Madagascar: Parole à Rafolo Andrianaivoarivony

«Je souhaite bonne route et beaucoup de courage à celui/celle ou ceux qui reprendront le flambeau du dossier de la Haute Ville d'autant que les tenants de la République, au niveau du Département de la Culture, ont un nouveau centre d'intérêt: la candidature de l'Église catholique d'Ambodifotatra de Sainte Marie au Patrimoine Mondial à laquelle, personnellement, je ne trouve point de VUE (Valeur Universelle Exceptionnelle)».

C'est ainsi que le Professeur concluait sa communication donnée à lire au colloque «Paysage et architecture d'Antananarivo. De la connaissance à la sauvegarde», organisé par la Mention Histoire de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l'Université d'Antananarivo, le 24 avril 2023.

Le Professeur Rafolo Andrianaivoarivony l'avait intitulé «Du projet de proposition d'inscription de la Haute Ville d'Antananarivo sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO» avec le sous-titre «Le processus et les obstacles à surmonter». Surtout les obstacles, qui semblent avoir été méthodiquement mis en oeuvre. Rien que pour le site du Rova d'Antananarivo: la construction d'un amphithéâtre en béton précédée de l'enlèvement des fondations du palais Masoandro (dont la première pierre fut symboliquement posée le 18 avril 1893 par la Reine Ranavalona III) ainsi que la reconstruction en parpaings des palais originellement en bois de Tranovola et de Manampisoa.

À titre de rappel, le Professeur Rafolo Andrianaivoarivony est un enseignant-chercheur d'archéologie et de patrimoine qui conduisit l'inscription de la Colline royale d'Ambohimanga entre 1998 et 2001 et représenta Madagascar au Comité du Patrimoine Mondial de l'UNESCO le temps d'un mandat électif entre 2006 et 2009. Il préside le Comité Malgache du Conseil International des Monuments et Sites (ICOMOS) depuis 2002.

%

Les matériaux utilisés pour préparer cette contribution sont:

- Les instruments juridiques sur le patrimoine mondial promulgués par l'Unesco : la Convention de 1972 et son « décret d'application » que sont les Orientations devant guider sa mise en oeuvre (Guidlines for the Implementation of the Convention en anglais);

- Le registre d'inventaire du patrimoine national de Madagascar de 2018;

- La Liste Indicative de Madagascar de 2017 (Tentative List en anglais), c'est-à-dire la liste des sites présentant une valeur universelle exceptionnelle susceptibles d'être proposés pour l'inscription au patrimoine mondial;

- Divers documents de travail élaborés par le Ministère de la Culture en vue de la réactualisation de la Liste Indicative de Madagascar: Réunion d'orientation de la cellule de coordination du projet (Lundi 16 janvier 2017), Atelier de renforcement de capacités de l'équipe du projet et des directeurs régionaux (17 et 18 janvier 2017), Atelier national sur le projet de réactualisation de la Liste Indicative de Madagascar - Format pour la soumission de la Liste (vendredi 17 novembre 2017);

- Divers comptes-rendus de réunions au Ministère de la Culture sur le projet de proposition d'inscription: 12 octobre 2017, 26 novembre 2019, 03 juin 2020;

- Le dossier de proposition d'inscription de la Colline Royale d'Ambohimanga (23 juin 2000).

I - La Haute Ville d'Antananarivo et son processus d'inscription

Le processus d'inscription d'un bien au patrimoine mondial de l'Unesco est régi par des dispositions strictes imposées par le Comité du Patrimoine Mondial et de son secrétariat qu'est le Centre du Patrimoine Mondial (CPM), un grand service au sein du siège de l'Organisation à Paris. Ces dispositions émanent de l'application des textes réglementaires sur le patrimoine mondial que sont la Convention de 1972 et surtout les Orientations déjà évoquées plus haut. Le projet de proposition de candidature de la Haute Ville d'Antananarivo qui n'est plus un souhait, a débuté du temps de Lalao Ravalomanana, maire de la Capitale. La préparation du dossier, non encore déposé auprès du CPM, est passée par différentes étapes requises par les Orientations et attend d'être finalisée.

