Si ce n'est le tango, cela y ressemble fort. C'est, en tout cas, le constat « d'un pas en avant et d'un autre en arrière » que l'on pourrait faire de la position, plus que fluctuante, de la nation Arc-en-ciel vis-à-vis de la Cour pénale internationale (CPI).
En effet, alors que dans deux conférences de presse différentes, le Secrétaire général de l'African National Congress (ANC), Fikile Mbalula et le président de la République sud-africaine, Cyril Ramaphosa, ont tous deux évoqué le retrait de leur pays de la CPI, jugée inéquitable, c'est un véritable rétropédalage que le parti au pouvoir a opéré en affirmant, le 25 avril 2023, au soir, qu'il n'a pas demandé le retrait du pays du Statut de Rome. Cette contradiction au sommet de l'Etat, en un si peu de temps, témoigne du malaise profond de l'Afrique du Sud prise au piège de ses intérêts vis-à-vis de la CPI.
Il faut même craindre que malgré le revirement du 25 avril, le pays ne continue d'évoluer, même en lignes brisées, vers son intention réelle qui est véritablement de prendre ses distances vis-à-vis de la Cour de la justice internationale. Et pour cause. L'Afrique du Sud n'en est pas à son premier essai. Il y a eu de précédentes tentatives, comme en 2016, qui n'ont pas abouti.
La Cour pénale internationale, elle-même, prête le flanc à ses détracteurs
Et comme l'on sait que le pays n'a plus envie de vivre ce qui est arrivé avec le président soudanais d'alors, Omar-el-Béchir exfiltré à la sauvette hors du pays parce que sous mandat d'arrêt de la CPI, l'on imagine aisément qu'avec l'arrivée annoncée, à l'occasion du prochain sommet des BRICS, du président russe, Vladimir Poutine, lui aussi sous le coup d'un arrêt de la Justice internationale, la pression sera maintenue.
Cela dit, on peut tout de même déplorer les velléités clairement affichées de l'Afrique du Sud de prendre ses distances vis-à-vis de la CPI qui ne fait que traquer les prédateurs les plus féroces des droits de l'Homme. D'abord, parce qu'ayant connu la pire négation des droits humains que fut l'apartheid, le pays de Nelson Mandela ne devrait plus cautionner des dirigeants qui portent atteinte, d'une manière ou d'une autre, aux libertés individuelles et collectives.
Ensuite, aspirant à jouer un rôle de leadership sur tous les plans en Afrique, y compris dans le domaine des libertés démocratiques, l'Afrique du Sud devrait se garder d'envoyer de mauvais signaux qui pourraient servir de prétexte à ses concurrents pour contester ses ambitions. Mais l'on peut comprendre finalement que ce sont les intérêts économiques et géostratégiques du pays qui priment et que la République sud-africaine, non sans remords, se voit contrainte de ramer à contre-courant de son histoire et de son idéal démocratique.
Mais il serait injuste de charger sur toute la ligne, le pays de Cyril Ramaphosa en ce sens que la Cour pénale internationale, elle-même, prête le flanc à ses détracteurs qui, comme l'Afrique du Sud, l'accusent d'être inéquitable.
La Cour de La Haye gagnerait à prendre très au sérieux les signaux envoyés par l'Afrique du Sud pour opérer sa mue
L'on se souvient d'ailleurs que beaucoup d'Africains accusaient la CPI d'être seulement à la traque des roitelets africains alors que les dirigeants des grandes puissances mondiales échappent toujours aux fourches caudines de la Justice internationale. Et c'est peu de dire que ces détracteurs ont quelque part raison dans la mesure où des chefs d'Etat occidentaux comme Georges Bush ou Nicolas Sarkozy ont plongé des nations étrangères dans des guerres sanglantes au nom de leurs seuls intérêts, en se drapant du manteau de la légitimité internationale.
Et pourtant, ils ne sont nullement inquiétés. Le pire est que des pays comme les Etats-Unis refusent, depuis 1998, de signer le traité de Rome pour soustraire leurs soldats engagés sur les théâtres d'opérations, des poursuites de la CPI, mais se plaisent à se prévaloir de leur position au Conseil de sécurité de l'ONU pour demander des enquêtes contre des adversaires. Tout cela donne l'impression du deux poids deux mesures pour la CPI qui est constamment accusée d'être un instrument au service des grandes puissances internationales.
En tout état de cause, la Cour de La Haye gagnerait à prendre très au sérieux les signaux envoyés par l'Afrique du Sud pour opérer sa mue afin de répondre aux aspirations de tous les acteurs internationaux. Et c'est maintenant qu'il faut le faire. Car, avec l'influence grandissante des Russes et des Chinois en Afrique, il faut craindre que le cas sud-africain ne fasse des émules sur le continent.
Ceci étant, même si l'Afrique du sud venait à clarifier sa position quant à son retrait de la CPI, la procédure resterait très longue. Déjà à l'interne, la bataille est loin d'être gagnée d'avance parce que, selon la Constitution sud-africaine, le pouvoir de se retirer d'un traité international repose sur le Parlement qui doit d'abord en débattre.
Ce sont d'ailleurs des vices de procédure qui ont retardé la tentative de 2016. Cela dit, en attendant, le pays doit trouver un équilibre entre ses obligations envers la Cour et ses intérêts économiques et géostratégiques ; une chose qui est loin d'être aisée. Et c'est ce jeu d'équilibrisme qui explique, sans doute, toute la confusion qu'il y a autour de cette question, au sommet de l'Etat.