Burkina Faso: Insécurité au lycée technique Sangoulé-Lamizana - Un gang d'élèves perturbe les cours à coup de lacrymogènes

Un groupe d'élèves perturbent les activités scolaires au sein du Lycée technique national Aboubacar-Sangoulé-Lamizana (LTN-ASL) depuis le vendredi 14 avril 2023. Sans s'identifier, ni formuler de revendication particulière, ils jettent quotidiennement du gaz dans l'établissement, semant l'incertitude au sein des élèves sur la fin de l'année scolaire.

Dès 6 heures, ce jeudi 19 avril 2023, Salif Ilboudo fait le portier, l'air déterminé, à l'entrée du Lycée technique national-Aboubacar-Sangoulé Lamizana (LTN-ASL). Le gardien a reçu des consignes fermes du proviseur de l'établissement : aucun élève ne doit pénétrer au sein de lycée s'il ne porte pas sa tenue scolaire. Mesure classique pour un établissement scolaire, mais elle est exceptionnelle en ce jour.

Et pour cause, depuis une semaine, des « jeteurs de gaz » sévissent dans l'établissement. Il s'agirait d'un groupuscule d'élèves, selon le proviseur Evariste Millogo qui veulent saboter la fin de l'année scolaire. Alors, le responsable de l'établissement a mis en alerte le personnel administratif et de soutien pour faire la veille autour des différents bâtiments. Il faut que les cours et les évaluations se déroulent normalement, selon le chronogramme établi : arrêts des notes le 10 mai ; conseils de classes le 25 mai. « Leur année est sans issue, ils veulent donc gâcher celle de tout le monde », peste le proviseur.

Mais ce jeudi, ayant une contrainte au niveau de la délégation spéciale de son arrondissement dont il assure la vice-présidence, M. Millogo doit s'éclipser un moment. Après son départ, à 8H40 le Conseiller principal d'éducation (CPE), Hamado Sawadogo reçoit l'information que des palets de grenades lacrymogènes ont été lancés dans l'établissement ce matin encore. Il se précipite hors de son bureau. Dans la cour, des élèves transportent trois de leurs camarades évanouis à l'infirmerie.

L'atmosphère est suffocante à mesure qu'on s'approche du bâtiment de Techniques industrielles (TI) situé à la lisière des classes, côté Nord de l'établissement. Au-delà, c'est la forêt. Les auteurs des troubles sont soupçonnés d'être venus de là. N'ayant pas eu accès à l'entrée, ils ont dû passer par le mur pour pénétrer dans le lycée de ce côté. Le CPE fouille des yeux dans la foule d'élèves qui s'éloignent du lieu où les gaz se dégagent. Il tourne derrière le bâtiment, des jeunes filles, la plupart voilées sont assises dans l'espace aménagé pour la prière. « Et vous, vous n'avez rien vu ! », leur lance-t-il.

« On était en classe, monsieur. C'est à cause du gaz qu'on est sorti et on est venu ici pour réviser », répond l'une d'elles quand les autres se contentent de fixer le conseiller d'éducation sans piper mot. Hamado Sawadogo retourne sur ses pas. La cour du lycée est maintenant remplie de monde. Il se dirige vers ses collègues qui lui apprennent que d'autres palets de gaz ont été lancés à l'entrée du lycée. Salif Ilboudo en a eu pour son grade. « Un groupe d'une dizaine d'élèves sont arrivés. Ils se sont d'abord rassemblés du côté opposé de la voie, face au portail.

Certains étaient en tenue scolaire mais ils n'ont pas cherché à entrer. L'un d'eux est passé par le mur et a jeté du gaz dans le bâtiment administratif inoccupé au sein du lycée. Un autre s'est précipité sur moi, m'a jeté le gaz qu'il tenait et m'a poussé », relate le manoeuvre, manifestement choqué par l'action. « J'ai été pris de vertige un moment. C'est parce que je suis un homme que j'ai pu tenir sinon j'aurais pu tomber », commente-t-il. S'il est établi, au sein du lycée, que ce sont des élèves qui sont à l'origine de ces jets de gaz dans l'établissement, personne ne se montre capable d'identifier les auteurs.

