Afrique Centrale: Erreurs sur la personne - Comment le processus de réconciliation en Angola a déraillé

Près de vingt ans après la guerre civile, le gouvernement angolais a lancé, fin 2019, un vaste "plan de réconciliation", soutenu par des initiatives de justice transitionnelle que les universitaires Maarten van Munster et Joris van Wijk sont parmi les rares à suivre. Ils décrivent ici comment, en mars, des victimes en état de choc ont annoncé avoir reçu des autorités des restes humains qui n'étaient pas ceux de leurs parents.

Le processus de justice transitionnelle en Angola vient de subir un coup dur. Le 22 mars, un groupe de parents de victimes de la guerre civile, connu comme les orphelins du 27 mai, a annoncé que les ossements qu'ils avaient reçus des autorités angolaises comme appartenant probablement à leurs parents, se sont avérés n'avoir aucun lien avec eux. Dans une lettre ouverte au peuple angolais, les orphelins ont décrit la restitution des mauvaises dépouilles mortelles comme un "exercice cruel", "dans lequel les sentiments de perte, de douleur et de chagrin ont été inutilement éveillés, avec des objectifs dénués de noblesse".

La remise des restes fait partie du travail de la commission de réconciliation établie par le gouvernement et opérant en Angola depuis 2019. Nous avons précédemment écrit sur son travail en 2020 et 2021. Bien que la commission ait le mandat étonnamment étendu de réconcilier les Angolais face à tous les conflits politiques qui ont émaillé la guerre civile angolaise pendant 27 ans, les événements du 27 mai 1977 et leurs conséquences ont jusqu'à présent dominé son ordre du jour. Ce jour-là, une tentative présumée de coup d'État a eu lieu au sein du parti au pouvoir, le MPLA, à laquelle le pouvoir a répondu par une violence excessive et prolongée. Au cours des années suivantes, cette violence a fait des milliers de victimes. Le sujet du "27 de maio" a longtemps été un tabou et ce n'est que depuis récemment qu'il est discuté publiquement en Angola.

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Excuses publiques et restitution des dépouilles

Le 26 mai 2021, l'Angola a franchi une étape importante pour rompre le silence. Ce jour-là, le président angolais Joao Lourenco s'est excusé, au nom de l'État, pour les exécutions massives et a demandé pardon. Dans son discours, le président a également annoncé que tout serait mis en oeuvre pour localiser et identifier les restes du plus grand nombre possible de victimes, afin de permettre des cérémonies funéraires dignes, tout en citant douze victimes importantes en particulier. En mars 2022, l'engagement du président a semblé porter ses premiers fruits lorsque le ministre angolais de la Justice et président de la commission de réconciliation, Francisco Queiroz, a annoncé que les restes de la plupart des victimes nommées avaient peut-être été trouvés dans une fosse commune. L'ADN des proches parents devait encore être recueilli afin d'établir l'identité des dépouilles, mais celui de quatre d'entre elles a rapidement été confirmé.

Le 13 juin 2022, à l'approche des élections présidentielles, les restes des quatre victimes identifiées ont été rendus à leurs familles lors d'une cérémonie publique chargée d'émotion, à Luanda. Au cours de cette cérémonie, plusieurs orateurs, représentants du gouvernement et parents des victimes, ont prononcé des paroles conciliantes et élogieuses. Queiroz a déclaré que les documents relatifs à l'identification par l'ADN étaient "vérifiables" et "disponibles pour un examen international". Toutefois, le processus de comparaison des ADN a été réalisé par les autorités angolaises sans la participation d'experts internationaux en médecine légale.

Aucun des échantillons ne correspond à l'ADN

Quelques mois plus tard, les proches de certaines des autres victimes citées se sont également vu proposer la restitution de leurs dépouilles. Ce groupe de parents, souvent des orphelins vivant hors de l'Angola, a demandé un processus d'identification plus rigoureux, fondé sur les normes internationales et mené par des experts médico-légaux internationalement reconnus. Le gouvernement angolais a accédé à cette demande et, sur la base d'un accord intergouvernemental, le gouvernement portugais a contribué à la constitution d'une équipe d'experts portugais, qui s'est rendue en Angola en juillet 2022 afin de prélever des échantillons. À la grande surprise des proches des victimes, aucundes échantillons ne correspondait à l'ADN de leurs parents. "Nous sommes sûrs que les corps n'appartiennent pas à ceux qui étaient attendus. C'est une certitude scientifique", a ainsi déclaré l'un des experts.

