Directrice de cabinet de la présidence de la République, Romy Andrianarisoa s'est prêtée au jeu des questions-réponses lors d'une interview « Expresse » et en exclusivité sur des sujets d'actualités.
Quelle sera la suite à donner au récent Business forum régional, BFR, organisé à Toamasina ?
En apportant son haut patronage au BFR Atsinanana, Analanjirofo et Alaotra Mangoro, le président de la République, Andry Rajoelina, tient fortement à ce que les opportunités économiques présentées soient traduites en projets structurants, qui bénéficieront au développement régional et plus largement à la population. Dans la nouvelle méthode de travail exigée par son Excellence, et après les nombreuses résolutions prises par les parties prenantes, il est maintenant question pour la Présidence, les ministères et l'Economic development board of Madagascar, EDMB, de procéder au suivi et au cadrage des IDN et IDE à venir sur ces territoires d'opportunités. Il est à noter également que cette dynamique régionale initiée doit couvrir l'ensemble des régions de Madagascar, afin de bien mettre en avant les avantages compétitifs de chaque région, et en complémentarité avec le projet One district one factory , Odof, porté par les Velirano.
Le BFR a également soulevé quelques problématiques, comme le retard pris sur le décret d'application de la Loi sur le développement de l'industrie à Madagascar ou le retard de la signature du contrat de concession et de vente pour le projet Volobe, dont les enjeux sont cruciaux pour la croissance du pays : en concertation avec le secteur privé et les partenaires de développement, des mesures seront prises rapidement pour aboutir à des solutions qui priorisent avant tout le développement de Madagascar et les impacts attendus auprès de la population.
Étant un membre, disons, influente du Groupement des Entreprises de Madagascar, votre nomination à la Présidence a-t-elle facilité le Dialogue public-privé ?
Effectivement, j'ai présidé pendant trois ans la commission éthique des affaires et développement durable du GEM et je me suis battue pour un accroissement de la performance du secteur privé malgache, dans une démarche soutenable et inclusive. J'ai également renforcé la visibilité et l'engagement du secteur privé malgache sur la scène de la durabilité africaine et internationale. Il est nécessaire que Madagascar soit une voix entendue au sein de ces plateformes internationales engageant le secteur privé. Ma prise de position en tant que directrice de cabinet du Président est une continuité de cette défense des intérêts de Madagascar en général. Je reste convaincue que le tissu des affaires représenté par les acteurs économiques est un moteur de développement du pays et que la synergie entre le public et le privé doit être renforcée, mieux structurée et plus efficace, pour adresser ensemble des questions aussi primordiales que la création de richesses, de chaînes de valeurs durables, d'emplois. Je me fixe comme priorité, conformément à la volonté du Président, de faire du dialogue public-privé un outil inclusif de prise de décision, qui doit améliorer les performances économiques du secteur privé au bénéfice du vahoaka malagasy : promotion des investissements, protection des consommateurs, amélioration des cadres réglementaires, etc. Dès ma prise de fonction, les représentants du SIM, du GEM et du FIVMPAMA ont d'ailleurs tenu une réunion de travail avec le MAE, le MEF, l'EDBM et la Présidence pour constituer un comité ad-hoc et penser la stratégie de sortie des pays les moins avancés.
N'avez-vous pas connu de difficulté par ce changement de cap dans votre carrière professionnelle ?