Ce sont des « bandits »

Une autre journée de perdue, peste un groupe d'élèves de la Terminale G2 qui se retrouvent dehors à la faveur de cet incident. Le énième depuis le vendredi 14 avril, premier jour où ces actions ont débuté. « Alors que nous sommes à jour J moins 62 pour les épreuves du BAC G2 », s'inquiète une élève du groupe qui refuse catégoriquement de se présenter. « Il ne faut pas que les élèves me croisent dehors et me créent des problèmes. Ce sont des bandits », lance-t-elle.

Même si chacun a une idée de qui sont ces « bandits », personne ne veut citer de nom. On se contente de désigner le bâtiment A où prennent cours les élèves de 2nde en Techniques industrielles. Pour le proviseur, il s'agit de les prendre la main dans le sac. « Si les preuves sont établies, j'exclus définitivement le ou les coupables conformément au règlement intérieur », tonne-t-il.

La difficulté réside dans l'établissement des preuves, sinon, le proviseur et ses collaborateurs ont l'oeil sur un certain nombre d'élèves avec de « fermes convictions » qu'ils font partie des perturbateurs, sans disposer de preuves, malheureusement. « Nous les connaissons parfaitement. Ce qui reste c'est de les attraper et les réprimer », insiste le proviseur. A 10H30, nouvelle alerte, cette fois en 1ère G2.

La salle est envahie par du gaz émanant de deux palets de grenade lacrymogène lancés devant la porte. Les 73 élèves se bousculent vers la sortie en se bouchant le nez et la bouche pour éviter d'inhaler la substance piquante et irritante. Certains passent par les fenêtres. Une, deux, trois, quatre filles perdent connaissance et s'écroulent au sol. Leurs camarades les transportent au fur et à mesure à l'infirmerie que les trois précédentes ont libérée. Les trois lits et le petit espace d'environ 12 mètres carrés sont très vite débordés. La quatrième est étalée sur un pagne à même le sol.

Une cinquième fille tombée en syncope est « prise en charge » dans la cour même de l'établissement. En guise de soin, les secouristes improvisés mouillent des bouts de tissus et l'appliquent sur les narines des victimes tout en les ventilant. Ces élèves, en majorité des filles, semblent rodées aux gestes de réanimation. De toute façon, il n'y a pas d'autres alternatives.

L'infirmière n'est pas présente aujourd'hui et l'infirmerie ne doit son nom qu'aux trois lits disposés dans la pièce. Dehors, des élèves expriment leur déception pour cette nouvelle déprogrammation. Elysa tient encore ses feuilles de composition. Elysa est le nom que nous lui donnons pour respecter son souhait de garder l'anonymat.

Le sujet était à sa portée et elle en veut aux camarades qui ont créé l'incident. L'adolescente soutient que le gaz a été lancé depuis la classe de 2nde AB3 situé à l'étage tout juste au-dessus de la 1ère G2. Pour elle, l'explication est toute simple. C'est parce qu'ils ne s'en sortent pas dans les notes que des élèves s'acharnent à empêcher toute évaluation dans l'établissement depuis le vendredi 14 avril. Les évaluations de mathématiques financières, d'économie et organisation des entreprises et de français ont toutes été sabotées par le même procédé.

Un supplice quotidien

« Le semestre est presque fini alors qu'il nous reste plusieurs devoirs à composer », déplore Elysa qui en veut au « réseau » à l'origine de ces perturbations. Elle a peut-être une idée sur l'identité des membres de ce réseau, mais rien n'y fait, elle ne donnera pas de nom, ni d'indice. Le fait même de discuter avec des membres de l'administration est en soi un danger, assure-t-elle. « Il y a des gens quand tu les vois, toi-même tu sais que si tu dénonces, pour toi est gâté (Sic) », soutient la jeune élève.

Le professeur de mathématiques, Dramane Traoré y voit de la duplicité de la part de l'ensemble des élèves qui refusent de dénoncer leurs camarades. Les enseignants subissent également cette indiscipline des élèves. Une professeure avoue ainsi avoir été contrainte de revoir la rigueur qu'elle imposait dans ses classes dans la surveillance des devoirs, le report des absences et retards, etc. après qu'elle a reçu des menaces non voilées. « On sait où vous habitez », lui aurait déclaré des élèves en plein cours.

Le comité de la Fédération des syndicats des travailleurs de l'éducation et de la recherche (F-SYNTER) du LTN-ASL entend donc actualiser sa plateforme revendicative qu'elle va déposer « incessamment ». Elève en 1ère G2, Estelle est victime des bombes lacrymogènes ce jeudi encore. Estelle est le nom fictif que nous donnons à cette jeune élève qui a une crainte sérieuse de ses camarades fauteurs de troubles.

