La comparution des parties civiles a débuté au mois de février, mais cette semaine le rythme des dépositions et des interrogatoires a connu une accélération. Six personnes ont été entendues au cours des deux dernière audiences. Ils ont renforcé l'identification des services de sécurité impliqués dans le massacre au stade de Conakry, en 2009. Y compris plusieurs des accusés à la barre.
Un petit record vient d'être battu au tribunal criminel de Dixinn, où sont jugés 11 prévenus pour leur rôle présumé dans le massacre du stade de Conakry, capitale de la Guinée. Entre le 2 et le 3 mai, six parties civiles ont été appelées à la barre. Le 2 mai, les dépositions se sont enchaînées si rapidement que l'audience a dû être suspendue en milieu de journée ; il n'y avait plus personne à entendre.
Le procès est entré dans une nouvelle phase, confirme Alpha Amadou DS Bah, avocat des parties civiles. « Ça s'accélère. La défense s'est concertée et a décidé que, si un récit ne concernait pas directement un accusé, ses conseils ne devaient pas intervenir ou alors le faire rapidement. Donc, ça nous fait gagner beaucoup de temps. » Cela permet aussi, assure-t-il, de ne pas exposer les victimes, déjà fragilisées, à un nouveau traumatisme.
Surtout, « plus de monde » pourra ainsi passer à la barre, alors que l'affaire connaît un « engouement exceptionnel ». La liste des personnes qui veulent comparaître s'allonge jour après jour. Bah estime que cent parties civiles, « au maximum », doivent encore être entendues.
Dans ce procès de masse, chaque victime détient une partie de la vérité. Les récits se complètent, se contredisent parfois aussi sur certains points, mais brossent un tableau, au fil des semaines, de plus en plus précis de ce bain de sang au cours duquel les forces de sécurité ont massacré plus de 150 personnes et violé plus d'une centaine de femmes, lors d'un meeting de l'opposition.
Les témoignages des victimes se recoupent notamment en ce qui concerne les différents organes de sécurité aperçus au stade. La plupart d'entre elles ont vu des bérets rouges (ce béret était porté par différents militaires à l'époque). « Les militaires sont entrés en tirant », explique ainsi Mamoudou Conté, le 3 mai. Ce responsable de l'Union des forces républicaines (UFR), un parti d'opposition, parle en faisant de grands gestes. Il semble revivre ses souvenirs devant la Cour.
On a du mal à croire que Tallatou Garanké Diallo, visage émacié, silhouette longiligne, appartenait, il fut un temps, au service d'ordre de Cellou Dalein Diallo, dirigeant de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), autre parti d'opposition. La soixantaine passée, ce tailleur de profession décrit la même scène que son prédécesseur à la barre : « On a vu les bérets rouges entrer dans le stade, ils tiraient dans tous les sens.
Nous tous, qui étions là-bas pour le maintien de l'ordre, sommes venus nous coucher sur les leaders. Ils ont tiré jusqu'à ce que toute la foule soit dispersée, c'était la débandade. » Il a vu ces mêmes bérets rouges s'en prendre aux dirigeants de l'opposition. « Ils se sont précipités sur les leaders, leur donnaient des coups de fusil. Ils ont frappé Monsieur Bah Oury, Monsieur Touré, Monsieur Loucény Fall. »
Des hommes qui « ressemblaient à des rebelles »
Accompagnant les bérets rouges, il y avait des hommes qui « ressemblaient à des rebelles », affirme Conté. « Ils ne présentaient pas comme des militaires. » Diallo livre un portrait-robot assez précis de ces supposés supplétifs : « Ils avaient des tissus rouges sur la tête, certains portaient un maillot de l'équipe de foot de Chelsea. Ils étaient armés de morceaux de bois, de couteaux... »
« Autour de nous, on commettait toutes sortes de crimes. On attendait notre tour. Une femme était adossée à un mur, à côté de moi, dix mètres nous séparaient environ. Elle pleurait, elle était fatiguée », raconte Conté. Il voit alors un homme s'approcher d'elle. Il a un bandeau rouge et des cauris (des coquillages) au niveau du front. « Il y a ce garçon... », dit le témoin, qui marque une longue pause, baisse la tête et fond en larmes.
