Ile Maurice: Visage - Carina Gounden, de militante sur le terrain à défenseuse de l'environnement devant les tribunaux

Elle a grandi dans une petite maison à Gris-Gris, entourée de champs de canne, dont se remémore avec nostalgie, et qui ont depuis été remplacés par des morcellements et des domaines. Elle se souvient des tortues de mer qui venaient pondre sur la plage de Gris-Gris, et des nouveauxnés qu'elle aidait à regagner la mer avant qu'ils ne soient dévorés par les chiens errants. «Quand on grandit au milieu de tant de beauté, explique-t-elle, on veut la préserver, et je suis naturellement devenue une gardienne, car j'ai de la gratitude envers cette nature qui a bercé mon enfance.»

De retour à Maurice en 2016 pour ses études de terrain dans le cadre de la préparation de sa thèse en sociolinguistique à l'École des hautes études en sciences sociales, en France, Carina a été immédiatement happée par le combat du collectif Aret Kokin Nu Laplaz (AKNL), dans lequel son père et son frère étaient déjà actifs. Tout a commencé avec un pique-nique citoyen, visant à sauver la plage publique de Pomponette d'une tentative d'accaparement de la part d'un groupe de «promoteurs et politiciens véreux. La plage n'a toujours pas retrouvé son statut de plage publique à ce jour, et la bataille légale se poursuit».

Les livres sur la sociolinguistique font désormais place à la Environment Protection Act, à la National Development Strategy, aux Outline Planning Schemes, à la State Lands Act, et autres, comme la Climate Change Act. Elle utilisera cette dernière loi pour essayer de sauver un coin d'une grande richesse et d'une grande fragilité dans la région de Bel-Ombre, où «des promoteurs construisent à même un système dunaire, un site qui s'est retrouvé plus d'une fois sous les eaux, car il y a autour des marécages, drains naturels», nous dit-elle.

%

C'est dans ces combats devant les tribunaux qu'elle se rendra compte qu'on n'y fait pas grand cas de l'action citoyenne pour protéger l'environnement, ni de la reconnaissance de la notion de Public Interest ou de Locus Standi, qui est systématiquement niée par les ministères, les promoteurs et leurs armées d'avocats. «Les lois pour protéger l'environnement sont truffées de failles et elles sont constamment détournées.» Ce constat va la mener sur la voie de l'advocacy de haut niveau, l'univers des conventions internationales et la facon de solliciter des instances internationales. Mais aussi, à l'importance de participer pleinement aux consultations pour les changements de lois ou la révision des stratégies pour le pays. «Il faut être à l'affût et bien surveiller ces événements», nous dit-elle. D'ajouter : «Il n'y a aucun intérêt à se battre pour se battre ; nous voulons trouver des solutions.»

Activités lucratives

Elle pense qu'il faut surtout agir en amont : préserver plutôt que de ne faire que du «fire-fighting». «Planter des coraux mais ne pas contrôler nos pollutions terrestres, et continuer avec la destruction des écosystèmes est une action inutile dans la durée. Mais bon, on se rend compte aussi que les destructions offrent une activité très lucrative pour certains qui prétendent réparer !» Justement, pour Carina, la vraie bataille pour l'environnement se juge quand on n'attend rien en retour. C'est pourquoi ses détracteurs n'arrivent pas à comprendre que des personnes comme elle puissent défendre le patrimoine environnemental juste par l'amour pour l'environnement. «On vous accuse de rouler pour X, Y ou Z. Vieille tactique des promoteurs pour détourner le débat et diviser...»

Les activistes d'AKNL et d'autres combats citoyens ont relancé l'ONG mru2025 précisément pour donner une structure à ces actions citoyennes. Elle apporte un encadrement administratif, une expertise générale et scientifique, et la possibilité d'avoir des ressources. «C'est un travail à plein temps, et nous ne comptons pas les heures, les week-ends ou les jours fériés passés à étudier les dossiers et les lois, à rédiger des propositions et à définir une stratégie d'advocacy à l'attention des décideurs mais aussi des citoyens en général.»

«Notre littoral est devenu une vache à lait et on ne se soucie pas de ce que veulent les habitants. Ont-ils des idées ? Oui, ils en ont. Ils vivent dans ces régions, en connaissent les multiples atouts, ont une manière de vivre, d'accueillir, ont des connaissances, des savoir-faire qui méritent d'être valorisés, et qui pourraient aussi être à la base d'une économie locale riche et authentique.» Elle se voit aujourd'hui comme un pont entre les décideurs et ces habitants. «Je veux que leurs voix arrivent là où les décisions sont prises.»

Et voilà comment le «piknik sitwayen» à Pomponette l'a menée vers ce parcours qu'elle décrit comme «la recherche du sens et comment se rendre utile. Je suis restée à Maurice, j'ai construit ma vie ici, ma fille est née dans ce pays, et plus que jamais, si ce n'est pour moi, je lui dois d'essayer encore. Qui sait ? Elle pourra peut-être un jour voir le retour des tortues sur la plage de Gris-Gris».

AllAfrica publie environ 600 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.