Le gouvernement angolais n'a pas encore réagi officiellement aux conclusions des experts. Mais ce résultat soulève la question de savoir si l'identité des quatre premières victimes notoires dont les dépouilles ont déjà été réinhumées par leurs familles a été correctement établie. Par ailleurs, d'autres familles qui attendent les résultats des analyses ADN du gouvernement pour leurs proches ont exprimé ne plus avoir confiance en eux.

Un pénible processus de réconciliation

Pour certains, le fait que la commission de réconciliation ait été impliquée dans la restitution de mauvais ossements renforce l'image d'un processus de réconciliation incomplet, bâclé, non transparent et insuffisamment indépendant et impartial. Non seulement la confiance dans la détermination des résultats ADN par le gouvernement angolais est nulle, mais l'approche de la commission pose un certain nombre d'autres problèmes structurels : l'accent mis sur l'événement du 27 mai au détriment d'autres conflits politiques, le manque de clarté sur le concept même de "conflit politique" et la composition unilatérale de la commission (dominée par les représentants du gouvernement), pour ne citer que les plus importants.

En juillet 2021, le mécontentement suscité, entre autres, par la composition unilatérale de la commission, son manque d'intérêt pour l'établissement de la "vérité historique" et sa conception large du statut de victime, a déjà conduit un groupe important de victimes du 27 mai à suspendre toute coopération avec la commission. Dans un précédent article, nous avons décrit le problème général où l'accent exclusif mis par la commission sur les "conflits politiques" semble placer a priori de nombreux crimes internationaux commis pendant le conflit militaire en dehors de sa compétence.

La tâche ardue qui s'annonce

Le décret présidentiel de 2019 sur la base duquel la commission de réconciliation fonctionne, stipule que celle-ci doit conclure ses activités le 31 juillet 2021. Bien que le site Internet de la commission ne fournisse aucun détail, nous avons été informés que, plus d'un an et demi plus tard, elle est toujours opérationnelle. Pour l'instant, aucune nouvelle date n'a été fixée pour la fin de ses travaux et on ne sait pas encore qui la dirigera puisque son ancien président et homme fort, Queiroz, ne figure pas dans le nouveau gouvernement angolais. Quoi qu'il en soit, il est évident qu'une tâche colossale attend la commission et son nouveau président. Un travail de réparation est nécessaire pour corriger la débâcle des victimes mal identifiées du 27 mai, tandis que les victimes d'autres conflits politiques sont également susceptibles de se manifester et d'attendre de la commission qu'elle réponde à leurs besoins. Il n'est pas évident qu'elle puisse répondre de manière satisfaisante aux attentes actuelles et futures.

En ce qui concerne le travail de réparation, le gouvernement semble avoir mal commencé. Lors d'une cérémonie de commémoration de la fin de la guerre civile le 4 avril 2023, le président Lourenco a décoré à la fois l'une des principales victimes des massacres du 27 mai (à titre posthume) et un ancien officier des services secrets qui, dans plusieurs livres et témoignages, a été désigné comme un exécutant bien connu des massacres. Un certain nombre d'observateurs ont exprimé leur indignation face à la décision de mélanger les victimes et les auteurs présumés au cours de la même cérémonie de décoration.

Quelle construction de la mémoire ?

L'une des tâches assignées à la commission était de décider d'un "mémorial en l'honneur des victimes des conflits politiques". Au cours de l'été 2022, Queiroz a présenté son projet définitif. L'entreprise chinoise Nova Jiangsu, qui a remporté l'appel d'offres pour ce projet, commencera les travaux de construction cette année et devrait les achever dans un délai de 16 mois. L'édifice, baptisé "Alliance éternelle", se compose de deux blocs interconnectés représentant une étreinte. Le mémorial s'étend sur neuf étages et comprend, entre autres, une collection numérique sur les différents conflits politiques, une salle d'exposition et de conférences et une boutique de souvenirs. Le coût total de la construction est estimé à 33 millions d'euros.

Compte tenu des nombreuses critiques et des tâches inachevées auxquelles la commission est confrontée, il reste à voir comment ce monument sera accueilli par la société angolaise. Tant que le mandat et l'objectif de la commission ne seront pas clairement définis et qu'ils resteront susceptibles d'interprétations multiples, ce pourrait être une nouvelle cause de polémique et de critiques, plutôt qu'une contribution à une véritable réconciliation.

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MAARTEN VAN MUNSTER ET JORIS VAN WIJK

Maarten Van Munster et Joris Van Wijk sont respectivement maître de conférences en droits de l'homme à l'Université des sciences appliquées de La Haye et professeur associé de criminologie à la Vrije Universiteit Amsterdam. Ils sont tous deux membres du Centre pour la justice pénale internationale.

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