La Journée mondiale de la liberté de la presse a été célébrée, hier, sur le thème « Façonner un avenir de droits : la liberté d'expression comme moteur de tous les autres droits de l'Homme ». Ce moment de célébration a été une occasion pour l'Unesco et le Bureau des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel (Unowas) et ses partenaires de faire l'état des lieux de la liberté d'expression au Sénégal.
La célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse au Sénégal s'inscrit, cette année, dans un contexte particulier marqué par une série de complaintes des acteurs relatives aux arrestations et détentions de journalistes. Ce contexte semble d'ailleurs inspiré la thématique de la célébration de cette 30e édition : « Façonner un avenir de droits : la liberté d'expression comme moteur de tous les autres droits de l'Homme ». Dans le cadre de la commémoration de cette journée, l'Unesco et le Bureau des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel (Unowas) ont tenu, hier, un Forum de discussions sur plusieurs sous-thématiques relatives à la liberté de la presse. Cela, en partenariat avec les organisations nationales des médias, celles des organisations régionales et internationales de la société civile.
L'objectif est de « promouvoir la liberté d'expression comme droit fondamental consacré par la Déclaration universelle des droits de l'Homme et sensibiliser les différentes parties prenantes à la mobilisation pour soutenir les efforts d'amélioration de la liberté d'expression et de la liberté de la presse ». Pour le Directeur du Bureau régional multisectoriel de l'Unesco pour l'Afrique de l'Ouest, Dimitri Sanga, le thème de cette journée, « nous invite à réfléchir sur la centralité de la liberté d'expression dans la réalisation des droits humains. De son point de vue, la liberté d'expression et des médias permet aux journalistes professionnels de prospérer dans la société en aidant à la vérification des faits, en créant des espaces d'échange et en rendant des sujets complexes intelligibles. « Le journalisme professionnel permet d'analyser et d'enquêter sur les faits et de révéler les actes répréhensibles qui portent atteinte aux droits humains », a-t-il indiqué.
De son côté, Mamadou Thior de la Coordination des associations de presse (Cap) a déploré l'emprisonnement, depuis début mars, du journaliste Pape Ndiaye et la garde à vue, depuis fin avril, du journaliste d'investigation et Directeur de publication du site Kewoulo Babacar Touré. « Jamais autant de journalistes ont été écroués au Sénégal », a-t-il regretté. Pour M. Thior, sur le continent, les professionnels des médias continuent de payer un lourd tribut, car l'Observatoire de l'Unesco fait état de 195 journalistes assassinés en Afrique entre 2000 et 2022. « S'ils ne sont pas tués, ils sont emprisonnés, violentés, car leur seul tort est de vouloir exposer ce que cachent certains de leurs interlocuteurs », a-t-il indiqué, rappelant que l'article 1 de la Charte du journalisme au Sénégal souligne que le « droit du public à une information juste et équilibrée prime sur toute autre considération ». De l'avis de Mamadou Thior, en Afrique, « il est fréquent de s'attaquer à la liberté de la presse et d'expression sur des bases fallacieuses ».
Pilier de la démocratie et de la justice
La Représentante spéciale adjointe du Secrétaire général des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel a rendu hommage aux journalistes et professionnels des médias dans cette région qui, en dépit des difficultés et obstacles, restent engagés dans leur mission d'information au service des citoyens. « La liberté de la presse est un pilier de la démocratie et de la justice. Lorsque des journalistes sont pris pour cible, toute la société en paie le prix », a déclaré Giovanie Biha.
À ses yeux, la liberté d'expression et de la presse est nécessaire pour la promotion des droits humains et de la justice sociale, car permettant de « disposer des faits pour façonner notre opinion et dénoncer les injustices ». L'attaque quotidienne contre la liberté de la presse, explique-t-elle, menace la vérité à cause de la désinformation et des discours de haine. « Avec l'insécurité grandissante au Sahel et l'instabilité politique dans plusieurs pays, nous constatons la régression de la liberté de la presse marquée par la recrudescence des violences à l'encontre des journalistes et des médias... La liberté d'expression est un élément clé de la démocratie et de la participation citoyenne », a affirmé Mme Biha, insistant sur la nécessité pour les gouvernements de la sous-région de soutenir davantage les médias et d'assurer leur protection.
Présidant la cérémonie, Fatou Binetou Ndiaye Sall, Secrétaire générale du ministère de la Communication, des Télécommunications et de l'Economie numérique, a rappelé qu'au Sénégal, la liberté de la presse et la liberté d'expression sont consacrées par la constitution et « notre » pays a ratifié tous les instruments juridiques internationaux en la matière. Et pour renforcer le secteur et offrir un meilleur cadre d'exercice aux journalistes, a-t-elle souligné, « notre » pays s'est doté, depuis 2017, d'un nouveau Code de la presse. « La liberté de la presse n'a de sens et ne peut être constructive que si elle est accompagnée de l'application sans faille des notions fondamentales de responsabilité, d'éthique et de déontologie... », a avancé Mme Ndiaye.
Quand la diffamation « restreint » la liberté de la presse
Au Sénégal, certains instruments juridiques limitent la liberté de presse et d'expression. Et l'utilisation de la loi, comme c'est le cas de la diffamation, contribue à la restriction de ces libertés. Pour Oumar Seck Ndiaye, écrivain, journaliste et expert des médias, la diffamation entrave l'exercice de la liberté d'expression. Pour étayer son argumentaire, l'auteur a cité l'arrestation de journalistes, au Sénégal, depuis quelques mois, ainsi que le classement 2023 de l'Ong Reporters sans frontières (Rsf). Dans ce nouveau rapport, notre pays vient de réaliser un bond en arrière passant de la 73e à la 104e place. Toutefois, l'auteur de l'ouvrage « Requiem ou Te Deum pour les médias », qui a axé sa communication, hier, lors du forum à l'occasion de la Journée mondiale de la presse sur le thème :« L'utilisation des lois sur la diffamation pour restreindre la liberté de presse », soutient que le cadre juridique est « relativement » favorable, mais il remarque aussi l'absence de la loi sur l'accès à l'information.
Parlant du paysage médiatique sénégalais, il relève une marchandisation de l'information, avec une « politisation » de l'information. Ceci s'explique par la précarité des médias. « La presse et la politique forme un couple incestueux et cela date depuis l'époque coloniale avec Faidherbe », a-t-il informé. De l'avis de Oumar Seck Ndiaye, les hommes politiques instrumentalisent les médias à des fins politiques. I.BA