Cadre des ex-Forces nouvelles, et proche collaborateur de l'ancien Premier ministre Guillaume Soro, Alain Lobognon a été un acteur et un témoin des événements qui ont abouti à la chute de Laurent Gbagbo. Dans cet entretien, l'ancien ministre des Sports revient sur ce pan de l'histoire de la Côte d'Ivoire, et se prononce sur la résurgence des propos bellicistes. Aussi jette-t-il un regard analytique sur les progrès de la Côte d'Ivoire durant ces douze dernières années.
Quand on a été acteur et témoin de l'histoire récente de la Côte d'Ivoire, il n'est pas aisé de revenir, chaque année sur la date du 11 avril 2011, qui est perçue comme le bout du tunnel d'une grave crise, je dirais une crise dont notre pays aurait pu se passer n'eut été les positions tranchées des mauvais perdants qui ont provoqué à une crise armée. Il est très malaisé pour un partisan de la Paix en Côte d'Ivoire de rappeler chaque fois qu'il y a eu des morts et donc des familles endeuillées, des exilés, et des dégâts matériels énormes... tout ceci, conséquences du refus d'accepter le verdict des urnes, le verdict de la démocratie. Par ailleurs, en tant qu'Ivoirien, j'ai le devoir et l'honnêteté de dire que ces événements, bien que douloureux, ont permis à notre pays d'amorcer un renouveau politique, démocratique et économique.
Aux côtés du Premier ministre d'alors, Guillaume Soro, vous avez participé à la gestion de ce conflit. Quels ont les faits déterminants de cette crise ?
Je rappelle qu'il est très difficile pour un acteur d'une telle crise de témoigner sans s'attirer des foudres de certains parvenus qui, au quotidien, tentent de réécrire l'histoire de notre pays. En tant qu'acteur engagé aux côtés du Premier ministre Guillaume Soro, désigné par l'Accord politique de Ouagadougou, je me souviens qu'il fallait être armé de courage pour ne pas trahir la Côte d'Ivoire, qui venait de se désigner, un Président démocratiquement élu, après deux tours d'élections en octobre et novembre 2010. Certains auraient pu opter d'oeuvrer comme Ponce Pilate en choisissant de laisser ceux que l'on appelait à l'époque les belligérants électoraux, se débrouiller. Alors que personne n'ignorait la force de l'un des belligérants disposait de formes militaires pour conserver le pouvoir qu'il avait en réalité perdu dans les urnes. C'est ici que j'affirme que notre engagement pour rétablir la vérité des urnes et faire appliquer la décision du peuple ivoirien de confier les rênes du pouvoir au candidat réellement élu, n'avait obéi qu'à une logique politique mûrement assumée. D'aucuns diront mais pourquoi avoir attendu jusqu'au 11 avril 2011, pour un verdict électoral connu depuis ce dernier dimanche de novembre 2010. Ce sont les circonstances et les contingences qui ont finalement imposé l'option de la force, quand le dialogue permanent n'a pu faire respecter le verdict des urnes. C'est une façon de dire que le dialogue fut tenté au cours des mois qui ont précédé le 11 avril 2011. Car, ne l'oublions pas, le dialogue est l'arme des forts. Malheureusement, parce que certains voulaient en découdre avec leurs frères, les armes ont été le dernier recours. La dernière option qui a permis de rétablir la démocratie en Côte d'Ivoire.
N'avez-vous pas commis l'erreur de croire que Gbagbo que Monsieur Laurent Gbagbo se plierait au verdict des urnes ?
