Sénégal: Manque d'équipements, faible financement, changement climatique, les maux de la filière sel à Kaolack

Une importante main-d'oeuvre vit de la production de sel dans la région de Kaolack (centre), mais cette filière est confrontée au sous-équipement de ses acteurs, à leur difficile accès aux financements et au changement climatique.

De nombreux agriculteurs se lancent dans la production artisanale de sel en profitant de l'alternance de cette activité avec les travaux champêtres. Certains d'entre eux exploitent des marais leur appartenant, d'autres sont employés comme journaliers par des exploitants.

Kaolack, avec une production annuelle d'environ 400.000 tonnes, est l'une des principales régions productrices de sel au Sénégal, selon son chef du service régional du commerce, Mamadou Camara. Les Salins du Sine-Saloum, la principale unité industrielle locale, fournit quelque 300.000 tonnes, soit 75 % de la production, signale M. Camara.

Des petites et moyennes entreprises (PME) ont une capacité de production d'environ 30.000 tonnes par an, beaucoup plus importante que celle des groupements d'intérêt économique (GIE) constitués de petits producteurs.

"La filière sel joue un rôle important dans l'économie de la région de Kaolack. C'est un secteur qui emploie beaucoup de personnes, des femmes et des jeunes notamment", souligne Mamadou Camara.

En 2022, les acteurs de la filière sel de Kaolack ont exporté près de 300.000 tonnes, vers des pays africains surtout, selon M. Camara. "Ils contribuent aux efforts visant à équilibrer notre balance commerciale."

Le changement climatique impacte négativement la production de sel, constate-t-il, ajoutant que les récoltes ne cessent de tendre vers la baisse.

La plupart des producteurs de sel sont dans l'économie informelle, ce qui engendre des difficultés d'accès aux financements.

"Le sel est une richesse pour l'économie sénégalaise mais il est sous-exploité. C'est une filière énormément pourvoyeuse d'emplois et de revenus. C'est une aubaine pour la région de Kaolack", souligne Awa Sarr Rivet, la directrice générale des sociétés "Le Comptoir du sel" et "Les Marais salants", basées à Sing-Sing, un quartier situé près de Kaolack. Elle s'est lancée dans l'exploitation industrielle du sel en 2022. Ses deux petites entreprises emploient 15 personnes et 120 travailleurs saisonniers.

Awa Sarr Rivet bénéficie du soutien de la GIZ, l'Agence de coopération internationale allemande pour le développement, et du Réseau Entreprendre Dakar. Elle a reçu de ce dernier un financement de 12 millions de francs CFA.

La patronne des sociétés "Le Comptoir du sel" et "Les Marais salants" a noué un partenariat avec des producteurs de la commune française de Guérande, un important producteur de sel.

"Dans les années à venir, j'aimerais pouvoir atteindre une production annuelle de 30.000 tonnes. On a l'espace et le climat qu'il faut, des partenaires et un personnel assez engagé pour développer notre exploitation", se réjouit cette géographe de formation et titulaire d'un master en aménagement du territoire et développement local, revenue au Sénégal après avoir passé plusieurs années en France.

"Les coûts d'investissement sont assez élevés mais les retombées financières sont au rendez-vous [...] Il y a de la place pour de nouveaux acteurs", assure-t-elle, soulignant que la région de Kaolack peut satisfaire une bonne partie de la consommation nationale et ouest-africaine.

Le Sénégal était en 2015 le premier pays producteur de sel en Afrique de l'Ouest, avec 412.000 tonnes, selon le chef du service régional du commerce de Kaolack.

La production familiale artisanale est essentiellement destinée à la consommation domestique des ménages, la production industrielle étant destinée à l'exportation, affirme M. Camara.

La filière attire d'importantes sociétés agroalimentaires, dont Patisen, Senico et Sel d'Afrique, qui sont confrontées à l'incapacité des PME et des GIE de leur fournir la quantité de sel dont elles ont besoin. La production artisanale a du mal à fournir du sel bien iodé à ces géants de l'industrie alimentaire sénégalaise.

Le taux d'impureté du sel est élevé, selon Mamadou Camara.

"Aider les producteurs à accéder aux crédits bancaires"

De l'avis de Karim Dramé, un expert de la filière sel pour la GIZ, les producteurs doivent être assistés pour être en mesure d'améliorer la qualité de la production. Ils doivent, par exemple, être initiés aux techniques d'élimination du magnésium contenu dans le sel local. "Les sociétés agroalimentaires, comme de nombreux autres usagers, ne veulent pas de sel contenant du magnésium", signale M. Dramé.

"Pour rendre la filière compétitive, il faut aider les producteurs à accéder aux crédits bancaires", propose-t-il.

Karim Dramé recommande aux producteurs et aux pouvoirs publics d'aménager des aires de stockage en vue d'une bonne conservation de la production, pendant la saison des pluies notamment. Les pluies engendrent souvent d'importantes pertes chez les producteurs, l'activité artisanale étant incompatible avec les fortes pluies. En 2022, au moins 32.000 tonnes de sel ont été endommagées par les eaux de pluie, à Fatick, Kaffrine (centre), Kaolack, et au lac Rose, situé dans la région de Dakar, selon M. Dramé.

"Il faut accroître les possibilités de commercialisation en mettant l'accent sur la qualité du produit et les exportations", propose M. Dramé, invitant les pouvoirs publics à doter les producteurs d'équipements performants.

Comme l'agriculture, la production de sel ne peut prospérer que lorsque les terres sont accessibles. De nombreux acteurs de la filière déplorent l'étroitesse des terres à leur disposition.

Les femmes font partie des principaux acteurs de la production de sel. A Parasel, par exemple, un village du département de Guinguinéo (centre), près de Kaolack, elles interviennent dans la filière pour gagner leur vie.

"Nous avons jugé nécessaire d'accompagner et d'encadrer les femmes. Pour ce faire, nous sommes allés à Parasel, à la rencontre d'une centaine de femmes qui s'activent dans la production de sel, pour nous imprégner de leurs difficultés et de leurs besoins en termes de financement", explique Farba Soumaré, un membre du GIE Parasel et directeur commercial d'une radio locale.

"Ces braves femmes n'avaient pas d'équipements adéquats pour mener leurs activités. Pour les soulager, nous leur avons fourni des gants, des lunettes, des chaussures, des motopompes et un tricycle, avec nos propres moyens. Cela a coûté 3,4 millions de francs CFA, qu'elles ne sont pas appelées à rembourser. Nous avons mis à leur disposition 11,5 millions de francs CFA", déclare Farba Soumaré, associé à deux de ses amis, Oumar Guèye et El Hadji Daouda Sall, pour venir en aide aux femmes productrices de sel de Parasel.

Les trois amis achètent la production de sel des femmes de ce village "à un prix raisonnable, d'autant plus qu'elles avaient un problème de commercialisation de leur production. Nous leur avons rendu visite il y a un mois et avons constaté que les choses avancent à pas de géant", dit Farba Soumaré.

Selon lui, le GIE des femmes productrices de sel de Parasel exploite quelque 50 hectares.

La filière sel contribue beaucoup à la lutte contre l'exode rural, assure M. Soumaré, invitant les pouvoirs publics à équiper ses acteurs et à les aider à augmenter la production.

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