Afrique Centrale: Assassinat de Martinez Zogo - Confusion médiatique et quasi-silence des autorités

Trois mois après l'assassinat du journaliste Martinez Zogo, « l'affaire » garde encore tous ses secrets. Gouvernement et justice ont opté pour le minimum syndical dans leur stratégie de communication, laissant le terrain aux rumeurs, aux manipulations et à la désinformation.

Ceux qui avaient espéré une transparence totale de la part des autorités dans « l'affaire Martinez Zogo » en sont pour leurs frais. Début février 2023, contre toute attente, Ferdinand Ngoh Ngoh, ministre d'État, secrétaire général à la présidence de la République, signe un communiqué, face à une opinion choquée par la découverte, le 22 janvier, dans une banlieue de Yaoundé, du corps mutilé, portant des indices de graves sévices, et en état de décomposition, d'Arsène Salomon Mbani Zogo, alias Martinez Zogo, porté disparu cinq jours plus tôt.

Le proche collaborateur du président Biya annonce alors l'interpellation des quelques personnes soupçonnées d'être mêlées à « l'assassinat » du journaliste, ainsi que la mise en place d'une « commission mixte police-gendarmerie », sur instruction du chef de l'État, pour faire la lumière sur cette « affaire ». Ferdinand Ngoh Ngoh fait aussi part de ce que d'autres arrestations suivraient.

L'on apprenait alors par les réseaux sociaux, et les médias traditionnels ensuite, l'interpellation du commissaire divisionnaire Maxime Eko Eko, patron de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), du lieutenant-colonel Justin Danwe, directeur des opérations à la DGRE, et de l'homme d'affaires Jean-Pierre Amougou Belinga, PDG du « Groupe L'Anecdote » dont la chaîne de télévision Vision 4 est le fleuron, parmi d'autres.

Rumeurs

Depuis, silence radio chez les autorités, si l'on excepte quelques rares communiqués du ministre de la Communication pour battre en brèche certaines affirmations et rappeler que le gouvernement suit avec intérêt ce dossier. Même la dénonciation fortement médiatisée de l'existence supposée d'une procédure parallèle à la « commission mixte police-gendarmerie », formulée par les avocats d'Amougou Belinga, n'avait pas suscité de réactions particulières de la part des autorités camerounaises.

Dans le même temps, les réseaux sociaux n'ont pas cessé de relayer toutes sortes d'« informations ». Les stations de radio ainsi que les chaînes de télévision diffusent des prises de position les plus contradictoires, dont celles des avocats de Jean-Pierre Amougou Belinga, Justin Danwe et de la famille de Martinez Zogo.

Illustration récente : la bataille d'interprétation des textes de lois par les avocats sur l'éventualité d'une mise en liberté provisoire de l'homme d'affaires qui a opposé son camp à celui de la famille du défunt animateur de l'émission populaire « Embouteillage ».

En attendant que la justice se prononce sur ce point le 27 avril prochain, des universitaires tirent des « leçons provisoires » de cette affaire. « L'affaire Martinez Zogo est venue mettre en lumière les intrications entre les systèmes médiatique, judiciaire et politique, analyse Thomas Atenga, professeur au département de communication de l'université de Douala. Chacun des acteurs poursuivant la même finalité : avoir l'opinion de son côté.

Le ministère de la Communication y est allé de pédalage en rétropédalage, mais toujours dans une posture défensive et justificatrice de l'importance que l'État accorde au monde médiatique. Par deux communiqués, le secrétaire général de la présidence de la République a ordonnancé l'enquête comme pour indiquer le plus haut intérêt que le sommet de l'État accordait à cette affaire, accentuant les soupçons de vouloir faire basculer la justice dans un sens ».

Quant aux prestations des avocats et des médias, l'universitaire explique que « les avocats des parties ont joué sur l'inexpérience du système médiatique national en matière de chronique judiciaire. Finalement, "l'affaire Martinez Zogo" est venue mettre en lumière la nouvelle économie morale du journalisme camerounais, notamment les arrangements (in)formalisés avec les mondes politiques, judiciaires, et celui de l'argent qui déterminent, au final, les processus et les modes de production, de consommation et de régulation des contenus info-communicationnels en pareille affaire.

Elle est révélatrice de l'encastrement entre médias, justice et politique au Cameroun. Le principe de neutralité a été malmené à la fois par les médias, la justice, les pouvoirs publics et l'opinion ».

« Secret de l'instruction »

Dans ce contexte, où fleurissent les rumeurs et où les risques de manipulation et de désinformation sont réels, nombreux sont les citoyens qui espéraient que le commissaire du gouvernement - l'équivalent du procureur de la République dans la justice civile - contribuerait à éclairer les esprits sur ce dossier. Mais depuis leur incarcération à la prison principale de Yaoundé début mars, à la suite de l'inculpation d'Amougou Belinga pour « complicité de torture par aide », et celle de Maxime Eko Eko et Justin Danwe pour « négligence et non-respect de consignes » et « kidnapping et torture », aucune information officielle n'a été donnée par le commissaire du gouvernement.

Les spécialistes évoquent le principe du « secret des enquêtes » et du « secret de l'instruction » avant la clôture de l'instruction pour expliquer ce silence. Pourtant, reconnaît un avocat au barreau du Cameroun, « il existe une dérogation à ce principe. Le commissaire du gouvernement a effectivement le droit de communiquer sur une affaire pendante devant le juge d'instruction, comme c'est le cas actuellement dans le cadre de "l'affaire Martinez Zogo".

Il peut le faire soit par voie de communiqué, soit par le biais d'une interview. Mais ce n'est qu'un droit et c'est le commissaire du gouvernement qui décide de l'exercer ou pas ». Et la même source d'ajouter : « S'il ne communique pas, c'est probablement qu'il ne trouve pas l'opportunité de communiquer. Il veut peut-être éviter que sa communication soit relayée par les réseaux avec le risque de perturber la compréhension du dossier. »

D'une manière générale, les regrets de Thomas Atenga n'en sont alors que plus audibles : « Au-delà du secret de l'enquête, il est clairement apparu que police et gendarmerie, peu habituées à communiquer en direction de l'opinion dans ce type d'affaire, n'ont pas intégré la nécessité de le faire pour tenter de couper court aux manipulations et autres désinformations. "L'affaire Martinez Zogo" est une invite aux autorités à renforcer la formation des corps habillés sur comment travailler avec la presse. »

En attendant, la pression sur le gouvernement pour faire la lumière sur l'assassinat de Martinez Zogo ne semble pas avoir complètement baissé d'intensité. Le défunt animateur de l'émission « Embouteillage » sur Amplitude FM aurait-il été victime des dénonciations insistantes de la gestion, par des membres du gouvernement, de divers chapitres budgétaires, dont l'homme d'affaires Jean-Pierre Amougou Belinga aurait été un bénéficiaire privilégié ? Telle est l'une des questions autour de ce « dossier » dont on espère que la justice camerounaise parviendra à démêler l'écheveau.

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