Afrique: Pourquoi l'Afrique du Sud dit vouloir se retirer de la CPI et pourquoi elle ne le fait pas

Le siège de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye.

En moins de 24 heures, les autorités sud-africaines ont annoncé leur intention de se retirer de la Cour pénale internationale (CPI) avant de déclarer que c'était un malentendu. L'Afrique du Sud doit recevoir en août le président russe Vladimir Poutine alors que celui-ci est poursuivi devant la CPI. L'avocat sud-africain Howard Varney analyse ce qui nourrit cette tension au sein du parti au pouvoir à Pretoria et ce que cela peut signifier pour la CPI.

Le 25 avril, le président Cyril Ramaphosa a annoncé lors d'une conférence de presse que le Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir en Afrique du Sud depuis 1994, a demandé que le pays se retire de la Cour pénale internationale (CPI). Puis, un peu plus tard, le gouvernement a fait volte-face et a déclaré que ce n'était pas ce qu'il voulait dire. Comment l'expliquez-vous ?

HOWARD VARNEY : J'aimerais bien être une petite souris lorsque ces discussions ont eu lieu. On ne peut que spéculer, car les personnes extérieures au parti [ANC] et certainement au Comité exécutif national ne savent pas vraiment ce qui s'est passé. Mais ce que je peux vous dire, c'est que les membres de l'ANC sont convaincus qu'il est temps de se retirer de la CPI. Et comme vous vous en souviendrez, ce n'est pas nouveau. Si nous revenons en arrière, en 2016-2017, autour de la visite du président Al Bashir [du Soudan] au sommet des chefs d'État de l'Union africaine à Johannesburg, toute cette question a été soulevée.

À ce moment-là, vous vous souvenez qu'il y a eu des décisions de justice contre le gouvernement. Le gouvernement a ignoré ces décisions. Il a permis à Bashir de partir d'une manière très sournoise, puis il a poursuivi et tenté de se retirer, en prenant une décision exécutive qui a été annulée par les tribunaux. La justice a déclaré qu'il n'était pas possible de signer un simple décret, qu'il fallait passer par le parlement.

Ils ont alors présenté un projet de loi qui a été soumis au parlement. Ce projet de loi est resté en suspens au parlement pendant plusieurs années, jusqu'à ce que, ces derniers mois, l'ANC finisse par dire qu'ils n'allaient pas se retirer, mais plutôt travailler au sein de la CPI, et aussi faire pression pour que le protocole de Malabo [qui donne une compétence pénale à la Cour africaine de justice et des droits de l'homme] soit ratifié par un nombre suffisant de pays afin que des solutions locales en matière de justice pénale puissent être mises en oeuvre.

Qu'est-ce qui a changé récemment ? Les forces anti-CPI au sein de l'ANC se sont-elles senties plus fortes ?

Je pense que la seule chose qui peut expliquer ou précipiter cette annonce est le dilemme auquel l'Afrique du Sud est confrontée avec la visite prochaine de Vladimir Poutine, qui est l'un des membres des Etats BRICS. Un sommet des chefs d'État des BRICS est prévu à Durban en août. Et de nombreux membres de l'ANC ne peuvent tout simplement pas se résoudre à exécuter un mandat d'arrêt contre le président russe alors qu'il assiste à un événement prestigieux. C'est un pas de trop pour eux.

Mais un retrait maintenant ne changerait pas le dilemme de la visite de Poutine, parce qu'il existe un délai d'un an avant qu'un retrait de la CPI ne soit effectif.

Absolument. Cette clause est applicable. Nous sommes donc liés par elle.

Et pensez-vous qu'ils ne l'ont pas vu ?

Il y a probablement beaucoup de personnes au sein du parti qui ne sont pas au courant des détails juridiques et qui ne le savent pas. Mais les juristes de l'ANC savent certainement que vous pouvez annoncer tout ce que vous voulez maintenant, vos obligations resteront en place pendant une année entière. Et que d'ici là, vous devrez vous conformer à tout ce que la CPI vous demande de faire. A moins que la CPI ne retire le mandat d'arrêt ou n'annule les charges, l'Afrique du Sud est tenue de procéder à cette arrestation. Et je peux vous dire que les mêmes organisations qui ont saisi la Cour précédemment sont occupées à préparer [la contestation] et que nous pourrions très bien être confrontés à une nouvelle crise constitutionnelle dans quelques semaines.