La première étape est l'inscription obligatoire au registre du patrimoine national du pays: la Haute Ville d'Antananarivo y figure à travers le Plateau du Rova (l'enclos royal), les Rochers d'Ampamarinana (la falaise, roche tarpéienne lieu de supplice de martyrs chrétiens), les quatre temples commémoratifs, les cathédrales catholique et anglicane, le palais du Premier Ministre, le tribunal de la Reine, le bâtiment du Ministère de la Justice et les édifices d'établissements scolaires historiques d'Ambavahadimitafo et d'Ambodin'Andohalo.

La deuxième étape est l'inscription du bien sur la Liste Indicative du pays: la Haute Ville y fut insérée le 02 février 2016 sous la référence 6078 avec les critères (ii), (v) et (vi) de justification de la valeur universelle exceptionnelle (la VUE), valeur que doit obligatoirement disposer tout bien candidat au patrimoine mondial. Cette inscription a été effectuée par le Ministère de la Culture sur demande d'une structure (qui n'existe plus aujourd'hui) de la Mairie de la Capitale, l'Institut des Métiers de la Ville (IMV), issue d'un partenariat entre la Mairie et la Région Île-de-France (RIF). Il faut dire, en effet, que l'idée de proposer l'inscription de la Haute Ville au patrimoine mondial émanait non pas de la Nation à travers le Département ministériel chargé de la Culture mais de la Mairie via l'IMV.

La troisième étape, la plus longue et la plus ardue est la préparation du dossier de proposition pour l'inscription au patrimoine mondial. Pour la Haute Ville, cette préparation, pilotée par l'IMV et bénéficiant du soutien financier et technique de la RIF, démarrait en 2010 par le lancement du Programme Tourisme et Patrimoine et par l'élaboration d'un projet de calendrier des différentes activités à entreprendre pour aboutir à l'inscription au patrimoine mondial en ... juillet 2021 lors de la session du Comité du Patrimoine Mondial en passant par le dépôt du dossier au CPM en janvier 2021. Suite à la crise sanitaire amenée par COVID 19 et à divers autres facteurs, cet échéancier n'a pas pu être respecté.

En février 2013 étaient lancées des études préalables à travers une mission d'identification et d'évaluation. En avril 2015, une mission de délimitation des périmètres exigés par les Orientations fut menée: il faut, en effet et au préalable, bien définir les limites du périmètre, objet de l'inscription demandée et de celles de ce qu'on appelle Zone Tampon qui est un périmètre autour du bien soumis à l'inscription, nécessaire à la surveillance et à la gestion des pressions pouvant affecter les caractéristiques du bien. À l'issue de ladite mission, les deux périmètres de la Haute Ville furent délimités: 80ha pour le périmètre objet de l'inscription incluant la ville historique et 170ha pour la zone tampon. Bien entendu, des plans et des cartes matérialisant visuellement ces périmètres ont été réalisés pour être insérés au dossier de candidature. C'était également à la même époque que fut lancée la première réactualisation de la Liste Indicative de Madagascar pour y inclure la Haute Ville, ce qui fut fait, comme dit plus haut, en février 2016.

Courant 2017 et suite à une assistance internationale financière et technique émanant du CPM, une étude des risques géo-hydrologiques dont les glissements de terrain fréquents durant la saison des pluies fut menée par l'Université de Florence et l'inventaire architectural et urbain de la Haute Ville effectué. Une cartographie détaillée des deux opérations a été réalisée pour étoffer le dossier de candidature.

Aux fins de disposer de données anthropologiques sur les habitants des deux périmètres évoqués, une première phase d'étude socio-économique de la Haute Ville fut menée durant le premier semestre de 2020 (rapport remis au Ministère de la Culture le 03 juin 2020) par l'association Les Amis du Patrimoine de Madagascar, le Cabinet COEF Ressources et l'IRD. Une deuxième phase de cette étude aurait dû débuter en juin-juillet 2020 et devait porter sur des récits de vie des habitants de la Haute Ville. Dame COVID en a décidé autrement.

