Congo-Kinshasa: Serge Malembi - « Six cents personnes sont restées ensevelies sous la terre lors de la construction de la Vallée de la mort »

Avec la visite du Belvédère, l'on découvre l'histoire de la ville de Matadi avec comme fil conducteur celle de la construction du chemin de fer Matadi-Kinshasa. Entretenu par Le Courrier de Kinshasa, le 18 avril, à l'occasion de la Journée internationale des monuments et des sites, le guide Serge Malembi, dont le récit repose sur un parcours tracé sur un plateau de cuivre posé sur une sorte de monument funéraire en marbre, nous en livre un des épisodes les plus poignants.

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : L'histoire du Belvédère serait étroitement liée à celle de l'existence de la ville de Matadi, qu'en est-il au juste ?

Serge Malembi (S.M.) : Le site du Belvédère est visité pour son monument qui a la forme d'une tombe, parce qu'il a été érigé à la mémoire des gens qui ont perdu la vie lors de la construction du chemin de fer, du 15 mars 1890 au 16 mars 1898. 1932 personnes sont mortes pendant les huit ans qu'a duré cette construction. Parmi elles, on a dénombré 1 800 Africains et Chinois ainsi que 132 Européens. Belvédère est un mot italien qui signifie belle vue.

Cela se rapporte à la vue panoramique de la ville de Matadi que l'on a, à partir de ce site surélevé. C'est le point culminant de la commune de Nzanza, situé à 295 m d'altitude. Nous devons l'existence de la ville de Matadi à la construction de la voie ferrée. C'est pourquoi le Belvédère est un des sites importants qu'il faut absolument visiter.

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L.C.K. : Le monument, a-t-il été construit ici même à Matadi et que décrit-il ?

S.M. : Il a été érigé ici depuis le 27 juin 1948 en provenance de la Belgique, la partie du haut est en cuivre et la base en marbre. Les écrits au-dessus retracent tout le parcours de la voie ferrée avec la représentation du paysage que l'on voit d'ici. Le pic Cambier fait référence à Ernest Cambier, le géomètre belge qui est intervenu dans le traçage de l'itinéraire du chemin de fer.

La partie appelée Vallée de la mort, c'est la montagne accidentée avec les pierres blanches. C'est la représentation du tronçon le plus difficile lors de la construction. Au départ, selon les études de faisabilité, la durée des travaux de la voie ferrée reliant Matadi à Kinshasa, les 388 km, était de quatre ans, mais ils ont en pris huit ans. Les quatre années supplémentaires ont été écoulées juste sur cette partie, la contrée chaotique.

L.C.K. : Qui est l'initiateur de ce projet du chemin de fer et pour quel but ?

S.M. : C'est Henry Morton Stanley en mission, sa septième, pour le compte du roi Léoplod II, cette fois, car il en avait fait six auparavant. Il a fait l'expertise du Congo et repéré les parties navigables du fleuve Congo de l'Ouest vers l'Est pour créer des points de ravitaillement des matières premières. Il s'agit surtout du caoutchouc qui doit être acheminé de Stanley ville, Kisangani actuel, vers la Belgique.

Les déplacements s'effectuaient par voie maritime. De l'embouchure du fleuve jusqu'à Vivi, à Matadi, le fleuve est navigable, mais de là jusqu'à Kinshasa, il ne l'est pas à cause des chutes et des rapides. Ce parcours se réalisait à pied, Stanley porté sur une chaise, le "tshipoyi", tandis que les matières premières et son bateau, un steamer démontable, étaient portés à dos d'esclaves. D'où la nécessité de construire un chemin de fer pour faciliter le transport. Il l'explique au roi Léopold II avec ce slogan : « Sans chemin de fer, le Congo ne vaut pas un penny ». Il a été construit d'abord pour servir les intérêts de la couronne belge.

L.C.K. : Pourquoi les travaux ont-ils autant duré au niveau de la Vallée de la mort ?

S.M. : Ce tronçon était un raccourci, mais il fallait créer un tunnel. A cette époque, la technologie n'était pas avancée. En y travaillant à la pioche, il y eut des éboulements, les morts, six cents personnes sont restées ensevelies sous la terre. Il y a eu changement d'itinéraire mais avant de le faire, ils ont passé quatre ans à frayer un chemin dans le roc, ils ont réalisé à peine 12 km en quatre ans.

C'est ainsi qu'est née l'expression kikongo "bulamatadi", casseur de pierres ou de roc. Car, il est impossible de construire à Matadi sans avoir à casser le roc, la ville étant montagneuse. Après les études menées par Cambier, le nouvel itinéraire tracé a permis de réaliser les 376 km restants jusqu'à Kinshasa les quatre années suivantes. Achevée, la voie a été inaugurée le 16 mars 1898.

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