Voyez-vous une différence entre la situation de 2016 et celle d'aujourd'hui ? Ou s'agit-il exactement du même corps de tensions et d'obstacles juridiques ?

Je soupçonne les membres de l'ANC d'affirmer que bon nombre des questions débattues en 2016 sont toujours d'actualité. À l'époque, il y avait le grand débat paix et justice, et le fait qu'adhérer servilement à la CPI entraverait la capacité de l'Afrique du Sud à négocier des accords de paix et à jouer le rôle d'intermédiaire de la paix. Ce n'est pas la grande question aujourd'hui, même si je ne doute pas qu'elle sera à nouveau soulevée. À l'heure actuelle, la grande question est celle de l'obligation de l'Afrique du Sud, en vertu de la loi, de procéder à l'arrestation.

De nombreux membres de l'ANC considèrent aujourd'hui que l'adhésion au Statut de Rome interfère avec leur capacité à mener une diplomatie internationale, ce qui est en contradiction avec une décision du parti selon laquelle l'Afrique du Sud a joué un rôle central dans l'élaboration du Statut de Rome et la mise en place de la Cour pénale internationale. Tout au long des années 1990, l'Afrique du Sud a été l'une des forces motrices [de la CPI]. Elle bénéficiait du soutien de personnalités telles que Nelson Mandela. En effet, à l'époque, par exemple, Mandela était le principal négociateur de paix au Burundi.

Il a d'ailleurs déclaré publiquement qu'il ne voyait aucun conflit entre la poursuite de ces négociations de paix et la poursuite de la justice par l'intermédiaire de la CPI. Le parti a décidé qu'il était temps de réformer la CPI de l'intérieur, mais qu'historiquement ce ne serait pas une bonne idée de s'en retirer. Et puis soudain, cela s'est produit, et on a laissé le loup entrer dans la bergerie.

Que pensez-vous qu'il se passera en août ?

Tout le monde se le demande. Je pense que certains, au sein du ministère des Affaires étrangères, espèrent vraiment que Poutine dira : "Écoutez, je gère une guerre en ce moment, je suis très occupé, je me joindrai à vous pour une ou deux sessions via Zoom", et cela résoudrait tout, bien sûr. Reporter la réunion, l'organiser ailleurs, tout cela conviendrait à l'Afrique du Sud. Mais si rien de tout cela ne se produit, que tout le monde s'entête et qu'il vient, cela entraînera une nouvelle crise constitutionnelle.

En effet, les tribunaux ont déjà déclaré dans l'affaire Bashir que nous avons le devoir de procéder à l'arrestation. Avant cela, il est fort probable que certaines organisations de la société civile s'adressent d'urgence aux tribunaux pour obtenir ce que l'on appelle une déclaration, de sorte qu'une question est posée aux tribunaux sur un sujet non pas théorique, mais réel, et que les tribunaux décident une nouvelle fois que l'État est tenu de procéder à l'arrestation.

Si cela se produit et que le président et le gouvernement décident d'ignorer la décision des tribunaux, cela posera un problème fondamental pour notre ordre constitutionnel. Il y a eu des exemples de ministères qui ont ignoré des décisions de justice, avant de finir par s'y conformer. Mais si le président lui-même déclare à la cour constitutionnelle : "Je n'obéirai pas à cet ordre particulier", il s'agit d'une trahison totale de ce que nous avons combattu à l'époque de l'apartheid.

Nous avons été à un moment donné une nation leader dans la lutte pour les droits de l'homme. Nous ne pouvons plus vraiment être considérés comme tels, compte tenu des diverses positions prises par le gouvernement. Mais jusqu'à présent, nous avons toujours été considérés comme un pays constitutionnel qui respecte l'État de droit. Ce sera donc plus qu'un simple sac de patates chaudes.

Derrière la tension révélée par les déclarations contradictoires du gouvernement se cache une défiance beaucoup plus globale, la CPI étant considérée comme un outil de l'Occident appliquant deux poids deux mesures dans ses poursuites. Pensez-vous que cela soit très important en Afrique du Sud et que les Sud-Africains veuillent simplement faire comprendre que ce n'est pas acceptable ?