Si la pandémie et d'autres faits fâcheux sur la Haute Ville n'étaient pas survenus en 2020, les étapes suivantes du dossier de proposition de la Haute Ville auraient été:

- Le bouclage définitif du dossier;

- L'envoi du pré-dossier au CPM, prévu en septembre 2020;

- La tenue d'un séminaire national de restitution du dossier;

- L'envoi et le dépôt officiel du dossier définitif au CPM, prévu en janvier 2021 ;

- Étude du dossier par le CPM puis par ICOMOS pour l'évaluation théorique (pour information, le CPM utilise le concours de deux ONG pour l'évaluation et l'expertise des candidatures à l'inscription: ICOMOS pour les biens culturels et IUCN pour les biens naturels, les deux pour les biens mixtes, à la fois naturels et culturels);

- Évaluation in situ du bien par ICOMOS à l'issue de laquelle l'ONG adressera au Comité du Patrimoine Mondial un avis motivé quant à l'inscription du bien (candidature valable) ou le rejet de la candidature (VUE non attestée) ou le renvoi du dossier à l'Etat-Partie qui a soumis la candidature (dossier à revoir sur certains points non convaincants) ou enfin le différé du dossier qui nécessite un grand travail de recomposition; pour la Haute Ville cette évaluation in situ aurait dû être menée entre février et mars 2021;

- Examen de la candidature du bien par le Comité du Patrimoine Mondial (dont la session est annuelle) sur la base de l'avis d'ICOMOS; le Comité prononcera l'inscription ou lancera une discussion entre les membres si l'avis de l'ONG est pour le renvoi ou candidature différée.

Sans problème, la candidature de la Haute Ville à l'inscription aurait pu être prononcée lors de la session de juillet 2021 du Comité du Patrimoine Mondial. Mais des problèmes sont survenus donnant un grand coup de freins à la préparation du dossier.

II - Les obstacles à surmonter

La pandémie COVID-19 a bien sûr désorganisé les plans de travail et le calendrier mais les difficultés viennent du site de la Haute Ville et des caractéristiques de ses roches, de ses habitants aisés ou dans le besoin et leur comportement, de la politique des édiles et des tenants de la puissance publique.

Commençons par énumérer la liste des risques pouvant hypothéquer le succès du projet d'inscription:

- Dégradation des bâtis, leurs façades ou souvent leur toiture: suite à la faiblesse de leurs revenus, beaucoup de propriétaires sont dans l'incapacité totale d'entretenir leurs habitations;

- Développement de constructions et de structures modernes: ce risque n'est pas près de s'arrêter avec la frénésie d'édification d'immeubles et de maisons sur les hauteurs;

- Projets d'infrastructures émanant des tenants de la puissance publique: un amphithéâtre de béton de 400 places au sein même de l'enclos royal dont la construction a nécessité le démantèlement de vestiges historiques, édification d'un nouvel immeuble à quelques encablures du portail du Rova par le Ministère de l'Éducation Nationale en remplacement d'un bâti historique associé à des oeuvres d'art plastique qui ont été démolis sans état d'âme;

- Abandon de certaines pratiques traditionnelles suite à la mondialisation de la culture et au prosélytisme religieux des sectes et de certaines églises évangéliques ou baptistes;

- Cadre foncier complexe: un legs transmis aux fils de Madagascar par les anciens souverains, propriétaires des terres;

- Fragilité économique et institutionnelle: le pays fait partie des pays les plus pauvres de la Planète et un changement de maire à la tête de la municipalité s'accompagne de suppression(s) de services et de structures de gestion de programmes: ainsi par exemple, l'IMV, structure pilotant le projet d'inscription, a été supprimé et le partenariat avec la RIF a également cessé.

Par ailleurs comme déjà évoqué plus haut, le Ministère de la Culture, au lieu de conduire le projet de candidature au patrimoine mondial, est qualifié de « partenaire proche » par les initiateurs du projet, à savoir l'IMV rattaché à la Mairie et derrière lui, la RIF, qui déclarent « travailler en étroite collaboration » avec le Ministère en charge de la Culture. C'est plutôt l'inverse qui devrait se faire!

