Madagascar: Karana et Chinois, deux sociétés très différentes

Derrière leur homogénéité de façade, les communautés karana cachent de profondes différences », écrit Gérald Donque dans son étude sur la Population et sociétés tananariviennes (lire précédente Note).

En 1968, les Hindouistes sont peu représentés dans la capitale où « il n'existe pratiquement que des musulmans ». Mais à l'intérieur de cette religion, « quelle mosaïque de sectes ! ». L'auteur de l'étude cite alors les Bohra, musulmans convaincus qui s'astreignent au voyage à la Mecque. Commerçants avisés, en général, ils réussissent bien en affaires. Les Khoja peuvent donner « l'apparence d'un détachement religieux», mais il n'en est rien même s'ils ont fortement occidentalisé leur genre de vie.

Les Souni ou Sunnites, malgré leur appartenance à l'Islam, demeurent « divisés en castes » et leur situation économique « reste aléatoire». Quant aux Aga-khanistes, ils constituent « la secte la plus nombreuse et la plus charpentée ». Il existe aussi un Conseil provincial des Ismaïliens de la branche nizarite, dont le président est le mandataire de l'Aga-Khan pour toute l'ile. Très groupés dans le quartier de Tsaralalàna, les Karana font l'objet d'une méfiance générale de la part des Malgaches qui « leur reprochent, à tort ou à raison, leurs pratiques commerciales déloyales et parfois malhonnêtes, leur âpreté au gain, leur dureté en affaires, leurs agissements usuriers... ».

Dans son étude, Gérald Donque évoque aussi les Chinois. Ces derniers commencent à s'installer dans la Grande ile entre 1897 et 1903, lorsque les colonisateurs font appel aux coolies de la région de Canton, pour construire routes et voie ferrée. L'expérience est un échec et l'on doit vite les rapatrier. Certains restent pourtant à Madagascar, ouvrent un commerce de détail en brousse dans les régions orientales, font venir leurs parents ou leurs amis. Le Chinois d'Antananarivo est avant tout un commerçant de détail dans l'épicerie. Sa boutique regorge d'objets des plus hétéroclites. Certains préfèrent aussi tenir un restaurant de spécialités.

Leurs hommes étant trop largement majoritaires, beaucoup prennent pour femme une Malgache et ainsi s'explique le grand nombre de métis sino-malgaches, «aujourd'hui» (en 1968) citoyens malgaches de droit, mais toujours intégrés et bien acceptés dans le milieu chinois. Selon l'auteur de l'étude, on trouve parmi eux toute une hiérarchie. Il y a celui qui a réussi, c'est-à-dire dont les affaires prospèrent et dont le magasin, situé dans le centre-ville, clair, aéré, est fréquenté par une clientèle aisée. Il y a aussi le petit épicier de quartier, besogneux, végétant dans un secteur à bas pouvoir d'achat. C'est à l'intérieur de la communauté chinoise que se règlent toutes les affaires de leur petite société, sans qu'il soit besoin de faire appel aux administrations ou aux tribunaux officiels.

La Congrégation est aussi le conservatoire de leurs moeurs et coutumes. Enfin, c'est en son sein que se règlent les dettes de jeu. « Car le Chinois reste un gros joueur et il n'est pas rare qu'au cours d'une même nuit, lors d'une partie de mahjong, telle boutique change deux ou trois fois de main. » Le Chinois ne fait jamais étalage de sa fortune et cache ses problèmes sous la discrétion. Il est « bien accepté des Malgaches à cause de sa modestie, de son affabilité, des menus services qu'il rend à tous ».

En 1968, le choix politique entre Beijing et Taipeh reste d'actualité. Officiellement (c'est-à-dire sous la Ire République), les Chinois de Madagascar sont représentés par une ambassade de la Chine nationaliste (Taiwan), « mais il est difficile de connaitre les sentiments intimes individuels ». Enfin, il y a la question de l'avenir des enfants. Autrefois, le fils ouvre une boutique en brousse avant de revenir s'installer à Antananarivo à son propre compte ou succéder à son père. Mais le secteur tertiaire est saturé, la concurrence des Indiens redoutable, les enfants trop nombreux. Et le niveau insuffisant de l'école franco-chinoise ne leur permet pas d'accéder à des postes salariés élevés.

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