Sénégal: Déni Birame Ndao - Le Village d'enfants, de refuge à tremplin

Dans la vie, on a tous droit à une seconde chance. Certains enfants du Village d'enfants de Déni Birame Ndao ne diront pas le contraire. Jadis un refuge en attendant la réconciliation familiale ou sociétale, il est devenu un tremplin pour enfants et adolescents qui s'épanouissent grâce à la formation aux différents métiers. Certains d'entre eux ont « déjà retrouvé la dignité qu'offre le travail ».

À Déni Birame Ndao, des jeunes comme Sadio Mané, Ismaila Sarr ont réalisé leurs rêves de devenir des as du balllon rond. Non loin du complexe sportif, point de départ de leurs carrières, des enfants s'arrachent pour des lendemains qui chantent. Et l'espoir grandit de jour en jour. Le désespoir né de leurs sombres nuits dans les geôles ou rues de Dakar s'est dissipé. Et c'est à mettre au crédit de l'organisation Village pilote. Son centre pour enfants s'est isolé des demeures du village de Déni Birame Ndao. Une route latéritique entrecoupée de goudron y mène. Il faut quelques questions aux villageois, un recours à la géolocalisation pour apercevoir une grande case en cube, accolée à un panneau photovoltaïque. Ce sont deux repères pour tout nouveau visiteur.

Un vent souffle léger en cette matinée du mercredi exposant les occupants à la chaleur malgré le cadre aéré. Au terrain de foot, médian du centre, des jeunes de moins de dix ans marchent côte à côte. Leurs visages dégagent bonheur et convivialité. Tantôt des éclats de rires, tantôt des tapoteries, ils semblent bien intégrés dans un environnement éloigné de la cour familiale. Manon Champion, directrice de la communication, Cheikh Diallo, le directeur et le préposé à la sécurité nous accueillent. Après les enregistrements, débute une visite guidée des bâtiments éparpillés autour du terrain de football. De loin, on soupçonne la solidité des briques rouges qui ont fini de constituer ces bâtiments bioclimatiques.

De la galère aux rêves

De la rue, des enfants sont passés à des salles de classe, à des ateliers, etc. Dans une pièce à l'éclairage naturel, un homme proche de la soixantaine donne des cours de Mathématiques. Sa classe est constituée d'une dizaine d'élèves aux profils différents. « J'enseigne les Mathématiques selon les spécialités. Un programme spécifique est conçu pour chaque profil. Que ce soit le menuisier, l'électricien, le maçon ou le maraîcher », dit-il, le visage souriant.

À quelques mètres de lui, des enfants âgés entre 10 et 16 ans s'épanouissent dans un atelier de menuiserie. À côté des maîtres, certains rabotent, d'autres coupent le bois. Armoires, portes, lits sont déjà fabriqués. Des enfants ayant été récupérés dans la rue y ont appris le métier. L'un d'eux s'appelle Ousmane. C'est un nom d'emprunt, puisqu'on est tenu de respecter leurs droits. Des soirées de galère à Colobane, il est passé au rêve d'une carrière dans la menuiserie.

« Après avoir fugué, je fréquentais les rues et m'exposais au banditisme. J'ai été récupéré et en moins d'un an, j'ai été initié à la menuiserie. Mon seul rêve actuellement est de devenir un grand chef d'entreprise », ambitionne-t-il.

Assis en face du jardin, Modou voit quelques-uns de ses amis autour d'un plat de riz à la viande. De la rue, le jeune homme de petite taille est passé du vagabondage au maraîchage. Il a été récupéré aux Almadies, puis initié à cette activité économique. C'est un grand plaisir pour lui. Le virus l'a piqué. C'est devenu une passion. « Tout a changé dans ma vie maintenant j'ai une activité », rigole-t-il. Pour la journée du mardi 28 mars 2023, il a informé avoir récolté plus de 63 kilogrammes pour le chou, l'oignon et la tomate. Comme l'appétit vient en mangeant, il rêve grand et se voit demain « comme un grand producteur qui nourrit et emploie ».

Réconciliation sociale

L'adolescence fait souffler un vent de révolte chez certains. Les conséquences sont une rupture des liens familiaux. Il s'en suit un départ de la maison pour divers comportements décriés. Moustapha l'a vécu. Après avoir fugué, il a passé une enfance difficile dans les rues de Colobane. Convaincu et recruté par le Village pilote, il s'est réconcilié avec sa famille et a désormais des ambitions pour sa maman. « Avec le Centre j'ai pris conscience. Je me suis réconcilié avec ma famille. J'appelle souvent mes parents. Et ils seront heureux de savoir que je suis dans le maraîchage. Je compte persévérer, travailler dur pour améliorer leurs conditions de vie », décide Moustapha.

