Ile Maurice: Le travail face aux défis d'une nouvelle configuration sociale

Après deux ans d'absence, les forces politiques se feront plus audibles le 1eᣴ-Mai. Pas toutes, mais celles du gouvernement sans les partis de l'opposition mainstream, qui n'ont pu accorder leurs violons pour se retrouver sur une plateforme commune après de longues négociations pour accoucher d'une alliance électorale dont les derniers contours se font toujours attendre.

Résultat des courses : l'alliance MSM et consorts se retrouvera presque seule à Vacoas le 1eᣴ-Mai pour tenter de monopoliser le terrain politique et galvaniser ses troupes. Le début d'un démarrage de campagne pour une échéance électorale que certains disent imminente avec à la clé un possible troisième mandat à la tête du pays.

En tout cas, le MSM et ses alliés politiques tenteront de gagner l'opinion publique après la succession de scandales qui ont marqué leur gouvernance ces derniers mois, dont le dernier, la «Stag Party» qui, tel un feuilleton, se joue à Grand-Bassin avec des acteurs et autres figurants proches du pouvoir actuel. Sans doute, c'est de bonne guerre pour démontrer, seul sur le ring à Vacoas, une unité affichée et la confiance retrouvée pour une nouvelle bataille électorale.

Passée cette démonstration de forces à venir, que doiton retenir de ce 1eᣴ-Mai new normal, où certains syndicats et d'autres petites formations politiques marqueront toutefois cet événement très symbolique par des rassemblements ? Hier comme aujourd'hui, les travailleurs ont su au fil des années revendiquer leurs droits dans les champs, les usines, voire les bureaux.

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Un combat somme toute légitime qui remonte aussi loin que les années 30 avec des syndicalistes associées à l'époque au PTr, et par la suite au MMM avec notamment la General Workers Federation des années 70, pour ne citer ces deux-là. Ils ont pu visiblement faire avancer les causes des travailleurs souvent à coup des manifestations, grèves de faim et autres formes de contestation populaire.

Un long chemin certes accompli, mais loin d'être achevé. Surtout avec de nouveaux défis se profilant sur la route des travailleurs qui doivent sans doute se livrer à une introspection pour mieux comprendre les réalités de leur milieu professionnel depuis la crise pandémique.

Nature du travail

Car aujourd'hui à quelques jours de cette fête, une réflexion s'impose. La crise du Covid est venue transformer le mode et la nature du travail aussi bien que son lieu d'opération. De nouveaux concepts meublent aujourd'hui le quotidien des syndicats comme les agences de recrutement et autres sociétés chasseurs de têtes.

Ils ont pour noms télétravail, travail hybride, flexibilité des horaires ou encore The Great Resignation. Des concepts issus de deux ans de crise pandémique et qui pourraient rythmer l'évolution du travail pendant encore quelques années.

Il va sans dire que le télétravail constitue aujourd'hui un levier essentiel du monde du travail et qu'on est passé de l'adaptation forcée à l'anticipation pour demain. Mais de quoi sera fait demain, s'interrogent certains en évoquant le future of work, soit la question qui suscite la réflexion des entreprises. Oui pour le retour au bureau mais la question primordiale demeure : pour y faire quoi et pour combien de temps.

Alors que l'avènement des nouvelles technologiques avec l'Intelligence artificielle (IA) et la robotisation qui ont pris le relais dans certains secteurs comme les banques et les grandes surfaces posent des problématiques sur les limites du face-to-face au travail à l'avenir.

D'où l'option, explique Manish Bundhun, Chief People Executive du groupe Rogers, d'un modèle de travail qui privilégie l'hybride largement adopté aujourd'hui par les entreprises. Car à Maurice, il existe une réalité pour certains types d'activités où la présence physique d'un employé n'est pas forcément nécessaire comme celui engagé dans le back-office.

En revanche, l'interaction entre collègues est nécessaire pour maintenir l'esprit d'appartenance à l'entreprise. «Si la nature du travail a changé, transformant le mode d'opération de certains secteurs, couplé aux pressions de l'exode de jeunes professionnels et d'une crise démographique, est-ce que les stakeholders ont la bonne stratégie pour pallier ces urgences face à une nouvelle configuration du travail qui se déploie ?» s'interroge Manish Bundhun.

