Ile Maurice: Questions À David Constantin - «Vivre ici n'est envisageable qu'avec la possibilité de partir»

interview

«Simin zetwal», le second long métrage de David Constantin, sera à l'affiche chez MCiné à partir du 24 mai prochain. Il arrive auréolé de quatre prix gagnés dans des festivals à l'étranger.

Première mondiale à Varsovie, tournée dans l'océan Indien, au Québec, au Festival de Luxor, au Fespaco. Pourquoi avoir montré «Simin zetwal» à d'autres publics avant la sortie locale ?

Il y a des festivals internationaux qui n'acceptent un film que s'il n'a pas été montré ailleurs. La chronologie normale c'est festival, salle, télévision et vidéo à la demande. Si on grille ça, on se grille dans les festivals de catégorie A, qui ne prennent que les premières mondiales. Varsovie en fait partie. C'était la première fois qu'un film mauricien était dans un tel festival.

Qu'est-ce qui attire ces spectateurs ?

Le premier truc que j'ai dit là-bas : un film mauricien à Varsovie en hiver (NdlR : en octobre 2022), il n'y aura que trois personnes dans la salle. Mais on a répondu : «Tu vas être étonné. C'est un public très curieux.» Effectivement, la salle était quasiment pleine. Les spectateurs viennent chercher des univers différents. C'est intéressant de voir que ce que vous avez écrit si loin d'eux, dans un coin de votre jardin à Belle-Etoile peut leur parler. C'est des thématiques qui touchent tout le monde sur le devenir de la jeunesse...

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Et le monde du travail. Votre premier long métrage «Lonbraz kann» parlait de la fermeture d'une usine sucrière. «Simin zetwal» c'est aussi le manque de perspectives. Le monde du travail vous révolte-t-il ?

Le travail n'est pas révoltant. Il faut bien travailler. Ce qui m'a intéressé dans Lonbraz kann, un peu moins dans Simin zetwal c'est l'individu qui devient un pion malléable et corvéable à merci, dans un monde qui le broie. La clé, c'est le pouvoir de l'argent. Qu'on le veuille ou non, on y est tous soumis. Les travailleurs étrangers qui viennent à Maurice, c'est pour un meilleur avenir, les Mauriciens qui veulent partir rêvent d'une vie meilleure. Tout ça est illusoire, c'est aller mieux se faire exploiter ailleurs. Je ne suis pas sûr que les Mauriciens qui vont travailler au Canada aient des vies de golden boys.

Vous avez étudié en France. Vous aviez envisagé de ne pas rentrer après votre cursus ?

Quand je suis revenu en 2002, je m'étais dit que je faisais clairement un pas en arrière. Six mois après, je suis reparti en stage à Paris. Je suis revenu parce qu'il fallait bien revenir. J'ai eu des financements pour mon premier court-métrage, j'ai fait Diego, l'interdite et les choses se sont enchaînées. J'ai rencontré des gens.

L'envie de partir s'est estompée ?

L'envie de faire des choses à Maurice m'a retenu. Je me suis créé un cocon dont je sors le moins possible. Avec les films, je voyage beaucoup. Pour Simin zetwal, sur les trois derniers mois, j'ai passé trois semaines avec les enfants. Je suis parti au moins une fois par mois. Vivre ici n'est envisageable qu'avec la possibilité de partir.

Sinon c'est étouffant ?

Sinon j'ai l'impression de parler un langage où je n'ai pas beaucoup de gens avec qui discuter.

On dit qu'à Maurice, il y a un début d'industrie du cinéma dont vous faites partie.

Entre fin 2022 et cette année, il y a eu quatre films (NdlR : Biye Retour de François Wiehe, The Blue Penny de Jon Rabaud, Sign of Good and Bad-Selfi II de Samar Subramaniam et Simin Zetwal). Ma lecture, c'est que chacun de ces films a un modèle de production qu'on ne peut pas répliquer. Pour Biye Retour, le producteur a mis énormément de sa poche, ce qui n'est pas viable. Pour The Blue Penny, cela a été possible pendant la pandémie où les gens ne travaillaient pas. Dans mon cas, ce sont des financements internationaux compliqués à obtenir. J'arrive à faire un film tous les huit ans.

