Congo-Kinshasa: Les autorités doivent lever l'« état de siège » sans plus attendre

communiqué de presse

Les autorités de la République démocratique du Congo (RDC) doivent lever immédiatement l'état de siège, comparable à un état d'urgence, en vigueur dans les provinces du Nord-Kivu et d'Ituri depuis deux ans, car il viole la Constitution du pays et le droit international relatif aux droits humains, a déclaré Amnesty International le 6 mai 2023.

L'état de siège est illégal et contribue à aggraver la situation des droits humains dans le paysTigere Chagutah, directeur régional pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe à Amnesty International

« L'état de siège est illégal et contribue à aggraver la situation des droits humains dans le pays. Le président Félix Tshisekedi doit lever cette mesure répressive sans délai, a déclaré Tigere Chagutah, directeur régional pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe à Amnesty International.

« Son application et ses multiples prorogations, qui restreignent les droits, sont loin de respecter la Constitution de la RDC et ses obligations internationales en matière de droits humains. »

L'objectif déclaré de l'état de siège était « d'améliorer rapidement la protection des civils, de neutraliser les groupes armés et de rétablir l'autorité de l'État ». Toutefois, la situation en matière de sécurité dans les deux provinces s'est considérablement dégradée. Dans la région, depuis deux ans, on constate une recrudescence des attaques contre les civils et une augmentation des victimes civiles.

Le président Félix Tshisekedi doit lever cette mesure répressive sans délaiTigere Chagutah

Pourtant, le gouvernement a prorogé plus de 50 fois l'état de siège, sans aucun véritable débat public sur la légalité ou le fond de ces décisions.

« Si le président Félix Tshisekedi ne lève pas l'état de siège aujourd'hui, après deux ans de restrictions illégales et injustifiées imposées aux droits humains, les membres du Parlement doivent rejeter toute nouvelle demande de prorogation faite par le gouvernement », a déclaré Tigere Chagutah.

Malgré l'état de siège, l'armée de la RDC n'a pas réussi à prévenir les attaques croissantes des groupes armés contre la population civile ni à y apporter une réponse adéquate. Selon les informations recueillies par le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l'homme en République démocratique du Congo (BCNUDH), l'armée est en fait responsable de violations graves des droits humains à l'encontre des civil·e·s.

Amnesty International a précédemment relevé que les autorités militaires de la RDC, nommées par le président Félix Tshisekedi, ont utilisé les pouvoirs conférés par l'état de siège pour restreindre systématiquement les droits humains. Elles ont harcelé et incarcéré des journalistes, et tué des défenseur·e·s des droits et des militant·e·s politiques. Elles ont également recouru à la détention provisoire massive des personnes considérées comme une menace, dans des centres où les conditions sont bien souvent épouvantables.

« Toutes les personnes détenues arbitrairement dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri, y compris au seul motif qu'elles ont critiqué l'état de siège et l'armée, doivent être libérées immédiatement. Tous les membres des forces de sécurité de la RDC soupçonnés d'avoir bafoué les droits humains doivent être traduits en justice dans le cadre de procès équitables, a déclaré Tigere Chagutah.

« Les autorités de la RDC doivent prendre des mesures sur-le-champ afin de garantir une franche amélioration des conditions carcérales. Les détenus doivent avoir accès à des aliments nourrissants, à de l'eau propre, à des installations sanitaires et à des soins médicaux. »

Au lieu de réprimer davantage les droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique, le gouvernement en RDC doit permettre à la population d'exercer librement ses droits et trouver des mesures efficaces pour résoudre les problèmes de sécurité, à l'approche des élections générales prévues en décembre 2023.

« En consultation avec les populations touchées et les organisations de la société civile, il doit définir et mettre en oeuvre des mesures efficaces de protection des civils et améliorer la sécurité, sans écorner davantage les droits humains », a déclaré Tigere Chagutah.

Complément d'information

Le président Félix Tshisekedi a instauré l'« état de siège » dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri à partir du 6 mai 2021. Affirmant qu'il s'agissait d'une mesure radicale mais nécessaire pour juguler rapidement les groupes armés et rétablir la sécurité, il a considérablement restreint les droits humains et ordonné aux tribunaux militaires de poursuivre des civils. Il a nommé des membres de l'armée et de la police pour remplacer l'administration civile, y compris les gouverneurs élus, et a suspendu les assemblées provinciales élues.

La Constitution de la RDC définit l'état de siège comme une mesure exceptionnelle et provisoire pouvant être décrétée pour une période initiale de 30 jours. Si le Parlement ratifie une prolongation, celle-ci peut être renouvelée par périodes successives de 15 jours.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel la RDC est partie, autorise les États à déroger à certaines dispositions relatives aux droits humains, mais dans le respect de certaines exigences : ils doivent notamment notifier par écrit le Secrétaire général des Nations unies et expliquer les circonstances justifiant toute dérogation. Or, les autorités de la RDC n'ont pas respecté cette exigence.

La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, à laquelle la RDC est également partie, ne permet en aucun cas de déroger à l'une quelconque de ses dispositions.

L'état de siège ne doit pas non plus servir de prétexte pour réprimer les droits humains.

La détérioration constante de la situation en matière de sécurité dans l'Est de la RDC, notamment dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri, a entraîné la mort de plus de 4 000 civil·e·s, tandis que plus de deux millions de personnes ont été déplacées de force depuis 2021, selon les chiffres de l'ONU et du Baromètre sécuritaire du Kivu.

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