Un autre obstacle, double en fait, cette fois-ci d'origine externe au pays et à la Capitale, devra aussi être surmonté, à savoir:

- l'assurance de la garantie de l'authenticité du bien candidat à l'inscription, assurance exigée par les Orientations: l'authenticité de la Haute Ville devra être justifiée à travers la conception du site, oeuvre combinée de l'homme et de la nature, à travers les matériaux de construction utilisés, à travers l'exécution des constructions et à travers l'environnement; il faut donc que le bien proposé pour l'inscription satisfasse aux critères d'authenticité;

- l'assurance de la garantie de l'intégrité du bien: la justification de l'intégrité de la Haute Ville passera par la garantie de son intégrité visuelle, structurelle, et fonctionnelle, bref son intégrité paysagère et l'intégrité de ses composantes historiques: ici également, il faut donc que le bien satisfasse aux critères d'intégrité. Dès janvier 2017, les préparateurs du document de travail de la réunion d'orientation de la cellule de coordination du projet « Réactualisation de la Liste Indicative de Madagascar » ont averti les participants à propos de la Haute Ville d'Antananarivo que le site « nécessite un argumentaire très fort au niveau de l'authenticité et intégrité ».

De tout ceci, il ressort que les seuls critères de justification de la VUE, à savoir les critères (ii), (v) et (vi) ne sont pas suffisants pour faire admettre le label « patrimoine mondial » à la Haute Ville d'Antananarivo, il faut également qu'elle arrive à satisfaire aux critères d'authenticité et d'intégrité déjà évoqués. A titre d'information, voici la traduction des critères de justification de la VUE pour la Haute Ville :

- (ii): Architecture et création de paysage (culturel urbain) unique à partir d'influences asiatiques (austronésiennes) et européennes (britannique et française) ;

- (v): Utilisation traditionnelle du territoire représentatif d'une culture ou de l'interaction humaine avec l'environnement (selon les Orientations, la Haute Ville est bien un site, c'est-à-dire une « oeuvre combinée de l'homme et de la nature »);

- (vi): Traditions vivantes, idées, croyances ayant une signification universelle exceptionnelle (critère également employé pour la Colline Royale d'Ambohimanga).

La Haute Ville d'Antananarivo est effectivement composé de bâtiments patrimoniaux majeurs dont les palais, d'espaces publics remarquables dont le jardin historique d'Andohalo (malheureusement aménagé en terrain omnisports), d'espaces sacrés dont les édifices de culte, les sources-sanctuaires, les arbres séculaires marqueurs ou non de détention de pouvoirs, ici temporel, ailleurs, spirituel, des voies historiques ou encore de routes pavées...

Fort de tout ceci, il est clair que la Haute Ville a une identité bien marquée et qu'elle (la Haute Ville) n'a pas son pareil ni sur le continent africain ni ailleurs. Il est utile de rappeler que tout dossier de proposition pour l'inscription doit comporter un volet « Analyse comparative » où le préparateur dudit dossier est invité à comparer le bien candidat pour l'inscription à d'autres, existant ailleurs, déjà inscrits ou non.

Conscients de tous ces obstacles et notamment des conséquences des profonds changements opérés sur la Haute Ville affectant son VUE, son authenticité et son intégrité, les participants à la réunion du 03 juin 2020 ont fait noter dans les lignes du compte-rendu (je cite): « Compte-tenu des récentes constructions sur le Plateau du Rova et des attentes de la Présidence de la République en termes de mise en valeur du patrimoine de la Haute Ville, il semble nécessaire de revoir l'argumentation de la VUE en s'appuyant sur d'autres critères du Patrimoine Mondial » (fin de citation).

La chose est claire: les critères (ii), (v) et (vi) initialement choisis pour justifier la VUE de la Haute Ville ne sont plus pertinents: le dossier préparé et qui était en bonne voie d'achèvement a reçu un grand coup dans le bas-ventre, le mettant presque KO: bien qu'on ne revienne pas à la case départ, le plus gros du travail restera à (re)faire, à savoir la justification de la VUE du site.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.