«Lonbraz kann» c'était en 2014. Cet espacement dit quoi du cinéma mauricien ?

Cela dit que si on veut développer un cinéma et l'amener très haut, on ne peut pas le faire tout seul. Sinon on met huit ans à faire un film. Ce n'est pas comme quand on envoie une équipe aux Jeux Olympiques ou à la Coupe du monde.

Ce n'est pas comme quand il y a l'Etat derrière ?

S'il n'y a pas de structure, on peut y arriver, mais cela prend dix fois plus de temps. Je trouve que le second a été rapide à venir. J'essaye d'enclencher déjà un autre projet, d'alterner un doc et une fiction. Nous venons de finir le montage du documentaire à La Réunion.

Il parle de quoi ?

De Maurice. Je n'en dirais pas plus.

D'une catastrophe ?

C'est l'histoire un peu poétique d'une île sur laquelle s'abattent tous les méfaits du libéralisme.

Vous commentiez lors de la diffusion du documentaire «Grat lamer pintir lesiel» sur Réunion 1ère que «c'est la seule chance que l'on a qu'un documentaire mauricien passe à la télé à Maurice».

Pas besoin d'en dire plus. La MBC n'est même pas un interlocuteur. Dans le modèle de production où je suis - qui est celui qu'on voit partout dans le monde - il y a des financements privés, des subventions et des chaînes de télévision qui préachètent. Elles contribuent au budget du film et elles ont une exclusivité de diffusion pendant six mois, un an. Sur un long métrage, il faut mettre des sommes conséquentes. Un préachat de film africain c'est de l'ordre de 40 000 à 45 000 euros (NdlR : entre Rs 2 millions et Rs 2,3 millions).

Le budget de «Simin zetwal» c'est ?

Rs 20 millions. On a eu le soutien du Fonds Clap-ACP, de l'Organisation internationale de la Francophonie, d'un fonds africain. TV5 Monde a préacheté, Caméléon Production (NdlR : sa société) a fait un apport. Il y a eu le Film Rebate Scheme, la Région Réunion, le Centre National du Cinéma et de l'image animée (CNC) en France. Tous ces guichets ne nous sont pas forcément destinés.

Il faut coincer son pied dans la porte ? Parfois on vous ferme la porte sur le pied. Cela fait mal. Mais vous revenez. Il y a parfois six mois entre deux commissions de films.

Vous n'acceptez jamais un non ?

Jamais.

Simin zetwal a remporté quatre prix dont celui de la Fédération internationale de la presse cinématographique (Fipresci) au festival de Luxor. C'est le prix le plus difficile à avoir ?

On a été un peu surpris. Cela fait plaisir.

Avoir raflé tous ces prix, cela console des difficultés rencontrées ?

Etre quelque part accueilli, adoubé dans le milieu du film africain qui a une histoire, une culture établie, c'est ma vraie reconnaissance à moi. J'ai pu voir où en sont les autres pays, comme le Sénégal, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire dans le développement de leur cinéma. Ces pays ont des fonds de financement des films ouverts à la co-production.

Ce qui va au-delà du modèle de «film rebate» ?

Un réalisateur mauricien peut se mettre en co-production avec un Sénégalais, qui lui, demande de l'argent là-bas. Cet argent doit être dépensé au Sénégal. A notre petite échelle, le financement que nous avons eu de la Réunion a été utilisé pour le montage là-bas. Cela permet à la fois au projet d'avoir des sous et de faire tourner l'économie locale. Quand on cherche des financements internationaux, souvent les films tunisiens, algériens qui ont des fonds nationaux très puissants, arrivent avec 30 % à 40 % du budget déjà acquis. Pour les fonds internationaux qui examinent la faisabilité du projet, c'est un plus. Quand le film mauricien arrive sans financement local - parce que pour avoir le Film Rebate Scheme, il faut d'abord montrer ce qu'on a comme financements externes - c'est plus compliqué. On ne peut pas dire : mon pays me soutient déjà.

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