Chaque matin, à la conférence de rédaction, sous la conduite du Dr Forget, la construction de la nation est le débat essentiel. Mais nous assistions également à son cours de journalisme, d'histoire, de sociologie, d'anthropologie. Chaque matin nous refaisions le monde.
Il fallait écouter le Docteur parler de ses ambitions pour la jeune nation, des qualités de sa population, de ses relations avec ses amis les pêcheurs, des braconniers, des charbonniers...
Mais par-dessus tout, les conférences de rédaction, tenues souvent sous haute tension, selon son humeur, ses colères ou ses migraines, devaient produire, au fil du temps, des règles déontologiques strictes, non écrites, mais devant être scrupuleusement respectées par tous sous peine d'anathèmes violents. La règle sacro-sainte à ne jamais déroger est celle qui exige la nette séparation de l'information et de l'opinion dans tous les textes publiés.
Ces questions sont débattues lors de ces briefings du matin, à 9 heures précises, quand bien même l'heure à laquelle on aura quitté le bureau la veille au soir.
Le rituel se déroulait en trois temps.
Un premier temps de post-mortem de la publication du jour. Une lecture au microscope du journal par le Docteur visant à signaler la moindre imperfection dans le fond comme dans la forme.
Un deuxième temps, disons académique, quand le Docteur partageait ses vues sur la situation du pays.
Et un troisième temps, où chacun autour de la table, se devait d'apporter sa contribution à la composition du prochain journal. Il fallait faire preuve de créativité, d'imagination, de connaissances. De toute manière, le Docteur n'était jamais satisfait et il le faisait sentir. Cette conférence de la rédaction n'était pas le moment le plus agréable de nos journées de travail mais c'était, sans aucun doute, le moment le plus riche et le plus fécond. C'est là que j'ai appris à connaître mon pays, à l'aimer, à découvrir ses complexités, mais aussi ses forces, guidé par un patriote exigeant et passionné.(...)