Avec 5 600 km de côtes et plus de 117 000 km² de plateau continental, Madagascar dispose d'importantes ressources marines et côtières. Un atout sur lequel misent les autorités pour faire de la filière pêche un puissant levier économique.
Source de revenu pour près de 1,5 million de Malgaches, le secteur de la pêche pèse près de 7% du PIB national et représente plus de 10% des exportations. Actuellement, Madagascar produit plus de 142 000 tonnes de poissons par an, selon les données de la Banque Mondiale. Pour les responsables publics, ces chiffres pourraient être multipliés par deux dans les prochaines années si les objectifs fixés dans la politique de développement de la filière sont réalisés et si le pays parvient à régler les problèmes de surpêche, éradiquer les mauvaises pratiques de pêche et éviter la destruction de l'habitat marin.
Du côté des partenaires techniques et financiers, on reconnait aussi que le secteur de la pêche joue un rôle primordial dans l'économie avec une production annuelle d'une valeur de 750 millions de dollars. Il est aussi important pour la santé nutritionnelle et la sécurité alimentaire des Malgaches, car il contribue à environ 20 % de la consommation de protéines animales. La pêche et l'aquaculture constituent la principale source de revenu des habitants qui vivent le long du littoral.
Mais bien que la pêche soit indispensable pour l'économie malgache, ainsi que pour la subsistance de plusieurs milliers d'individus, le secteur fait face à des défis aussi complexes que nombreux. L'équilibre fondamental entre la conservation et l'exploitation des ressources halieutiques en fait partie. On sait, en outre, que les pêcheurs commencent très jeunes, dès l'âge de 11 à 15 ans. Un des grands défis du secteur est ainsi de trouver le juste équilibre entre pêche économique et pêche responsable, de manière à intégrer adéquatement le rôle de l'humain dans son environnement, tout en préservant l'écosystème marin et en encourageant l'exploitation durable des ressources naturelles.
Pour le ministère de la Pêche et de l'économie bleue (MPEB), Madagascar peut légitimement afficher des ambitions accrues dans le domaine de la pêche, car le pays dispose des atouts nécessaires à cet effet. Ce département ajoute que, mises à part les initiatives portées par le gouvernement et les projets appuyés par les partenaires, l'heure est aussi à la promotion des investissements étrangers et nationaux pour que le secteur de la pêche puisse figurer parmi les principales activités créatrices d'emplois et créatrices de richesses de Madagascar. Le MPEB rappelle aussi l'importance de l'adhésion de Madagascar à l'Initiative pour la transparenc35e des pêches (FiTI) et du lancement du programme d'aménagement de complexes de pêche.
Le projet SwioFish en pole position
Divers programmes sont mis en oeuvre à Madagascar et dans la sous-région pour promouvoir le secteur de la pêche responsable. Parmi ceux-ci, notons le Projet de gouvernance des pêches et de croissance partagée dans le Sud-Ouest de l'océan Indien (SwioFish - (South West Indian Ocean Fisheries Gouvernance and Shared Growth Project). Il est présenté comme le plus important projet au profit du secteur de la pêche mené dans la Grande ile. A l'origine de cette initiative, le constat selon lequel les défis liés au développement du secteur halieutique et à la protection de l'environnement marin dans le Sud-ouest de l'océan Indien sont principalement régionaux : ressources et écosystèmes partagés, enjeux communs de réduction de la pauvreté et de la durabilité de l'exploitation des ressources vivantes et des filières transfrontalières. Un dialogue régional a donc été lancé, notamment dans le cadre de la Commission des pêches du Sud-Ouest de l'océan Indien (CPSOOI).
Les échanges visaient l'amélioration de la coordination entre politiques et investissements sectoriels, le partage des expériences et l'information, l'amélioration de la gestion des pêcheries et des stocks, le renforcement du poids des pays de la région dans les forums internationaux, et l'augmentation des économies d'échelle. Dans ce cadre, les pays membres de la CPSOOI avaient requis le soutien de la Banque Mondiale pour appuyer cette approche régionale et, pour certains d'entre eux, le développement de leur secteur halieutique. En réponse, l'institution de Bretton Woods a développé le SwioFish.
