«Tananarive a su conserver son cachet authentique (...) Peu de villes au monde auront su autant que Tananarive rester aussi profondément elles-mêmes, exprimer toute l'âme et la richesse de leur terroir, tout en s'ouvrant aux enrichissements extérieurs, reflétant ainsi le caractère profond du peuple malgache qui puise dans son insularité ses traits originaux, absorbant pourtant avec enthousiasme les apports extérieurs bénéfiques, mais rejetant implacablement le «trop» qui risquerait de détruire son essence propre.
Tananarive apparaît ainsi comme le fruit d'un heureux brassage entre ses origines proprement malgaches et des apports étrangers, notamment dans le domaine architectural et monumental» (Philippe Oberlé, «Tananarive et l'Imerina. Description historique et touristique», Tananarive, Société Malgache d'Édition, 1979, p.10).
Quarante-trois ans après l'impression de ce magnifique ouvrage, et quarante-sept ans après la photo de couverture et ses nombreux Trano Gasy à flanc de la colline originelle d'Antananarivo, que reste-t-il de ce «cachet» ?
À définir, c'est-à-dire donner un contenu lisible à fin de partage et diffusion, le ressenti : voilà finalement à quoi s'attellent les initiatives, enfin de plus en plus nombreuses, qui se reconnaissent dans l'amour d'une certaine idée d'Antananarivo. Les peintres, classiques ou plus modernes, ne s'y trompent pas : dès qu'il s'agit de mobiliser l'affect, ils rendent unanimement hommage aux Trano Gasy sur des tableaux qui, par cette simple évocation, acquièrent ce je-ne-sais-quoi entre sympathie et respect, quelque chose des «embona sy hanina» si joliment décrits par Siméon Rajaona, et les poètes qu'il avait appelés à témoin, dans les «Takelaka notsongaina» (1961).
Aujourd'hui, c'est au tour de la FLSH (Faculté des Lettres et Sciences Humaines) de l'Université d'Antananarivo d'apporter sa pierre à l'édifice, avec la tenue du colloque «Paysage et architecture d'Antananarivo : de la connaissance à la sauvegarde». Je mets en exergue certaines communications au titre suffisamment explicite : «Antananarivo : une question d'identité et de sauvegarde» (Rasoarifetra Bako), «Évolution du paysage et de l'architecture d'Antananarivo depuis la naissance de la Ville jusqu'à nos jours» (Rajaonarison Helihanta), «Syncrétisme architectural dans le Royaume de Madagascar (1810-1896)» (Rakotomalala Hajanirina), «Antananarivo : urbanisme et architecture durant la période coloniale (1896-1960)» (Mathilde Desvages), «Politiques culturelles nationales et architectures (1960-2020)» (Rasoloarison Jeannot), «Du projet de proposition d'inscription de la Haute Ville d'Antananarivo sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO : le processus et les obstacles à surmonter» (Rafolo Andrianaivoarivony), «La ZPPAUP au service du Patrimoine : servitudes et gestion» (Raveloarison Théodore).
De Trano Gasy, à Antananarivo en particulier, et sur les hautes terres centrales en général, il en tombe en ruines, presque chaque jour. Indifférence privée et vandalisme d'État se conjuguent dans l'ignorance et le négationnisme pour effacer de la mémoire paysagère d'Antananarivo un marqueur identitaire : le Trano Gasy, fruit d'un heureux syncrétisme de la deuxième moitié du XIXème siècle. Il n'est pas trop tard pour adopter, en l'adaptant, ce vieux cri de guerre : «No pasaran».