« S'ils ont pu jeter les gaz et mettre en danger nos vies, c'est qu'ils sont capables de tout », glisse-t-elle. Asthmatique, Esther ressent des douleurs au coeur, des vertiges et éprouve des difficultés à respirer à chaque fois qu'elle aspire ces gaz. Elle s'est évanouie le vendredi 14, jour où les troubles ont débuté. Elle est tombée encore le lundi et le mercredi après-midi.

Les symptômes persistant même à la maison, son père avait décidé qu'elle ne se rendrait pas au lycée ce jeudi, certain que le devoir serait reporté.Mais deux camarades de classe l'ont appelée ce matin lorsque l'évaluation fut maintenue. Esther s'est donc fait déposer à l'école et quelques heures plus tard, elle subissait son supplice quasi-quotidien.

Pour ne pas que le lycée ferme

Yacouba Saré, ancien élève du lycée et coutumier de la violence des élèves au sein de l'établissement assure que les auteurs ne peuvent pas être identifiés. En tout cas pas sur dénonciation d'un élève. Il y a une sorte d'omerta que des élèves imposent aux autres. « Si un élève les dénonce, ils vont tout faire pour le retrouver et le lui faire payer », assure cet élève qui a changé d'établissement pour reprendre le Bac F3.

Les perturbateurs n'assument donc pas leurs faits ouvertement et leurs motifs sont tout aussi flous. Les troubles de ce mois d'avril ont pris prétexte des manifestations des étudiants de l'Unité de formation et de recherche en Sciences de la vie et de la terre (UFR/SVT) de l'université Joseph-Ki-Zerbo qui a dégénéré dans la semaine du 10 avril en un affrontement avec une unité de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS).

Une publication relayée sur les réseaux sociaux des élèves du LTN-ASL, dans la soirée du jeudi 13 avril a prétendu que la police s'en est prise à un élève du LTN-ASL et incitait les scolaires à la riposte le lendemain vendredi 14 avril. Un affrontement a effectivement eu lieu le jeudi entre les étudiants de l'UFR/SVT (séparée du LTN-ASL par un mur) et une unité de la CRS. L'affrontement s'est répété le lendemain vendredi et des palets de gaz lacrymogènes des forces de l'ordre se sont retrouvés dans la cour du lycée technique.

Les élèves ont ainsi collecté les palets de gaz qui ne se sont pas déclenchés et les voilà dotés pour poursuivre d'autres fins. Seulement, personne ne confirme la détention d'un élève du LTN-ASL par les forces de l'ordre. Le président du bureau des élèves du LTN-ASL, Toguim Baudouin Maré reconnait avoir tenté de rentrer en contact avec les policiers pour leur faire comprendre que leurs grenades lacrymogènes atterrissaient dans le lycée. Quoi qu'il en soit, le bureau des élèves se démarque de ces actions et a mis en place une cellule de sensibilisation qui est passée dès le lundi 17 avril dans toutes les classes pour sensibiliser leurs camarades.

Dans un coin de son esprit, le délégué général voit le spectre de la fermeture du lycée Philippe-Zinda-Kaboré. « Si le plus grand lycée du Burkina a pu être fermé, ce n'est pas le LTN-ASL qui va y échapper », déduit-il. Mais de l'avis de l'enseignant Wahabo Balboné, Secrétaire général du comité F-SYNTER de l'établissement, « la situation n'est pas si alarmante » pour entraîner une fermeture de l'établissement comme l'a été le lycée Zinda. « Cette affaire va prendre fin et l'année scolaire pourra se boucler.

Mais le plus important c'est de mettre fin aux troubles de façon systémique en instaurant la discipline et le respect des textes à travers, notamment, le fonctionnement efficient des instances », analyse-t-il. Le problème semble être effectivement en passe d'être jugulé en ce début de semaine. Il n'y a pas eu de gaz lacrymogène le lundi 24 avril. L'offensive de l'administration a permis de dénicher quelques palets de grenade dans la forêt et sous les escaliers du fameux bâtiment A, celui où prennent cours les élèves en techniques industrielles.