La vision du projet est d'accroître les avantages économiques, sociaux et environnementaux des pays bénéficiaires à travers une pêche maritime durable en renforçant le mécanisme de financement, de coordination et d'échange des connaissances. Si Madagascar n'a pas été concerné par SwioFish1, du fait de la politique qui a secoué le pays en 2009, en 2017, la décision a été prise que la Grande ile sera le principal bénéficiaire du SwioFish2.
Au mois de mars, le ministre de la Pêche et de l'économie bleue, Paubert Mahatante, à la sortie d'un entretien avec la country manager de la Banque Mondiale, Marie Chantal Uwanyiligira, a déclaré que le projet « dispose d'un budget d'environ 60 millions de dollars disponibles, mais qui reste encore à décaisser ». À Madagascar, le projet se concentre sur cinq zones cibles identifiées comme stratégiques pour la pêche et ses pôles de croissance. Trois de ces zones sont considérées comme « Ultra Prioritaires » : les baies d'Ambaro à Ampasindava dans la région Diana, la baie d'Antongil dans la région Analanjirofo et la région Melaky.
Surveillance des pêches, le grand challenge
L'autre défi de taille qui se pose est la protection des ressources halieutiques. Selon les statistiques disponibles, la pêche illicite et non déclarée (pêche INN) fait perdre à Madagascar entre 14 et 16 millions de dollars par an. Selon les responsables, des actions d'envergure sont déjà en cours pour mieux surveiller nos zones de pêche. Pour preuve, au mois d'aout 2022, le Centre de surveillance des pêches (CSP) a reçu une donation de sept vedettes. Cet appui matériel vise notamment à renforcer la capacité de surveillance des activités maritimes du pays en vue de réprimer les pratiques récurrentes de pêche illégale.
« Madagascar devrait être doté d'une quarantaine d'embarcations de surveillance de pêche et de sécurité en mer d'ici à 2025. Ce sera une grande première », a indiqué à cette occasion le ministère de la Pêche et de l'économie bleue qui a aussi rappelé que « jusqu'ici, la Grande ile ne disposait que de trois bateaux de surveillance ». Et les dispositifs qui visent à renforcer la surveillance des pêches, continuent de se renforcer. Le rapport du Conseil des ministres tenu le mercredi 3 mai, a noté que l'Exécutif a donné son accord pour la remise officielle, prévue au mois de juin, du bateau destiné à sécuriser les ressources marines autour de Nosy Mitsio, dans le district d'Ambilobe. L'équipement a été acquis grâce au financement du gouvernement japonais.
Madagascar a mis en place le CSP à la fin des années 1990. Cette structure administrée par un comité de pilotage, dont les membres sont issus du secteur public et du secteur privé, est aujourd'hui dotée de plusieurs antennes. Basé à Antananarivo, son aire géographique d'intervention couvre le territoire national et l'ensemble des eaux sous juridiction de la République de Madagascar.
Aux fins d'une exploitation durable et rationnelle, le CSP a pour mission de protéger et de conserver les ressources halieutiques et aquicoles dans ses activités de suivi, de contrôle et de surveillance. Le suivi de l'effort de pêche concerne les secteurs traditionnel, artisanal et industriel. La surveillance veille au respect des dispositions législatives et réglementaires par tous les navires opérant dans les eaux nationales malgaches et par tous les opérateurs économiques des secteurs de la pêche et de l'aquaculture.
Pour mener à bien sa mission le CSP dispose de navires patrouilleurs, d'unités rapides d'intervention et de véhicules 4x4 pour les missions terrestres. Il affrète aussi périodiquement des avions pour les missions de surveillance aériennes. Sur le plan humain, l'effectif du CSP est d'une centaine d'agents environ dont une trentaine des inspecteurs assermentés. Le financement du CSP est assuré notamment par les partenaires techniques et financiers (Banque Mondiale, Union européenne, Agence française de développement (AFD)...).