Avec du recul, je crois que nous n'avons pas eu tort de privilégier le dialogue. D'ailleurs au soir du 28 novembre 2010, personne ne s'attendait à un revirement de situation, à un refus d'accepter la défaite électorale, à un refus de reconnaître la victoire du candidat du RHDP. Combien d'Ivoiriens étaient-ils capables d'imposer au Président Laurent Gbagbo d'accepter qu'il avait bel et bien perdu l'élection du 28 novembre 2010 ? Ceux qui ont dit que notre trop grande confiance en Laurent Gbagbo a favorisé la survenue des événements du 11 avril 2011, doivent revoir leur jugement. La Côte d'Ivoire aurait pu faire l'économie de cette crise si certains grands acteurs de notre pays avaient très tôt accepté les règles de la Démocratie. En louvoyant avec le peuple, ces acteurs qui se connaissent, ont une grande part de responsabilité pour avoir préparé et entretenu cette crise depuis les derniers mois de la vie du Président Félix Houphouët-Boigny. Dans tous les cas, s'il y avait une situation pareille, ma posture ne changera pas. Ce sera le Dialogue, toujours le Dialogue, et encore le Dialogue.
Aujourd'hui, il continue de réfuter sa responsabilité dans cette crise argument qu'il a été acquitté et qu'il faut chercher les coupables. Que pensez-vous de cette attitude ? Avez-vous le sentiment qu'il n'a pas retenu les leçons du passé ?
Les choses ont changé. 10 ans loin de son pays, ça change beaucoup. Même si le Président Laurent Gbagbo continue de réfuter sa responsabilité dans cette crise, rappelons juste à ceux qui lui donnent raison que ce n'est pas la CPI qui a vécu les événements malheureux de Côte d'Ivoire. La CPI n'est qu'un instrument de la justice internationale. Nous avons une Justice en Côte d'Ivoire. C'est la Justice du Peuple ivoirien. Cette Justice qui est l'émanation du peuple ivoirien n'a jamais dit que le Président Laurent Gbagbo avait été abusivement accusé s'agissant de la crise post-électorale. Des Ivoiriens ont perdu la vie. Des Ivoiriens ont tout perdu. Si le FPI avait reconnu sa défaite, la Côte d'Ivoire serait rentrée dans une ère d'apaisement politique et démocratique et de progrès économique dès le 1er décembre 2010. Laurent Gbagbo n'aurait pas passé dix ans à la CPI. Parce qu'en définitive, il n'a pas été traîné devant la CPI dont son régime a reconnu la compétence, par un complot ourdi par ses adversaires politiques, mais pour les violences postélectorales en Côte d'Ivoire, dont notre pays aurait pu faire l'économie s'il avait reconnu, en tant que cet homme politique qui fut opposant du Président Félix Houphouët-Boigny, sa défaite dès les premières tendances officielles l'annonçant perdant face à son challenger Alassane Ouattara.
Pourquoi chercher des responsabilités ailleurs, quand on a été identifié comme celui qui a été incapable d'appeler les militaires à préserver la paix en Côte d'Ivoire ? Soyons sérieux pour une fois et évitons de nouvelles polémiques inutiles. Ceux qui cherchent ailleurs d'autres coupables se trompent lourdement. Parce qu'il n'y a pas d'autres coupables à trouver. Il y a une Justice en Côte d'Ivoire qui a déjà jugé des personnes poursuivies pour les mêmes faits. Certains ont été condamnés. D'autres ont été libérés, et d'autres encore ont été amnistiés. Si ceux qui ont été blanchis par la justice ivoirienne appellent à rechercher des coupables ailleurs, le pays n'ira jamais de l'avant. Quant à savoir ce que je pense de cette attitude, je réponds qu'il s'agit de la position d'un homme politique qui tient à rester au-devant de la scène politique avec des partisans dont certains ont oublié ce qu'ils ont fait lorsqu'ils exerçaient le pouvoir d'Etat. Cette attitude politique ne doit pas servir d'argument pour ralentir la marche politique et le progrès économique de notre pays. C'est pourquoi, je veux ici m'adresser aux enquêteurs de la CPI, qui semble-t-il chercheraient à trouver ces autres coupables dont on parle dans le camp de l'ancien régime. Je leur demande d'éviter de créer de nouveaux remous en Côte d'Ivoire qui a réussi en quelques années à bâtir des institutions solides qui font progresser les affaires de Justice. Je leur demande de se remémorer le cas kenyan et de classer définitivement leur dossier. D'ailleurs, il y a 12 ans en arrière, si notre pays avait disposé d'une organisation judiciaire sensible aux attentes des populations, je crois qu'aucun Ivoirien n'aurait été transféré à la CPI et chacun responsable aurait depuis connu son sort.
