opération de titrisation de 150 milliards de FCfa.