« Avec le concours du bureau des élèves, nous avons positionné des gens à des endroits stratégiques pour surveiller les élèves et nous avons fouillé aussi dans la forêt », explique le proviseur. Ces investigations ont bénéficié de l'appui d'agents de renseignement qui gardent l'oeil justement sur cette forêt, lieu névralgique de trafic de stupéfiants. C'est pourquoi, même si les perturbations semblent être contenues, Evariste Millogo appelle toujours au secours : « on fait tout ce qu'on peut, mais on a besoin d'être sécurisé. »

Le « Fonds commun des enseignants »

La pratique constitue une sorte de « fonds commun des enseignants ». Sur la base d'un texte qui donne au personnel enseignant le droit d'inscrire des enfants à sa charge dans l'établissement où il officie, il est ressorti dans la pratique que chaque enseignant a droit à deux places dans son établissement. Places qu'il est loisible à celui-ci de monnayer à sa guise. D'où la course aux places des enseignants à chaque rentrée. Mais au LTN-ASL, au lieu de deux places, chacun a plutôt une place et demie. C'est-à-dire une place garantie dans les filières tertiaires (comptabilité, informatique...) et le droit de passer le test pour les filières industrielles (génie civil, mécanique), précisément les 5 classes de 2nde TI. Le problème est que très peu d'élèves réussissent à ces tests. Seulement une dizaine d'élèves alors que sur le terrain, les enseignants se retrouvent dans des classes bondées qui tournent autour de la centaine d'élèves. Certains estiment donc que l'administration « deale » les places. Mais les organisations syndicales contestent la pratique qui constitue une passerelle pour intégrer des élèves indisciplinés dans les établissements et ne permet pas de maitriser les élèves. Et pour cause, un élève qui sait qu'il a payé pour s'inscrire dans un lycée n'aura aucun scrupule pour transgresser la discipline de cet établissement.

Plaidoyer pour la levée des franchises scolaires

Face à l'indiscipline caractérisée qui a cours au sein de son établissement, le proviseur Evariste Millogo appelle vivement à la levée des franchises scolaires. Il en fait la campagne depuis qu'il fait face, dans son établissement, à « un groupuscule d'élèves qui troublent la quiétude de tout le lycée ». Selon lui, les franchises ont été instituées parce que « la menace » venait de l'extérieur. Aujourd'hui, seule la force publique peut permettre de venir à bout de la menace devenue endogène. « Nous on fait tout ce qu'on peut mais vous voyez que ça ne résout pas le problème. Qui peut nous sauver si ce ne sont pas les forces de l'ordre ? », se demande-t-il. Mais les franchises constituent une ligne rouge pour les syndicats, notamment la F-SYNTER pour qui « la discipline n'est pas liée à la présence policière ». La solution est toute simple selon les partenaires sociaux : le fonctionnement efficient de toutes les instances. « Si un élève arrive dans les conditions normales dans un établissement, il sait ce qui l'attend s'il pose problème. »

Un problème de discipline... et de gestion ?

Le lycée technique national Aboubacar-Sangoulé-Lamizana est coutumier des actes d'indiscipline depuis belle lurette. Plusieurs enseignants intervenant au sein de l'établissement notent une situation « récurrente » depuis une dizaine d'années et qui tend à se radicaliser de plus en plus. Les élèves ont introduit l'utilisation de grenade lacrymogène ces dernières années. Le comité de la Fédération des syndicats des travailleurs de l'éducation et de la recherche (F-SYNTER) lie l'exacerbation de l'indiscipline à la systématisation hors du cadre réglementaire de recrutement. Les responsables de l'établissement admettent qu'il y a des élèves qui arrivent sur simple présentation de dossier. Mais la situation s'impose à eux, selon ce qu'ils ont laissé entendre. Alors que la perception générale est qu'ils reçoivent de l'argent pour retenir les dossiers de ces élèves, eux prétendent qu'il s'agit de question où il n'y a pas trop le choix. En off, l'un d'entre eux esquisse une explication imagée : « Quand on t'envoie, il faut savoir t'envoyer. »

Entre excellence et médiocrité

Le LTN-ASL a la singularité de receler l'excellence et la médiocrité. En effet, ce lycée technique reçoit de brillants élèves affectés par l'Etat sur la base d'excellents résultats aux examens. De plus, ce sont des élèves de cet établissement qui ont eu l'initiative d'une cotisation qui a permis de mobiliser la somme de 500 000 FCFA comme contribution à l'effort de guerre. Il appartient à l'Etat de prendre ses responsabilités pour ne pas que la tendance négative inhibe ces ondes positives que dégage cet établissement.

 

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.