Tout changement de cap présente des défis et des difficultés, la raison pour laquelle le Malgache, et plus généralement l'être humain, évitent les changements. Mais c'est aussi et surtout à travers les difficultés uniquement que l'on arrive à grandir et progresser. Je suis sortie de ma zone de confort pour affronter des enjeux politiques particulièrement difficiles sur cette dernière ligne droite de fin de mandat. Mais mes objectifs sont clairs : servir la Nation malgache à travers un soutien objectif et clairvoyant que j'essaie d'apporter continuellement au Président. Il m'a fait l'honneur de sa confiance et cette opportunité de collaboration que j'ai acceptées parce que le Président est visionnaire, patriote et dévoué à défendre le vahoaka malagasy. Et nous sommes parfaitement alignés là-dessus. Certains amis du secteur privé ont été surpris, d'autres ont vite compris : une chose est sûre, nous convergeons tous à dire qu'une collaboration renforcée, plus fluide et plus efficace, entre le secteur public et le secteur privé doit être le moteur de la croissance durable urgente pour Madagascar. Me concernant, je suis reconnaissante que des changements me permettent de me challenger continuellement, et je garde ma méthodologie de travail acquise dans mon parcours formé par le secteur privé, à savoir la performance par les résultats, par le travail d'équipe et le culte de l'excellence, et cela tombe plutôt bien puisque c'est ce que le président de la République a choisi en me nommant.
« La blended finance représenteune soulution durable. »
Selon vous, qu'est-ce qui manque aux opérateurs nationaux pour un réel développement économique du pays, comme c'est le cas aujourd'hui dans plusieurs pays africains ?
Les quelques domaines sur lesquels l'Etat et les opérateurs économiques malgaches peuvent communément axer leurs performances pour s'aligner avec des pays comme le Sénégal, le Rwanda ou le Ghana sont : Le renforcement des investissements dans les infrastructures, le développement économique d'un pays dépend en grande partie de la qualité de ses infrastructures et nous avons encore des efforts importants à fournir en termes d'infrastructures de transport, de télécommunications ou d'énergie. Nous devons aussi renforcer la performance de nos frontières maritimes, aériennes et terrestres, dont la porosité facilite toutes sortes de trafics et de corruption.
Quant aux routes, elles sont les artères de notre île et au-delà de désenclaver les régions économiquement, elles doivent aussi permettre aux Malgaches de revivre ensemble, de circuler de manière plus facile et accessible, le manque d'investissements dans la formation et l'éducation à travers des programmes ambitieux de renforcement de capacités qui vont accroître la productivité des salariés. Nous allons créer des centres d'excellence dans différents domaines et renforcer ainsi les avantages compétitifs de Madagascar à des échelles régionale, continentale et mondiale. L'Innovation , si des progrès considérables sont constatés dans ce secteur, l'innovation est essentielle pour stimuler la croissance économique.
Les opérateurs économiques malgaches doivent investir davantage dans la recherche et le développement. L'État va soutenir ces efforts vers la structuration et la valorisation de l'innovation : dans le domaine de la digitalisation par exemple, l'institut national de la digitalisation va avoir pour vocation de créer des pools de jeunes experts dans des domaines informatiques de pointe tels que l'intelligence artificielle, la gouvernance numérique ou la block chain. L'accès au financement : puisque les taux d'intérêt bancaires nationaux restent peu compétitifs et attractifs, il est important que l'opérateur économique diversifie ses sources de financements.
La blended finance représente aujourd'hui une solution durable pour financer des projets structurants. Le gouvernement est conscient de la nécessité d'améliorer le climat d'investissement à Madagascar et l'EDBM mène un travail sans relâche dans ce sens.Des cadres réglementaires doivent être améliorés aussi mais nous pouvons déjà citer le code de l'or, ainsi que le code minier qui viennent d'être validés aux conseils des ministres. Le président de la République veut montrer des signaux forts dans ce sens, pour renouveler l'appel aux investisseurs étrangers, tout en protégeant la compétitivité des acteurs économiques malagasy.
Madagascar a-t-il les atouts nécessaires pourréussir son décollage économique ou s'agit-il d'un slogan galvaudé à toutes les sauces?
