Ile Maurice: Pension d'invalidité - Le parcours du combattant de patients éligibles

Ils ne comprennent pas pourquoi leur pension a été supprimée, et pire, leurs demandes d'explication restent vaines. Ces trois Mauriciens, vivant chacun avec un handicap différent, reviennent avec peine sur leur situation difficile depuis que l'aide du ministère de la Sécurité sociale ne leur est plus versée.

Il souffre d'épilepsie depuis très longtemps. Il touchait une pension depuis 20 ans car sa situation ne lui permet pas de travailler. «D'ailleurs, au fil du temps, le dosage de mes traitements a augmenté, prouvant que ma situation s'empire», explique cet habitant de Vacoas. Tous les ans, il devait passer devant le Medical Board du ministère, composé de médecins et de juristes, pour que sa condition soit évaluée afin d'avoir sa pension. Jusqu'en août de l'année dernière. Six mois après ce passage, il a reçu une lettre lui disant qu'il n'était plus éligible, mais qu'il pouvait faire appel de cette décision devant le Medical Tribunal.

La raison de la suppression n'est pas mentionnée dans le courrier. Son rendezvous a été fixé pour mai. Entre-temps, il compte sur le soutien de sa famille. «Beaucoup de gens ne le savent pas, mais je ne peux pas mener une vie normale. Pa kapav kondwir, pa kapav fer ninport ki travay. Mo fatig ekstra vit», confie-t-il. Certes, il a eu plusieurs formations pour des métiers adaptés à sa condition, mais ensuite, il n'a jamais eu de placement. Il se souvient même d'une fois où des officiers lui ont demandé de dire qu'il a été placé pour les caméras, ce qu'il a refusé de faire. «Je fais souvent des crises. D'ailleurs, ma langue en est la preuve. Ena boukou koupé sak fwa ki mo fer kriz», rajoute-t-il pour expliquer son incompréhension face à la situation qu'il considère comme injuste.

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Il n'est pas le seul cas. Il y a celui d'un autre jeune homme de 29 ans qui est aveugle. Il a été prévenu de la suppression de sa pension deux semaines après que la décision a été prise. D'ailleurs, lorsqu'il n'a pas eu son versement, il a dû se déplacer vers un bureau de la Sécurité sociale pour s'enquérir et c'est là qu'il a appris la nouvelle. C'était en janvier. S'est ensuivie une série d'appels téléphoniques, toutes avec des réponses aussi confuses les unes que les autres, affirme-t-il. Il n'a jamais eu d'explications quant aux raisons qui ont motivé cette décision. Finalement, il apprend qu'il sera convoqué au board médical fin février. Le courrier l'informant de la suppression de l'aide de l'État est arrivé après.

Le jeune homme se rend au board avec un certificat médical émanant d'un médecin de l'hôpital confirmant sa cécité. Le certificat est refusé car pas assez explicite... Il est informé qu'il devra se faire ausculter par un autre spécialiste. Un mois après, il reçoit un autre courrier confirmant son rendez-vous. À l'hôpital, le spécialiste lui remet cette fois-ci un certificat avec tous les détails confirmant sa condition.

C'était loin d'être la fin de son calvaire. Le certificat doit être remis à la Sécurité sociale. Un proche du jeune homme se rend à Port-Louis. Il est informé qu'il doit aller au bureau de Rose-Hill. Là-bas, les fonctionnaires ne peuvent pas prendre le certificat non plus, et lui demandent d'aller à Port-Louis. Toujours pas le bon bureau. Cette fois-ci, on lui demande d'aller au bureau de sa localité et là, on l'informe qu'il doit aller à Rose-Hill. Depuis, rien...

Le troisième cas est une fille atteinte de trisomie. Ses proches expliquent que sa Carer's Allowance n'a pas été supprimée car elle n'en a jamais eu. Les fonctionnaires de la Sécurité sociale ont dit qu'une personne qui n'est pas alitée n'y a pas droit, affirment ses proches, incrédules. Sauf que la fille n'est pas autonome.

Ses proches avaient fait appel au Medical Tribunal en novembre 2021. Le courrier confirmant son rendezvous précisait qu'elle pouvait être accompagnée d'une personne de son choix. Sauf que là-bas, son frère n'y a pas eu accès. «Le board a évalué une personne trisomique sans assistance et a déterminé qu'elle n'avait pas besoin de Carer's Allowance.» C'était le 14 février 2022. Dans ce cas, la décision n'a pas tardé. Une lettre datant du 15 février a donné le verdict à la famille. Aide refusée.

«Cela n'a pas de sens qu'une personne vivant avec le syndrome de down soit évaluée chaque année, car il n'y aura pas de changement dans son état.»

Les questions se bousculent sur ce cas. Dans une correspondance envoyée au ministère, le 16 novembre 2021, les proches ont demandé : «On what grounds if she does not even have a reasoning faculty?» Pas de réponse jusqu'à présent.

Plaidoyer pour une approche humaine

Ali Jookun, fondateur d'U-Link & Down Syndrome Association, avance que le problème est le board médical. Il rappelle qu'il évoque ce problème spécifique depuis 2007, en vain. Il avait expliqué, à l'époque, que seuls deux médecins ne peuvent pas établir le taux d'incapacité d'une personne. «Il faut non seulement des professionnels qui travaillent avec les personnes handicapées sur ce board, mais aussi plus de transparence sur les critères utilisés», avait-il dit à l'époque.

Quinze ans après, il tient toujours le même discours car rien n'a changé dans la composition de ce board. Aujourd'hui, c'est ce board qui évalue si une personne est handicapée à 60 % ou plus et si elle a besoin d'une pension complète, ou à moins de 60 % et a donc droit à Rs 2 500. «Déjà, il faut faire la différence entre les personnes malades et les handicapés. Les personnes malades peuvent guérir et retrouver leurs facultés alors que les handicapés, non. Donc, les démarches ne peuvent pas être les mêmes», avance Ali Jookun.

Pour lui, cela n'a pas de sens qu'une personne vivant avec le syndrome de Down soit évaluée chaque année, car il n'y aura pas de changement dans son état. Tout comme les personnes amputées. «Vous savez qu'une personne amputée above the knee n'est pas considérée comme invalide à 60 % ? Il faut absolument une amputation below the knee pour satisfaire ce critère. Quelle est la logique derrière ?», demande-t-il. Raison pour laquelle il réitère son appel à plus de transparence dans les critères. Il est temps d'avoir une approche tournée vers les droits humains au lieu de l'approche purement médicale, ne cesse-t-il de dire.

Sollicité, le service de communication du ministère de la Sécurité sociale ne nous a pas répondu.

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