Les concertations politiques appelées à moins de 10 mois du scrutin présidentiel de février 2024 par le chef de l'Etat Macky Sall, fortement relayées par le camp majoritaire, semblent parties pour se faire sans une grande partie de l'opposition dite significative et de certains mouvements citoyens.
Pour cause, au fur et à mesure que l'appel au dialogue est porté par le parti présidentiel et la coalition Benno Bokk Yaakaar, des positions s'élèvent de l'autre côté pour dire non au dialogue politique sous format Macky. Comme en témoignent les dernières sorties du Pep de Déthié Fall, de Grand Parti de Malick Gakou, et autre plateforme Avenir Sénégal Bi Ñu Bëgg, dans la foulée du F24, d'Ousmane Sonko et Aminata Touré.
«Le Grand Parti (GP) ne participera à aucun dialogue totalement en porte-à-faux avec les intérêts supérieurs de la nation et dans un contexte qui met en exergue la persécution du parti Pastef et de son Président Ousmane Sonko » : telle est la forte position que la formation politique de Malick Gakou a affichée hier, vendredi, pour dire non à l'appel du président de la République à l'endroit de toutes les forces vives de la nation. Un appel au dialogue émis lors du discours à la nation du 03 avril dernier et réitéré par le chef de l'Etat Macky Sall lors de la prière de la Korité.
Il faut dire que cette posture de défiance du Grand parti de Malick Gakou semble, ces derniers temps-ci, la chose la mieux partagée au sein de la coalition de l'opposition Yewwi Askan wi. Déjà, avant-hier seulement, le Parti républicain pour le progrès (PEP) avait décidé « après de larges concertations avec sa base, ses responsables et militants de ne pas participer au dialogue dont l'appel a été lancé par le Président Macky Sall ».
Dans un communiqué transmis à la presse, Déthié Fall et son parti disaient « qu'il n'y a nul besoin de dialoguer pour respecter des principes et droits sacrosaints conférés par la Constitution notamment celui de la liberté de presse, de la liberté d'opinion, de manifestation, de participation électorale ».
En revanche, le PRP demandait au Président Macky Sall la résolution des points suivants et dont « lui seul est responsable ». Il s'agit selon Déthié Fall et cie du « projet de 3ème candidature illégale et illégitime », de la libération des détenus, de surseoir à l'arrestation et l'intimidation des journalistes, de libérer tous les journalistes actuellement en détention mais surtout, « sa volonté d'écarter de potentiels candidats ».
Déthié Fall et ses camarades invitaient également le président de la République, en lieu et place du dialogue autour du jeu électoral, de choisir une personnalité consensuelle pour l'organisation de l'élection présidentielle de 2024. La posture n'est divergente de celle de la plateforme Avenir Sénégal Bi Ñu Bëgg, qui, appréciant l'appel au dialogue lancé par le Président Macky Sall, estime que « les préalables incontournables qui auraient pu mener à un dialogue sincère et inclusif ne sont pas établis ».
Et de rappeler dans la foulée « le fait que les décisions consensuelles issues des dialogues précédents n'ont pas été appliquées. Au contraire, ces dialogues n'ont servi qu'à légitimer des deals et combines politiques ficelés sur le dos du peuple sénégalais ». Pis, ont dit Cheikh Tidiane Dièye et cie, «Tous les signaux indiquent que le dialogue projeté poursuit les mêmes objectifs inavouables ».
Non aux « deals et combines »
Ce refus du dialogue politique esquissé par le président Macky Sall, et dont les éditions antérieures aboutissaient généralement à des arbitraires du chef de l'Etat sur le dos de l'opposition, est tout autant partagé par Ousmane Sonko de Pastef lui-même. Dans une sortie assez suivie lundi dernier, le leader de Pastef-Les patriotes avait disqualifié l'appel au dialogue de Macky Sall. Ousmane Sonko soutenait mordicus, en point de presse, que le dialogue esquissé par Macky Sall visait deux objectifs : « liquider ou isoler le Pastef », et également «valider une troisième candidature anti-constitutionnelle».
Certifiant que Macky Sall et ses « deals d'un autre âge » ont coûté trop cher au pays, Ousmane Sonko finissait par lancer « un appel à toutes les forces vives regroupées au sein du F24, à notre coalition, à tous les Sénégalais, à tous ces Sénégalais debout dans leurs domaines, à vous la jeunesse sénégalaise, pour que nous ne rations pas encore ce virage, pour nous soyons debout pour ce pays, pour que nous soyons prêts à faire les sacrifices qu'il faut pour sauver notre pays de la cupidité, de la boulimie, de l'amour inconsidéré pour le pouvoir. Cela relève de la volonté de chacun et de chacune de nous tous Sénégalais »,
S'engageant dans la même dynamique, en ce même jour du 1er mai, l'ancienne Première ministre Aminata Touré avait clashé l'appel au dialogue de Macky Sall en le taxant de «manoeuvre politique» en relation avec le Pds. «L'appel au dialogue du président Macky Sall est une manoeuvre politique pour diviser l'opposition, une manoeuvre qu'il a entamée depuis longtemps avec la collaboration active du Pds.
Aujourd'hui, ce deal que j'annonçais entre le président et le Pds a éclaté au grand jour. En fait, le Pds n'est pas participant au dialogue, il est co-organisateur avec le président Macky Sall », avait confié Aminata Touré, candidate déclarée à la présidentielle de février prochain, qui révèle par là un deal entre le président de la République et la formation politique libérale qui compte participer au scrutin présidentiel avec Karim Wade.
Le F24 refuse la main tendue
Enfonçant le clou au lendemain des sorties d'Ousmane Sonko et Aminata Touré, le mouvement des forces vives du Sénégal (F24) qui regroupe plus d'une centaine de partis politiques, d'organisations de la société civile et de mouvements citoyens a catégoriquement rejeté l'appel au dialogue lancé par le Président Macky Sall.
Le vice-président dudit mouvement, Aliou Sané et Cie ont estimé dans un point de presse tenu le mercredi 03 mai que leurs priorités étaient ailleurs. « Concernant le dialogue, on n'en sait rien. Nous ne sommes pas concernés par ce dialogue. Ce qui nous préoccupe le plus, c'est de se mobiliser pour faire face au Président Macky qui a une volonté de briguer une troisième candidature », avait lancé Aliou Sané, vice-coordonnateur du F24.
Selon lui, les « Sénégalais s'opposeront de la façon la plus ferme à travers le F24 et les forces vives de la nation pour dire non à cette troisième candidature afin de le dissuader et de se mobiliser dans le respect des lois et règlements ». Tout en se préparant pour le grand rassemblement anti-Macky Sall qui se tiendra le vendredi 12 mai 2023 à la place de la Nation, symbole du combat mené par le M23 contre la 3ème candidature de Me Abdoulaye Wade.
Ces divers refus du camp opposé au régime en place et ses alliés montrent à quel point le dialogue politique esquissé par le Président Macky Sall risque d'être orphelin d'une large frange de l'opposition sénégalaise si le format actuel centralisé autour de l'amnistie et consorts ne varie pas entretemps.
Et ce, malgré les appels de pied de moult analystes et acteurs sociaux, à l'instar d'Alioune Tine d'Afrikajom Center, qui plaident une participation active de l'opposition au dialogue lancé par le chef de l'Etat. Histoire d'éviter la déflagration, de garantir la stabilité politique et de préserver la paix civile dans un contexte sous-régional lourd de menaces.