La dépénalisation des délits de presse exigée par l'Organisation des nations unies(Onu) et l'Union africaine (Ua) n'est pas encore à l'ordre du jour, et l'accès à l'information, de même que la protection des sources, ne sont pas garantis dans les faits au Cameroun. D'où l'engagement militant de nombreuses organisations de journalistes à l'instar du Réseau des médias pour la promotion de la liberté d'expression(Rmplp).
Célébrée tous les 3 mai, sous l'égide de l'Organisation des nations unies pour l'éducation la science et la culture(Unesco), organisation à laquelle adhère l'Etat du Cameroun, la journée de défense de la liberté de la presse a eu pour thème cette année : « Façonner un avenir de droits : La liberté d'expression comme moteur de tous les autres droits de l'homme »), signifiant que la liberté d'expression constitue l'élément essentiel à la jouissance et à la protection de tous les autres droits de l'homme. Reste que pour l'observateur de la scène médiatique camerounaise, le gouvernement est loin de faire sien les valeurs de l'Unesco.
Un fait saute aux yeux pour douter de « la sincérité et l'authenticité » des dirigeants camerounais en matière de défense et de promotion de la liberté de la presse. Le 02 mai dernier, juste un jour avant la célébration de l'édition 2023 de la journée internationale de la liberté de la presse, Régine Touna, directrice de publication du journal Le Repère à Yaoundé devait se rendre à la division régionale de la police judiciaire du centre pour répondre d'une convocation signée par le commissaire divisionnaire, Moïse Ename.
À la découverte de la convocation signée par ce Commissaire de police, l'on découvre que le nom de la DP n'est pas exact et que le motif de la convocation n'est pas mentionné. Joints au téléphone par Journalistes en Afrique pour le développement(Jade), Emmanuel Ekouli, directeur de publication de La Voix du Centre et correspondant de Reporters Sans Frontières au Cameroun et ses pairs du Réseau des patrons de presse du Cameroun (Repac), redoutent que leur consoeur soit sanctionnée à cause d'une ou de plusieurs publications contenue dans le journal Le Repère, puisque, au regard de la loi, le directeur de publication est coresponsable de tous les articles publiés par son journal. La loi de 1990 sur la communication sociale précise que même quand le texte présumé diffamant est signé par un pseudonyme, la responsabilité du patron du journal peut être engagée.
Intimidations policières
Pour venir au secours de Régine Touna, le Repac a rédigé une alerte pour dénoncer ce qu'il considère comme «une tentative d'intimidation et de musèlement de la presse», par les agents et les officiers de police judiciaire agissant en synergie avec le Procureur de la République.
Certains journalistes chevronnés conseillent de ne pas établir trop vite un lien entre cette convocation de la responsable du journal Le Repère et une poursuite pour « diffamation » ou tout autre délit de presse. Cette réserve n'habite pas les membres du Repac. « En effet, c'est aux environs de 20h qu'un frappe à la porte de la rédaction de dudit journal vendredi dernier, habillé d'une tenue bleue foncée. Le reporter qui s'y trouvait encore ouvre la porte et le Policier lui déclare qu'il est venu déposer la convocation à Madame TOUNA.
Le reporter regarde sa montre, il était 19h30 passées, et dit au Policier qu'il ne pouvait pas décharger une convocation à cette heure de la nuit. Le Policier avance donc vers le balcon et appelle un supérieur, qui lui demande de laisser la convocation, même sans décharge », rappelle le Repac dans son alerte à l'attention de la communauté nationale et internationale.
En reconnaissant et soutenant le règne d'un État de Droit et de Justice pour TOUS, le Repac s'insurge contre ces pratiques d'une époque lointaine, notamment la violation du Code de procédures en vigueur par ceux censés le protéger. Le Bureau exécutif de cette organisation s'engage à mettre à contribution son équipe d'assistance judiciaire à la disposition de la poursuivie et promet de suivre « avec intérêt cette autre affaire ». Comme plusieurs autres feuilletons judiciaires qui ont marqué la vie de la presse camerounaise en 2022 et depuis le début de l'année 2023.
Entre le 18 et 20 janvier 2023, Jean François Chanon, directeur de publication du journal Le Messager est malmené dans les locaux du Secrétariat d'Etat à la défense chargé de la gendarmerie national, malgré son état de santé chancelant. Une situation incommode qui contre laquelle se ligue le Réseau des médias pour la promotion de la liberté de la presse (Rmplp). Mise en marche en juin 2023, grâce à Jade, cette organisation pilotée par Michel Ferdinand, Rédacteur-en- chef adjoint chargé des magazines au quotidien privé Mutations, entend marquer son déploiement officiel ce 03 mai 2023 à travers des actions et un plaidoyer pour exiger la dépénalisation des délits de presse au Cameroun.
Inscrit dans cette logique, le comité international pour la protection des journalistes(Cpj), basé à New-York aux Etats-Unis d'Amérique(Usa) dresse un bilan alarmant au sujet des persécutions des journalistes et de la répression de la liberté de la presse et de la fragilisation de l'indépendance des médias au Cameroun : « Le danger est permanent pour les journalistes camerounais, notamment pour ceux adoptant une ligne critique ou indépendante.
Les journalistes sont régulièrement exposés aux attaques verbales et physiques, aux arrestations et détentions arbitraires, aux procédures-bâillons, aux enlèvements et aux risques d'assassinat.
En janvier 2023, le journaliste Martinez Zogo a été retrouvé mort, le corps gravement mutilé, cinq jours après son enlèvement. C'est le second assassinat de journalistes, après Samuel Wazizi en 2019, en trois ans au Cameroun. »
Des professionnels des médias devant des tribunaux
Cette organisation souligne qu'en mars 2022, le journaliste Paul Chouta avait été enlevé puis agressé par des individus non identifiés. « Nombre de journalistes connus font l'objet d'une surveillance. Le degré d'impunité pour les auteurs d'actes de violence envers les journalistes reste très fort. Les journalistes des régions anglophones sont régulièrement accusés d'être complices du mouvement sécessionniste qui s'oppose depuis plusieurs années au pouvoir central de Yaoundé », dénonce le Cpj.Les différentes lois, rappelle le Cpj, dont celle régissant la liberté de la presse datant de 1990, sont largement contournées pour être mises au service de la répression du journalisme. La dépénalisation des délits de presse n'est pas encore à l'ordre du jour, et l'accès à l'information, de même que la protection des sources, ne sont pas garantis dans les faits. « Il est fréquent que des professionnels des médias soient traduits devant des tribunaux d'exception, à l'instar de l'ex-directeur général de la CRTV, condamné à 12 ans de prison ferme et à verser une lourde amende pour "détournement de fonds publics", après presque sept ans de détention préventive - qualifiée d'arbitraire par l'ONU.
La loi antiterroriste de 2014 et un tribunal militaire avaient été utilisés en 2015 pour maintenir en prison le correspondant de RFI pendant deux ans et demi », souligne cette organisation de défense de la liberté de la presse et des droits des journalistes.
Cette triste réalité choque les responsables du Cpj. Car le Cameroun est signataire d'une kyrielle d'instruments juridiques internationaux qui promeut l'indépendance des médias et la liberté de la presse. Il s'agit notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont l'article 19, de manière explicite consacre et protège la liberté d'expression et la liberté de la presse : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. 2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».