Des centaines, peut-être des milliers de prisonniers semblent avoir pu s'échapper, ces derniers jours, de plusieurs prisons, notamment dans la région de Khartoum. Parmi eux, des personnes soupçonnées des crimes les plus graves commis sous l'ancien régime d'Omar el-Béchir. C'est le cas notamment d'Ahmed Harun, ancien ministre de l'Intérieur, recherché par la Cour pénale internationale (CPI) depuis 2007 et accusé de crimes contre l'humanité au Darfour.
Ahmed Harun était dans la prison de Kober, l'une des plus grandes du Soudan et des plus anciennes, située à Khartoum Nord. Les prisonniers les plus importants y sont détenus. Arrêté en 2019 après le coup d'État qui a renversé Omar el-Béchir, l'ancien ministre de l'Intérieur a toujours nié les charges qui pèsent contre lui à la CPI.
Dans un communiqué audio diffusé sur la chaîne Tayba TV, l'ex-chef du National Congress Party dit qu'il y était emprisonné, avec d'autres, au début du conflit : « Nous sommes restés à Kober, sous le feu croisé pendant neuf jours. Même quand il n'y avait plus de gardiens et de prisonniers. Mais nous avons désormais la responsabilité de notre protection. » Les gardes l'auraient laissé partir et il serait dans un endroit sécurisé, dit-il. Ahmed Harun affirme être prêt à se rendre et à passer devant la justice quand la situation sera de nouveau normale. Il encourage aussi les Forces de soutien rapide (FSR) à rejoindre l'armée nationale.
Entendant ces propos, les belligérants ont aussitôt saisi l'occasion. Les paramilitaires voient dans cette déclaration une preuve que le général Abdel Fattah al-Burhan collabore avec l'ancien régime et les extrémistes. « Leur stratagème est démasqué et vise à saper la révolution », ont estimé les FSR.
L'armée, elle, s'est dite surprise qu'Ahmed Harun la mentionne. Les forces nationales affirment n'avoir rien à voir avec lui.
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Une menace sécuritaire
D'autres graves incidents ont été signalés dans d'autres centres de détention soudanais.
Samedi 22 avril, le général al-Burhan avait accusé les FSR d'avoir attaqué la prison d'Al-Huda, à Omdurman, deuxième plus grosse prison dans région de Khartoum avec 10 000 places. Le chef de l'armée avait parlé de gardes tués et de prisonniers libérés, créant selon lui « une sérieuse menace sécuritaire » et illustrant « l'indiscipline des paramilitaires ».
Leur chef, le général Hemedti, avait nié cette attaque et dénoncé une campagne de mensonges des Forces armées soudanaises. Il avait également accusé les soldats de porter des uniformes de miliciens pour commettre des crimes et les imputer aux FSR.
D'autres évasions ont été signalées, comme à Soba, dans le sud-est de Khartoum. Après trois jours de manifestations des prisonniers contre le manque d'eau et de nourriture, 6 000 détenus se seraient évadés, selon la presse soudanaise. Les gardiens les auraient laissés partir afin qu'ils ne meurent pas de faim ou de soif. Des centaines de femmes se seraient aussi échappées de la prison des femmes d'Omdurman après le bombardement du bâtiment.
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Omar el-Béchir à l'hôpital
La presse parle encore d'une attaque, il y a quelques jours, des paramilitaires contre la prison de Kober pour enlever les chefs de l'ancien régime. Un assaut qui aurait été repoussé par l'armée.
Dans ce contexte chaotique, beaucoup s'interrogent aussi sur le sort de l'ancien dictateur Omar el-Béchir, recherché par la CPI pour crimes de guerre et contre l'humanité. Car lui aussi était détenu dans la fameuse prison de Kober. Mais l'armée affirme qu'en fait, il avait été transféré, pour raison médicale et avant le début des violences, dans l'hôpital militaire d'Alia, près de Khartoum. Il serait avec son ancien Premier ministre Bakri Hassan Saleh ou encore son ex-ministre de la Défense, Abdel Rahim Mohamed Hussein, recherché aussi par la CPI.
Selon une bonne source, Omar el-Béchir serait sous la garde trois policiers et un officier. Le bâtiment serait contrôlé par l'armée.
Pour Me Emma DiNapoli, le risque serait que certains grands criminels fuient vers l'Égypte ou la Turquie, rendant les poursuites plus difficiles. L'ancien chef des renseignements, Saleh Gosh, serait par exemple au Caire, selon cette avocate spécialisée dans les droits de l'homme. La juriste note aussi que les deux camps pourraient avoir des intérêts à organiser ces évasions : les FSR pour libérer leurs éléments emprisonnés, l'armée pour sortir des islamistes par exemple.
Enfin, elle rappelle qu'il faut faire la part des choses. Que le système carcéral est très discriminatoire, que parmi les prisonniers, certains sont vulnérables, incarcérés sans preuves, ou attendent un procès depuis des années.
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