Abdoulaye, lui, vient de Saint-Louis, d'un autre centre de réinsertion sociale et professionnelle. Il est d'origine guinéenne. De la rue, il a intégré l'atelier de menuiserie du Village pilote. L'autre point positif pour lui est qu'il a renoué le dialogue avec ses parents établis en Guinée. « Au sortir de ce centre, le métier appris m'aidera à gagner ma vie et à accompagner mes parents. Je peux aujourd'hui dire que j'ai réussi ma réintégration. Et je suis fier de moi », confie-t-il, d'une voix émue, tête baissée. Ce sont de nouvelles vies, après des regrets d'enfance, qui consacrent les rêves d'un futur radieux.

Un paradis des enfants

Le Centre de Déni Birame Ndao met en place une stratégie complète pour récupérer et intégrer les jeunes désoeuvrés. Le travail est fait par une équipe d'écoute mobile qui sillonne différents points les mercredis et vendredis. Ils ne rentrent pas bredouille puisque six à sept jeunes sont recrutés par semaine. « On est là pour la réinsertion socio-professionnelle des enfants de la rue. On était à Pikine dans une petite maison appelée « le Refuge ». Là-bas, on les stabilisait pour favoriser le retour en famille », explique le directeur du Centre, Cheikh Diallo. À l'en croire, 80% des enfants récupérés sont des anciens talibés qui fuguent pour ne pas être maltraités.

Ce centre, bâti sur 11 hectares, accueille présentement 70 à 75 jeunes divisés en trois groupes. Le premier appelé « Refuge » concerne les enfants âgés entre 4 et 12 ans. Le deuxième groupe « Oasis » est constitué de personnes âgées entre 13 et 16 ans. Le dernier groupe, « Tremplin » mobilise les adolescents âgés entre 17 et 25 ans. Ces derniers sont initiés aux métiers, puis mis sur le marché du travail. « Nous avons placés plusieurs jeunes à l'usine de Kirène. Quatre d'entre eux ont été recrutés pour l'exploitation du Ter. Et pour le Brt, nous avons des promesses fermes », souligne Cheikh Diallo.

Avec un nombre de recrues croissant, le Centre dépense 700.000 FCfa par semaine rien que pour l'alimentation des pensionnaires. Des sommes collectées grâce aux levées de fonds, aux caravanes et adhésions solidaires.

De coach de rugby à Directeur

Menuisier, puis joueur et coach de rugby, Cheikh Diallo est passé à Directeur du Centre pour enfants de Déni Birame Ndao. Sa vie est animée par « l'exaltante mission » de retirer les enfants de la rue pour favoriser leur réinsertion socio-professionnelle.

Muscles saillants, Cheikh Diallo arbore un débardeur rouge. Stylo à la main, il prend des notes sur un carnet. Né à Ziguinchor, il a grandi à Dakar. Jeune, il a été formé au métier de la menuiserie. Avec le temps, il s'intéresse à la prise en charge des enfants de la rue. C'est ainsi qu'il intègre le Centre Refuge de Pikine. « Là-bas, avec des moyens limités, son équipe et lui se consacraient à la récupération et à la réinsertion des enfants », renseigne-t-il, le sourire constant. En même temps, Cheikh Diallo poursuivait son activité favorite : le rugby. C'est dans ce cadre qu'il a intégré le Centre de Déni Birame Ndao pour promouvoir la discipline sportive. « J'étais venu pour le rugby et je suis resté à jamais », rigole-t-il. Aujourd'hui il ne vit que pour le social. « Ça m'a beaucoup aidé dans ma vie. Le social si tu ne l'aimes pas, tu ne peux pas le faire. Récupérer les jeunes marginalisés, les réintégrer est une mission exaltante », souligne Cheikh Diallo.

Aujourd'hui, il est passé du rugby à directeur du Centre de Déni Birame Ndao, avec le défi quotidien de servir l'enfant. « C'est un plaisir. Défi ne peut être plus important. Être au service de l'enfant, c'est participer au développement de son pays », remarque-t-il. En tant que directeur, son défi, en ce moment, est d'avoir zéro enfant dans la rue. « On voit tellement de jeunes dans la rue. Donc, le défi est énorme », estime-t-il. Il ambitionne également de commencer à accueillir des filles en 2023 et d'intensifier la sensibilisation. Une manière pour lui de manifester son amour pour l'enfant.

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