Cote d'Ivoire: Chronique - L'hommage de Venance Konan à Valérie Oka

Il y a quelques années, tu m'avais demandé de dresser ton portrait pour une exposition ou une revue, je ne sais plus. J'écrivis avec mon coeur tout ce que je pensais de toi, de ton travail d'artiste, de tes oeuvres de tes performances. Je ne retrouve plus ce papier. J'aurais tant aimé le publier à nouveau en ce jour, parce que je sais que tu l'avais aimé. Et me voici contraint de refaire un autre article sur toi, en parlant de toi au passé, en essayant de rassembler mes souvenirs de tous les instants que nous avons passés ensemble.

J'ai en face de moi, dans un coin de mon bureau, ce beau portrait que tu avais fait de moi, dans ma bibliothèque, mon livre « Robert et les Catapila » dont tu avais fait la couverture de la première édition, et dans mon téléphone, des photos de nous, lors de l'une de tes expositions à Cap Sud. Valérie, tu peignais, tu dessinais, tu sculptais, tu créais des mobiliers, tu faisais des installations, des performances, bref tu étais une créatrice et tu étais la meilleure.

Tu étais l'artiste. Tu as été plusieurs fois primée à Dakar et ailleurs pour tes oeuvres. Tu étais provocatrice aussi, Valérie. Tu avais fait une performance sur ce thème : « Tu crois que parce que je suis noire je baise mieux ? » Et tu déployais un mannequin noir dans une cage avec une balançoire et un phallus géant.

Ah Valérie ! Je me souviens de tes visites il y a vingt ans de cela, lorsque je fus hospitalisé quelque part à Treichville pour cette même maladie qui t'a emportée. Tu m'apportais des revues pour me sauver de l'ennui. Je me souviens de nous, à Dakar. Tu y étais pour un atelier sur le design, et moi, j'étais de passage pour un reportage sur la Guinée Bissau.

J'y suis allé par la route en passant par la Casamance. On s'était retrouvé un soir chez Binette et Sawalo Cissé. Il y avait nos amis Vincent Niamien, Viyé Diba, Seyni Gadiaga, ces deux Sud-africains blancs si drôles, et ces deux Français. L'un, barbu et gros, toujours souriant, l'air d'un soixante-huitard, se disait amoureux de l'Afrique, où il se promettait de revenir et l'autre, corps sec au regard toujours fermé, nous dit, en nous regardant droit dans les yeux, qu'il détestait l'Afrique et qu'il n'avait aucunement l'intention d'y revenir.

Il dit à peu près ceci : « quand on va en Europe du nord, tout va bien, tout est ordonné, propre. Quand on descend vers le sud, ça commence à devenir désordonné, un peu sale. Quand on va en Afrique du nord, ça devient le bordel. Mais chez vous ici, je ne sais pas comment le qualifier. C'est le bordel intégral, c'est sale partout, et plein de mendiants qui vous agressent. » Quelqu'un dans la bande répliqua : « il y a bien des clochards en France. » Et lui, répondit : « oui, mais on ne les élève pas pour qu'ils deviennent des clochards.

Chez vous ici, on les forme dès le berceau à devenir des mendiants. » T'en souviens-tu Valérie ? Nous en avions bien ri, parce que quelque part, ce type nous disait une certaine vérité, même si elle ne nous plaisait pas. Tu avais aussi vécu quelque temps en Chine. Et tu me racontais des histoires très drôles sur ces chinois qui te draguaient. Tu mesurais près de deux mètres et tu portais toujours des chaussures à hauts talons qui te grandissaient encore plus. Je me tordais de rire en t'imaginant marchant dans le rue avec un Chinois. Notre dernière rencontre, si j'ai bonne mémoire, ce fut avec notre amie Marlène, la Française à l'Hôtel Ivoire.

Tu es partie Valérie. Brutalement. Et tout le monde te pleure. Nos amis de Bamako, Ouagadougou, Dakar, Paris, de partout dans le monde, ne comprennent pas. Je ne sais quoi leur répondre parce que je ne comprends pas non plus. Tu es partie, c'est tout. Que retenir de toi ? Le jour de ton départ, ma soeur, notre soeur Linda qui m'avait confirmé la nouvelle que je venais de lire sur internet m'a dit que tu es un ange qui a déposé sa lumière un peu sur tout le monde. C'est vrai Valérie. Tu rayonnais en permanence. Tu éclairais partout où tu te trouvais parce que tu étais une très belle âme. Continue de mettre de ta lumière sur nous, de là où tu es, en attendant que nous te rejoignions. Au revoir ma chère amie. Au revoir ma soeur.

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