L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a lancé une initiative visant à encourager les membres de la diaspora à investir dans des projets en Tunisie, un pays où les transferts d'argent provenant de Tunisiens de l'étranger sont en hausse. Explications et illustration, notamment à Kef, à trois heures de Tunis.
Alors que la Tunisie subit une crise économique grave, les transferts d'argent de la diaspora tunisienne sont en hausse : +12% par rapport à 2021 qui était déjà une année exceptionnelle. En tout, ce sont 2,5 milliards d'euros qui ont été envoyés au pays l'an dernier par les Tunisiens de l'étranger. C'est plus du double des revenus tirés du tourisme par exemple.
Cette augmentation s'explique par deux facteurs essentiellement : comme de plus en plus de Tunisiens quittent le pays, le nombre de contributeurs se fait plus important. Autre raison : face à l'inflation qui touche leur pays, les Tunisiens de l'étranger se montrent aussi plus généreux avec leurs proches restés au pays.
Comme dans de nombreux pays d'Afrique, on estime que 80% de ces envois servent à permettre aux proches de boucler leurs fins de mois. Les transferts alimentent donc essentiellement la consommation dans les pays d'origine.
Mais cette manne pourrait servir à autre chose. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a ainsi décidé de lancer une initiative visant à encourager les membres de la diaspora à investir dans des projets en Tunisie.
« On nous a emmenés en Italie où on a pu présenter nos projets à des Tunisiens vivant là-bas »
Illustration à Kef, à trois heures de Tunis, où un jeune entrepreneur a pu développer sa petite affaire grâce à des fonds venus d'Italie.
Dans son petit garage automobile à l'entrée de la ville, l'activité ne manque pas. Maher Rezgui, 39 ans, a lancé son entreprise en 2017. Deux ans plus tard, il entend parler d'une possibilité de bénéficier de fonds de la diaspora pour agrandir son projet. « Les gens de l'OIM ont passé deux semaines ici au Kef avec nous, explique-t-il. Ils nous ont appris à pitcher nos projets. Et après cela, on nous a emmenés en Italie où on a pu présenter nos projets à des Tunisiens vivant en Italie ».
Maher est revenu d'Europe avec une promesse d'investissement de 9 000 euros de la part d'un Tunisien résidant en Italie. L'OIM met aussi de l'argent sur la table. Maher a donc investi dans du matériel et ne le regrette pas.
« On était trois à travailler ici avant, ajoute-t-il. J'ai recruté et maintenant, on est sept. Notre chiffre d'affaires a beaucoup augmenté depuis ».
En tout, 58 projets similaires ont bénéficié de fonds de la diaspora tunisienne pour se lancer. Boubaker Bouricha est le responsable de ce programme chez l'OIM. Aider la famille en envoyant de l'argent tous les mois, c'est bien, dit-il. Investir dans le pays, c'est mieux : « L'investissement, ça veut dire développement et développement, ça veut dire création de richesses, d'emplois. Si les Tunisiens résidant à l'étranger investissent dans leur pays, ils vont avoir un double revenu : des revenus à l'étranger et des revenus dans leur pays. C'est un rapport gagnant-gagnant. »
Après l'Italie, l'OIM prévoit d'aller à la rencontre des Tunisiens de France, d'Allemagne ou encore de Côte d'Ivoire pour les convaincre de dédier une partie de leurs transferts de fonds à des investissements sur le terrain en Tunisie.
« Des pays d'origine comme la Tunisie ne saisissent pas cette opportunité-là »
À ce stade cependant, ces initiatives restent balbutiantes. Samir Bouzidi est consultant spécialisé dans les diasporas africaines. Lui qui opère des missions à Tunis, Dakar ou encore Lomé, regrette que les pays d'origine ne sachent pas transformer davantage ces transferts d'argent en investissements effectifs sur place. D'autant que la situation actuelle est selon lui très favorable dans ces pays d'origine.
« Paradoxalement, la conjoncture est plutôt bonne, débute-t-il. En Europe, le premier pays de la diaspora tunisienne, c'est la France, où il y a un contexte identitaire exacerbé - pour ne pas dire autre chose - il y a des taux de rémunération de l'épargne qui sont très bas, il y a le Covid, il y a des loyers des appartements qui explosent à Paris, etc. Et, effectivement, il y a vraiment aujourd'hui des conditions favorables. Malheureusement, les pays d'origine, la Tunisie et les autres pays, ne saisissent pas cette opportunité-là. Aujourd'hui, sur l'épargne - les transferts, c'est de l'épargne - est-ce qu'on ne peut pas faire mieux qu'1,5 ou 2% en France ? Vous voyez, ça paraît quand même dingue ».
Samir Bouzidi poursuit : « On est malheureusement - côté Tunisie - toujours dans cette posture rentière : on a nos commissions, on a des commissions sur les transferts, tout va bien. D'ailleurs, j'ai vu des communiqués de la Banque centrale. Tout le monde est content. On a fait 2,7 milliards de dollars de transferts d'argent cette année. On ne se pose pas la question d'optimiser tout cela, comment drainer vers de l'épargne... »
Samir Bouzidi, consultant spécialisé dans les diasporas africaines