Ile Maurice: L'express 60 ans│1978 - Quand la démocratie parlementaire n'était pas piétinée

Quand on constate ce qu'est devenue notre démocratie depuis 1968, et surtout durant ces trois dernières années, on se demande si ce n'est pas la Constitution léguée par les Anglais qui permet maintenant cette dérive autocratique. Certes, la tentation dictatoriale a existé depuis notre Indépendance, mais pas d'une façon aussi systématique qu'actuellement.

S'il y a toutefois une année depuis 1968 pendant laquelle la démocratie parlementaire a fonctionné à plein régime, c'est probablement 1978. Bien sûr, le speaker de l'époque était sir Harilall Vaghjee, ce qui n'est en rien comparable à Sooroojdev Phokeer. Et si le gouvernement tentait de museler l'opposition, celle-ci, très forte et représentée par le MMM, pouvait faire barrage, que ce soit au Parlement ou en dehors.

Mais c'est surtout la scission naissante au sein du Parti travailliste et l'activisme parlementaire de Harish Boodhoo qui empêchèrent la majorité travailliste et PMSD de faire ce qu'elle voulait. Harish Boodhoo menait une véritable guérilla contre son propre parti et contre le gouvernement. Et venant de l'intérieur, cela faisait beaucoup d'effets car le groupe de contestataires ne voulait pas approuver toutes les lois et décisions au Parlement. Le secteur privé aussi mettait la pression et pensait réellement au pays.

Les «contestataires» Harish Boodhoo, Rohit Beedassy et Radha Gungoosingh, entre autres, exigeaient non pas leur «bout», mais la fin du gaspillage et des autres maux comme la corruption et le copinage. Ils demandaient, par exemple, que le nombre de ministres soit réduit à 11 (l'express 24/03/78) et réclamaient l'annulation de certaines nominations à des ambassades «jugées coûteuses et injustifiées» (page 264 Passions Politiques (PP) et l'express 09/04/78).

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Ils menaçaient également «de ne pas voter de crédits pour les voitures officielles des hauts fonctionnaires» ni «certains items du budget supplémentaire dans des ministères où il y a du gaspillage». (Ibid.). L'un des contestataires accusera aussi, lors d'une conférence de presse (l'express 26/10/79), le gouvernement de gaspiller l'argent public dans des voyages ministériels «injustifiés». Lors d'une réunion des parlementaires de la majorité, boycottée par les contestataires, SSR et sir Harold Walter proposeront même leur démission devant l'incertitude de faire «élire leurs candidats aux postes d'adjoint au speaker et de président des comités».

Le gouvernement cédera à certaines demandes de la bande à Boodhoo en ne renouvelant pas le contrat de plusieurs chefs de corps paraétatiques, qui avaient été réemployés après leur mise à la retraite. Boodhoo obtiendra également que les ministres n'utilisent pas leur voiture de fonction pour leurs déplacements personnels et que des exemptions fiscales leur soient retirées. (p. 4, l'express 05/03/78).

Harish Boodhoo demandera aussi la mauricianisation des cadres dans le gouvernement et protestera contre la nomination d'un Indien comme conseiller en matière de logement (PP p.277). Et c'est lui qui demandera et obtiendra la mise sur pied d'une commission d'enquête sur Lutchmeeparsad Badry et Giandev Daby, deux ministres de l'époque. Dans l'affaire d'emploi de plusieurs personnes par le ministre des Coopératives sans passer par la PSC, il faut relever la position du ministre Ringadoo qui déclarera au Parlement que «le ministre des Coopératives n'a pas le droit de recruter des travailleurs. (p. 276 PP, l'express 28/05/78 p. 1)» C'est pour dire que les ministres ne parlaient pas tous d'une même voix, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui.

Boodhoo entreprendra aussi un pèlerinage dans toute l'île pour mener, dit-il, une campagne de vérité, d'explications et de mobilisation de la population contre le gouvernement (l'express 29/07/78, p. 1). Cela aboutira finalement à l'affaiblissement de la majorité gouvernementale et aux élections du 12 juin 1982, avec la victoire 60-0 de la coalition MMM et le PSM, formation créée par Harish Boodhoo.

Jamais avant ni après n'a-t-on vu la démocratie parlementaire fonctionner comme en 1978. Mais les rédacteurs de notre Constitution ne pouvaient prévoir que celle-ci serait pervertie à tel point que le Parlement n'est plus qu'un «rubber stamp» de l'exécutif aujourd'hui. Et que ce dernier étendra également son emprise sur d'autres institutions qui auraient dû être indépendantes.

Mais revenons à l'année 1978. Il faut dire que concernant l'économie, certains membres du gouvernement, de l'opposition MMM et du secteur privé se montraient plus... patriotes. Du côté du secteur privé, on ne jurait pas comme aujourd'hui que par la croissance économique, cet indicateur plutôt abstrait. Maurice Paturau, par exemple, reconnaissait que l'économie a connu un progrès spectaculaire entre 1968 et 1978, «mais qui plafonne aujourd'hui à cause de dépenses salariales et de consommation beaucoup trop fortes...

Au cours des dernières années, Maurice a vécu au-dessus de ses moyens, en dépensant trop, et ne produisant pas assez.» (PP, p. 261, l'express 05/03, p. 1). Le secteur privé proposait, entre autres, une réduction des dépenses de l'État et un coup de frein à la fringale d'importation ruineuse (PP, p. 249). Et sir Veerasamy Ringadoo, que l'on voue maintenant aux gémonies, dira : «Il faut créer le plus d'emplois possible, éviter une explosion salariale en se gardant de céder à des demandes d'augmentations de salaires déraisonnables, rétablir la balance des paiements, combattre l'inflation, développer l'industrie...» (PP p. 277, l'express 06/06). Un langage de vérité que l'on ne retrouve plus aujourd'hui. On nous berce maintenant avec des slogans que tout va bien. Il est vrai que le tourisme n'avait pas encore pris son essor en 1978.

Concernant l'agriculture, en 1978, on prévoyait même la production de 800 000 tonnes de sucre (l'express 16/06, p. 1) contre 255 000 actuellement. Lors de son discours sur le Budget (PP p. 259), le Premier ministre sir Seewoosagur Ramgoolam faisait l'éloge de l'agriculture et de ses effets sur notre paysage : «Notre environnement est enjolivé par une agriculture qui est l'envie des pays développés et est un modèle.» C'est lui qui dira «pa tous nou kann». Aujourd'hui, on s'extasie devant les buildings et autres villas.

Cependant, les grèves incessantes faisaient rage grâce notamment à l'entente entre l'opposition politique et les syndicats comme le montre l'express du 14 février 1978. René Noël dira : «Il est difficile de trouver une opposition officielle plus destructive, s'acharnant à détruire toutes nos valeurs et ne faisant rien pour aider le pays à sortir de l'ornière. Semer la haine, contribuer à détruire une nation qui est l'aboutissement de 250 ans d'efforts et la conjugaison de cultures diverses, c'est une mauvaise action indigne d'un parti qui se dit responsable et aspire au pouvoir.» (PP, p. 253, l'express 13/01/78.)

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