Accords de pêche
Un dossier sensible
Si aucun texte juridique ne règlemente les accords de pêche à Madagascar pour le moment, les responsables publics soutiennent que la stratégie nationale sectorielle sur la pêche et l'économie bleue offre au pays la possibilité de mieux encadrer les démarches en matière d'accords de pêche. Un sujet sensible et très suivi par la société civile et l'opinion publique en général. Il faut, en effet, remarquer que de nombreux commentaires ont été vus dans les médias et sur les réseaux sociaux concernant les ententes conclues avec d'autres pays ou des entreprises étrangères pour l'exploitation de nos ressources halieutiques.
Pour sa part, le Rapport Diagnostic sur les autorisations et les accords de pêche réalisé par le cabinet d'études Mamia, dans le cadre du Projet d'appui au renforcement des capacités d'analyse des facteurs de vulnérabilité structurelle et la promotion de l'économie bleue, appuyé par la Banque africaine de développement (BAD), a produit plusieurs recommandations à cet effet. Parmi ces propositions, notons la nécessité d'élaborer un texte juridique sur le protocole standard qui mentionnera les types de pêche possibles, les listes et les caractéristiques des engins autorisés, les espèces cibles, et toutes les informations sur le mandataire local.
Le rapport recommande aussi la mise en place d'un système d'identifiant unique pour les navires, le partage d'information sur les activités illégales détectées en haute mer, les zones de pêche... Le cabinet a aussi jugé indispensable que soit rendu effectif l'article 60 de la loi n°2015-053 qui interdit les transbordements des navires de pêche dans les eaux sous juridiction malgache.
L'élaboration d'un plan de gestion et de développement de la pêche, à l'instar de celui des Seychelles, a aussi été suggérée, tout comme l'intégration des activités dans le cadre de l'appui sectoriel (renforcement de capacité des agents centraux et décentralisés, évaluation des stocks, renforcement aspect sanitaire et surveillance des pêches...) dans les grands accords de pêche comme celui avec l'Union européenne. Sur ce point, rappelons que c'est le 27 septembre 2022 que Madagascar a conclu un nouvel accord pour la reprise de sa coopération avec l'UE sur la pêche au thon au cours des quatre prochaines années. Dans le cadre des nouvelles dispositions de l'entente, les droits d'accès pour la capture du thon ont été revus à la hausse.
Ainsi, le prix à payer par les chalutiers européens pour la prise de poissons passera à 220 euros par tonne contre 142 euros précédemment. « Cette revalorisation fait de Madagascar le pays avec le deuxième tarif d'accès pour les captures de thon le plus élevé dans l'océan Indien après celui en vigueur à Maurice. De plus, la flotte européenne de pêche sera diminuée de 25 à 30 % et le volume des captures totales autorisées sera limité à 14 000 tonnes par an », indiqué le ministère de tutelle à la suite de cet accord. « Nous devons réduire le nombre des navires de pêche pour pouvoir utiliser nos ressources durablement et de façon responsable et équitable », explique le ministre Paubert Mahatante avant d'ajouter que, globalement, la filière malgache devrait engranger près de 12,5 millions d'euros sur la période de mise en vigueur de l'accord.
VERBATIM
Etienne Bemanaja,
Directeur général de la Pêche
« De nombreux défis sont lancés par le ministère de la Pêche et de l'économie bleue pour une meilleure gouvernance des ressources halieutiques. On peut citer, entre autres, la reconstitution des stocks, la durabilité des pêcheries, l'amélioration des redevances, la sécurité alimentaire et la création des emplois bleus. Pour le thon, nous allons aussi développer la pêche artisanale afin que les pêcheurs nationaux puissent avoir accès aux ressources qui se trouvent à 35 km au large des côtes. »
Mbuli Charles Boliko,
Représentant résident de la FAO à Madagascar
« La FAO et l'ONG Stop Illegal Fishing (SIF) ainsi que d'autres partenaires travaillent en collaboration avec le ministère de la Pêche et de l'économie bleue pour disposer d'une stratégie et d'un plan d'actions visant à assurer la bonne gouvernance du secteur pêche tout en luttant contre la pêche illicite et non déclarée (INN). Il s'agit d'un problème mondial ayant des conséquences environnementales et socioéconomiques bien au-delà des frontières nationales et qui nécessite des réponses globales. »