Encore que le modèle hybride soit aujourd'hui remis en question par des multinationales américaines quant à son efficacité pour maintenir leur productivité et favoriser les feedbacks des employés. La Harvard Business Review rappelle dans son édition de mars-avril 2023 : «The new world of hybrid work is about more than determining whether everybody should come back to the office full-time, or whether two or three days a week makes more sense, or whether employees should be allowed to work from home.» Elle ajoute que «...companies have found themselves testing longheld assumptions about how work should be done and what it even is - and have started to realize that the changes they're contemplating to workplace practices and norms may be more significant than anything that's happened in generations». À méditer !

Mais il y a aussi la valeur du travail, qui se trouve au centre des interrogations des manifestants en France contre les réformes de la retraite pour en étendre l'âge légal de 62 à 64 ans. Quand on s'embarque dans une culture encourageant les travailleurs à travailler moins pour gagner moins, on peut se poser des questions sur la valeur réelle du travail dans la société.

Nicolas Goldstein, cofondateur de Talenteum.com, trouve que la valeur du travail continuera d'évoluer en 2023 en raison de facteurs économiques, sociaux et technologiques en constante évolution. Il y a, dit-il, l'automatisation et l'IA qui sont susceptibles de continuer à avoir un impact sur certains types de travail, en particulier les tâches répétitives et routinières.

Ce qui peut «conduire à une polarisation de l'emploi, où ceux à faible revenu et à faible qualification sont les plus susceptibles d>être automatisés, tandis que les emplois à haute qualification et à forte demande de compétences non techniques peuvent devenir plus précieux». Une tendance qui, si elle se poursuit, pourrait, selon des spécialistes, constituer une menace sérieuse pour l'avenir de la main-d'oeuvre humaine dans certains secteurs économiques.

La «Grande démission»

Mais l'évolution du travail implique aussi le phénomène de la Great Resignation, soit la grande démission ou encore le quiet quitting. Un phénomène qui touche les États-Unis et l'Europe où des professionnels, voire d'autres employés, décident un jour de tout abandonner à 50 ans pour chercher autre chose dans la vie.

Nicolas Goldstein explique que la great resignation est un phénomène récent observé dans plusieurs pays occidentaux, où de nombreux travailleurs quittent leur emploi pour en chercher un nouveau ou même changer carrément de carrière. Il constate que nombreux sont les digital nomads qui arrivent dans le pays en prenant avantage du Visa Premium.

Qu'on n'occulte pas le fait. La grande démission est la réponse faite à la pandémie de Covid-19 qui a changé les priorités et les attentes des travailleurs, explique Nicolas Goldstein. «La pandémie a conduit de nombreuses personnes à repenser leur vie professionnelle, leur offrant l'occasion de réévaluer leurs objectifs et leurs aspirations en se rendant compte que leur travail actuel ne leur convient plus.»

En revanche, le quiet quitting, selon lui, est une tendance connexe où les travailleurs quittent leur emploi sans faire de bruit ou sans même alerter leur employeur. Faut-il y déceler des signes que ce phénomène gagne déjà les rives mauriciennes ?

Certainement oui, soutient Manish Bundhun, mais pas nécessairement à 50 ans car il reconnaît qu'il existe très peu des professionnels qui peuvent se permettre un tel luxe. «La pandémie aura été un cri du coeur. Il y a eu un examen de conscience sur l'essence même de la vie. Pour cela, certains employés ont voulu donner une autre orientation à leur vie professionnelle en cherchant une plus grande harmonie entre le travail et la vie personnelle.»

Le travail, l'ascenseur social pour les travailleurs et porteur de dignité humaine, passe par une phase de profonds bouleversements. Les acquis d'hier pour les travailleurs pourraient devenir désuets et se volatiliser face aux impératifs d'un nouvel environnement de travail. Engageons la réflexion.

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