De même, on assiste après 12 ans d'accalmie, à la résurgence des propos bellicistes de l'opposition principalement du PPA-CI qui nourrit une volonté farouche de revanche. Qu'en pensez-vous ?
Ils parlent de revanche ? Il n'y aura aucune revanche qui tienne place en Côte d'Ivoire. D'ailleurs, pour moi, la résurgence des propos bellicistes démontre clairement que leurs responsables n'ont vraiment rien compris des enjeux nouveaux. Ils n'ont pas compris que la Côte d'Ivoire, sans eux, avance très bien. Ils n'ont pas compris que la façon de faire la politique a bien évolué depuis 1990 où les injures publiques et la violence sous toutes leurs formes, ont fait leur apparition en politique en Côte d'Ivoire. A l'époque, l'on parlait de printemps. Ce printemps-là est passé, et avec lui, on a connu un hiver et un harmattan. Aujourd'hui, ces discours bellicistes n'apporteront plus rien, ni à leurs auteurs, ni à ceux qui en raffolent. Veulent-ils en découdre ? Alors qu'ils réservent cette débauche d'énergie pour les prochaines élections municipales, régionales et sénatoriales.
On sait tous ce que les 12 ans de stabilité et de développement ont apporté à la Côte d'Ivoire. Pourquoi des hommes politiques ne veulent-ils pas préserver cet héritage en faisant la politique autrement ?
C'est le propre de certains hommes politiques partout dans le monde qui rêvent de gérer une parcelle du pouvoir d'Etat. Que ce soit dans les démocraties avancées ou dans certains pays stables, aucun régime ne fait l'unanimité. On fait monter les enchères pour se positionner, pour exister au quotidien. L'héritage en Côte d'Ivoire doit être préservé par les Ivoiriens, principaux bénéficiaires de la stabilité politique et sociale qui permet aux hommes politiques de monter les enchères de la gestion ou du partage du pouvoir.
De 2011 à 2023, quels sont les progrès de la Côte d'Ivoire qui vous ont marqué ?
Les progrès sont nombreux. Il faut avoir le courage de le dire, même si à un moment donné, il y a eu des atermoiements qui m'ont amené à critiquer notre gouvernance, la gouvernance de notre régime. Ce que j'ai surtout réclamé, c'était la question de la réconciliation nationale avec le retour d'exil de bon nombre de nos compatriotes réfugiés dans la sous-région et même en Europe pour les plus fortunés. Sur un autre plan, je tire le chapeau au leadership du président de la République qui a su faire jouer l'unité nationale en mettant tout en oeuvre pour faire triompher le dialogue entre les principaux acteurs politiques de notre pays. C'est encore la question de la lutte contre la pauvreté avec des programmes concrets visant les populations des zones reculés. L'idée des filets sociaux qui bénéficient à des milliers de familles est une première en Côte d'Ivoire et nombreux sont ceux qui en profitent et qui témoignent de l'effectivité du partage des richesses nationales. C'est également les grands travaux de développement sur lesquels nous étions tous très attentifs au cours du premier mandat du Président Alassane Ouattara. Aucune région sur les 31 que compte la Côte d'Ivoire n'a été omise s'agissant des travaux d'infrastructures et d'équipements par le Gouvernement. Le pays est partout en chantier.
Pour finir que voudriez-vous que les Ivoiriens retiennent de ces 12 ans de paix, stabilité et développement ?
Il serait prétentieux pour moi de demander aux Ivoiriens de se contenter de ce qu'il a été réalisé en 12 ans de gouvernance du Président Alassane Ouattara. Il faut plutôt les encourager à réclamer davantage de stabilité et de paix en Côte d'Ivoire, afin d'attirer encore plus de grands investissements tant nationaux qu'étrangers. Car, il n'y a que dans la paix et la stabilité que le développement est possible.