Je peux affirmer avec conviction que Madagascar dispose des atouts nécessaires pour s'engager sur la voie de l'émergence. Le premier facteur étant la performance démocratique de Madagascar, qui figure parmi les pays africains en tête du respect des principes de démocratie. Nonobstant, cela n'exclut pas que d'importants efforts doivent être entrepris en termes de gouvernance et d'exécution des orientations stratégiques. Enfin, sans cohésion nationale, cela ne sera pas possible ; nous avons tous un rôle à jouer dans ce décollage et parfois, il est nécessaire de rappeler que chacun des citoyens malgaches ou vivant à Madagascar, a des devoirs et des obligations pour nous permettre de construire ensemble un meilleur Madagascar pour nos enfants.
Des groupements économiques ont évoqué les charges fiscales comme un lourd fardeau à supporter. Peut-on les alléger par rapport aux besoins financiers de l'État ?
Avec un taux de pression fiscale de 12% du PIB, la priorité pour augmenter les recettes publiques de Madagascar n'est absolument pas une augmentation des impôts mais un élargissement de l'assiette fiscale, avec une régularisation progressive du marché de l'informel. Le Président est conscient de cet enjeu et cette question pourra représenter le sujet du prochain Dialogue public privé, DPP, pour avancer ensemble les meilleures solutions.
Quelles sont les retombées attendues du nouveau Code des investissements ?
C'est une petite révolution pour l'environnement économique malgache. Les résultats de ce nouveau code des investissements seront multiples : meilleur accès au foncier, captation accrue d'IDE et d'IDN, priorité nationale , autant d'éléments qui ont pour but d'améliorer le climat des affaires.
Est-il possible d'avoir la position exacte de l'Exécutif sur le projet Base Toliara ?
La seule préoccupation de l'Exécutif sur le projet Base Toliara et tout autre projet d'extraction minière est de s'assurer que toutes les conditions soient réunies pour démarrer le projet et s'assurer à sa signature que les intérêts des Malgaches soient défendus, que nous créons un précédent positif et solide pour l'ensemble des projets similaires à venir et enfin, que la compétitivité de Madagascar soit maintenue à l'échelle mondiale et sur la scène des pays à fort potentiel extractif.
Ainsi, et à l'instar de tout projet extractif, des étapes claires doivent être menées : étude d'impacts environnemental, social et sanitaire, plan de sauvegarde sociale, durabilité de l'exploitation d'Ilménite. Nous sommes conscients aussi que des programmes de formation de masse doivent accompagner l'essor de l'industrie extractive afin de permettre aux Malgaches d'acquérir les compétences et les connaissances requises par ces filières techniques.
Nous veillons de près à l'inclusion des politiques de contenu local et de durabilité, incluant la responsabilité sociale de l'entreprise, dans chaque démarche d'investissement plus généralement. Je conclurai en précisant que toute tentative de déstabilisation par l'opposition sur le projet Base Toliara, comme tout projet d'envergure, n'a pas lieu d'être, car la démarche adoptée est scientifique et pragmatique avant de statuer sur la suite. Je tiens à rassurer l'opinion publique : l'Exécutif étudie de très près cette question et vient d'ailleurs d'adopter en conseil des ministres l'avant-projet de loi sur la refonte du code minier.
Comment doit-on comprendre les prises de position récentes du Président dans la filière vanille ?
Le chef d'État a pour objectif suprême et primordial de défendre les intérêts du peuple malgache. La filière vanille couvre la moitié des régions de Madagascar et a longtemps été une source de revenus importants. Cela n'a pourtant pas permis à ces régions de bénéficier pleinement des impacts économiques attendus : nombreuses d'entre elles restent pauvres. Il y a un déficit flagrant de répartition des revenus. Par conséquent, l'objectif de ces mesures est donc de rééquilibrer la distribution des revenus au sein de la chaîne de valeur en protégeant particulièrement les planteurs et les petits paysans, d' assainir la filière qui est confrontée à des dysfonctionnements en termes de rapatriement de devises par exemple, ou en termes de conditions abusives pratiquées au niveau de l'attribution des agréments, de reconstruire la compétitivité de la filière en consultant l'ensemble des acteurs, afin que cette filière bénéficie véritablement à un essor industriel et économique pour Madagascar.