En 1968, Antananarivo compte quelque dix-sept mille étrangers. Et si la majorité des Malgaches ne disposent que d'un pouvoir d'achat modeste, parfois très faible, il serait également faux de croire que tous les membres de la minorité étrangère vivent dans l'aisance. « Des riches et des pauvres existent parmi eux », écrit Gérald Donque, enseignant-chercheur, dans une étude sur la population et la société tananarivienne, en 1968.
En outre, d'importantes différences existent entre eux, selon leur race et leur nationalité. L'auteur distingue ainsi cinq grandes catégories d'étrangers : les Français, les Comoriens, les Karana (Indiens, Pakistanais et apatrides d'origines indienne et pakistanaise), les Chinois et les autres Occidentaux. Les Français constituent la communauté étrangère la plus nombreuse, mais aussi la plus diversifiée. Ils se différencient d'abord par leur origine. Une bonne partie d'entre eux vient de La Réunion, plus rarement de Maurice, ou de... Madagascar même.
Le reste vient de la Métropole, la région parisienne et l'Ouest breton notamment, mais aussi le Sud. Il en arrive parfois des départements antillais, d'Indochine ou du Maghreb. Ces dernières catégories résultent de l'exode des Français d'Indochine une dizaine d'années plus tôt, ou du refoulement des Français de souche algérienne en 1965. Beaucoup de Français, bien qu'ils ne soient pas Zanatany ou « fils du pays » parce ce qu'ils sont nés dans l'ile, y sont installés depuis longtemps. Gérald Donque cite le cas de sept cent soixante-dix Français nés en France, mais qui ont résidé à Antananarivo depuis au moins trente ans, et de trois cent quatre-vingt-deux autres depuis une quarantaine d'années.
Avec les Zanatany, ils constituent un groupe de huit mille personnes, sur un total de dix-sept mille en 1962, « solidement implantées à Mada- gascar et, dans l'ensemble, ne songeant pas à rentrer en Métropole». Néanmoins, la nationalisation des cadres du secteur public dans les anciennes colonies, entraine de nouvelles mesures qui limitent désormais à six ans, le séjour dans un même pays des assistants techniques français. Ces dispositions font partir de Madagascar ceux qui ont plus de quatorze ans de service, ce qui atténue ce « caractère d'ancienneté de l'implantation des Français à Antananarivo». Ensuite, une différence dans le niveau de vie est constatée.
« On aurait tort de croire que tous les Français de Tananarive jouissent d'un haut niveau de vie. » Beaucoup sont du genre « petits Blancs » citadins que le faible degré d'instruction et l'absence de qualification professionnelle écartent des postes de haut salaire. Gérald Donque parle de 1,3% d'illettrés parmi la population française et de « 12,3% du reste qui n'a pas atteint le niveau de l'enseignement primaire ! »
Il s'agit surtout de Français de souche ou de Réunionnais contraints par-là d'accepter des emplois subalternes de plus en plus réduits avec la malgachisation des postes. Tout cela amène l'enseignant-chercheur à catégoriser les Français de la capitale en trois groupes, hormis le personnel diplomatique et consulaire et les familles des militaires. Il y a, primo, les assistants et conseillers techniques ainsi que les assimilés des administrations malgaches, surtout de l'Enseignement, aux « traitements assez hauts ».
Secundo, les industriels, grands commerçants et cadres supérieurs des firmes ont, eux aussi, un cadre de vie très élevé. Tertio, il y a les petits salariés du commerce et de l'industrie, cadres subalternes, ouvriers et employés des entreprises tananariviennes... Les deux premiers groupes jouent un rôle considérable dans l'administration et l'économie tananariviennes et malgaches. C'est « un rôle hors de proportion avec leur importance numérique, héritage de la colonisation et du sous-développement, qui ne semble pas devoir cesser bientôt ».
En 1968, les Français de la capitale sont bien acceptés par les Malgaches. Aucune ségrégation n'a jamais existé, « au moins en droit », et leur logement s'insère dans les quartiers où la population locale est toujours la plus nombreuse. « Néanmoins, les rapports avec cette dernière sont toujours assez rares, autrement que sur le plan professionnel. » D'ailleurs, lorsqu'ils existent, ils se situent au niveau des classes les plus aisées et les plus occidentalisées de la population locale.