C'est certainement une question importante, et je pense que c'est l'un des facteurs qui déterminent la politique en la matière. Il y a un fort sentiment en Afrique du Sud, plus particulièrement au sein de l'ANC et des groupes politiques de gauche, qu'il y a deux poids deux mesures lorsqu'il s'agit de justice internationale, et non sans raison. Personnellement, je pense qu'il est juste qu'un acte d'accusation ait été émis à l'encontre de Poutine. Mais si l'on considère le rôle de l'Occident dans un pays comme l'Irak et le rôle qu'y ont joué le président Bush et le premier ministre Blair, on peut penser qu'ils auraient également dû faire l'objet d'une enquête et, si nécessaire, d'une mise en accusation.

Inutile de dire que cela ne s'est jamais produit. Il y a donc clairement deux poids, deux mesures. Certes, on ne devrait pas vraiment entrer dans des arguments du type "et lui alors", mais il est certain que dans la rue ici, c'est un sentiment très fort. Et au sein de l'ANC, je dirais que c'est probablement le sentiment dominant. Il ne faut jamais oublier que c'est l'Union soviétique, et non l'Occident, qui a été le principal soutien de la lutte armée en Afrique du Sud. C'est elle qui fournissait les armes et l'entraînement. L'Occident ne le faisait pas. La loyauté à l'égard de la Russie reste donc très forte. Bien sûr, la Russie d'aujourd'hui n'est pas l'Union soviétique et les idéologies sont fondamentalement différentes. Mais il n'en reste pas moins que ce sentiment est toujours présent. Il y a donc une forte approche anti-occidentale qui est perceptible.

Pensez-vous que l'Ukraine a accru cette tension et ce sentiment ?

Oui, je pense que c'est le cas. Beaucoup de gens seraient normalement vigoureusement opposés à ce qu'un pays envahisse et viole la souveraineté d'un autre pays. On voit toutes sortes d'arguments sophistiqués avancés pour tenter de justifier l'invasion, alors qu'en toute autre circonstance, ils n'auraient jamais agi de la sorte. Mais en raison de l'histoire et de ce sentiment, on voit ces arguments - qui, à mon avis, n'ont que peu de mérite - être poursuivis.

Pensez-vous à ce stade que l'Afrique du Sud finira par se retirer de la CPI ?

Je pense qu'il serait très difficile, à ce stade, pour l'Afrique du Sud de se retirer. Il y a eu un moment où un projet de loi a été présenté au Parlement, et c'était le moment. Recommencer tout ce programme serait extrêmement difficile et prendrait plusieurs années. Je ne vois donc pas l'Afrique du Sud se retirer de sitôt. Lorsque les gens se rendront compte que même si vous vous retirez maintenant, cela n'aura aucune incidence sur ce qui se passera en août et sur ce qui se passera l'année qui vient, ils comprendront la futilité de cette démarche.

Comment voyez-vous l'impact de l'incident de cette semaine sur la CPI elle-même ?

Il est décourageant pour la CPI de voir l'un des États parties qui ont joué un rôle central dans sa naissance et sa création s'engager dans ce type d'approche à front renversé. A cet égard cela n'aide donc pas la CPI. Malheureusement, nous étions autrefois considérés comme une sorte d'étalon-or sur des questions telles que la justice, les affaires internationales et la diplomatie. Ce n'est plus guère le cas. Nous ne sommes plus considérés comme un pays porteur d'espoir et de droits de l'homme. Je ne pense pas que nous soyons pris au sérieux comme nous l'étions autrefois. Et il se peut que les membres de la CPI considèrent tout simplement qu'il s'agit d'une querelle de clocher.

En tant que Sud-Africain lambda, j'espère que tout le monde le comprendra et que Vladimir Poutine ne se rendra pas à Durban en août, car s'il le fait, l'État sud-africain et les normes que nous essayons d'établir depuis l'avènement de la démocratie en 1994 s'en trouveront gravement perturbés.

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HOWARD VARNEY

Howard Varney est avocat au barreau de Johannesburg. Il est conseiller principal au Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ). Au début des années 1990, il a été avocat au Centre de ressources juridiques de Durban, où il a représenté des victimes de violences politiques dans le cadre de litiges d'intérêt public, d'enquêtes judiciaires et de commissions d'enquête. Il a travaillé avec la Commission vérité et réconciliation sud-africaine. Il a également été chargé des enquêtes à la Commission vérité et réconciliation en Sierra Leone. Il continue de représenter les victimes des conflits passés devant les tribunaux sud-africains pour faire valoir leurs droits. Varney est titulaire d'une licence en droit de l'université de Natal et d'une maîtrise en droit de la Columbia Law School.

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