Les premiers mots qu'il prononce sont inaudibles. L'audience est suspendue pour lui permettre de recouvrer ses esprits. Un quart d'heure plus tard, il revient terminer son récit. « La femme était dans un état de fatigue total. Ce garçon est venu, il avait un couteau. Il a égorgé la femme. Il est ensuite parti trouver un autre jeune qui était fatigué, presque à l'agonie, il l'a assommé, l'a frappé à la tête avec son couteau. Il regardait les gens et identifiait ceux qui étaient fatigués pour les terminer. Il leur donnait le coup de grâce. »
Au cours des deux dernières audiences, une seule femme a été appelée à la barre. Djenabou Bah raconte avoir vu au stade, à plusieurs reprises, des hommes « en civil ». « On nous a frappés avec des matraques. Les civils avaient aussi des couteaux. » Elle assure avoir croisé Claude Pivi, ministre chargé de la Sécurité présidentielle, mais aussi Aboubacar Diakité, dit « Toumba », l'aide de camp du chef de l'État à l'époque.
Toumba a également été aperçu par Diallo. Son témoignage est l'un des plus riches. Il a reconnu formellement Marcel Guilavogui, le neveu du chef de la junte, et, aux abords du stade, Moussa Tiegboro Camara, alors secrétaire d'État chargé de la lutte contre la drogue et le crime organisé. Tous se trouvent aujourd'hui dans le box vitré des accusés.
Un visage qui a fait le tour du monde
A maintes reprises, ce procès a apporté un éclairage nouveau sur l'histoire de la Guinée. Mais l'audience du 3 mai restera dans les annales comme le jour où tout un pays mit enfin une identité sur l'un des visages les plus connus de la répression. Il apparaît sur un cliché pris par un photographe de l'AFP le 28 septembre 2009.
Aux abords du stade de Conakry, cet homme est encadré par des bérets verts qui le tiennent fermement. La terreur se lit sur son visage. 13 ans plus tard, Thierno Mamadou Diallo n'a pas beaucoup changé, sinon ces quelques rides qui sont apparues autour de ses yeux et ces poils blancs qui ont colonisé son collier de barbe. Il s'exprime en pular, un interprète traduit ses propos en français.
Le matin du massacre, il rentrait chez lui, se souvient-il. Arrêté par les forces de sécurité, il est jeté dans un pickup et emmené avec d'autres devant l'entrée du stade. « On a vu beaucoup de choses, on entendait les gens qui criaient et puis il y a eu des tirs. A ce moment-là, ceux qui étaient avec moi ont tenté de fuir, j'ai essayé de m'échapper aussi. J'ai vu un véhicule de la Croix-Rouge, je pensais pouvoir l'atteindre. C'est à ce moment qu'ils m'ont pris, voici l'image qui en est sortie. »
Devant la Cour, l'interprète brandit le cliché. Publiée dans le magazine Jeune Afrique notamment, mais reprise également par d'autres médias (dont Justice Info), la photo a fait le tour du monde. « Je me suis caché les jours suivants, jusqu'à ce que Dieu me donne la chance de rejoindre un pays voisin de la Guinée.
J'étais menacé, je n'avais plus le courage de rester ici. » Diallo a dû s'exiler au Sénégal où il a fait soigner sa blessure au genou, résultat des mauvais traitements qu'il a subis lors de son arrestation et sa détention. Il n'a jamais voulu retourner vivre dans son pays mais est venu témoigner en personne pour le procès.
Le procès reprendra le 8 mai. Après les victimes, d'autres témoins devront comparaître, puis viendra le temps des confrontations entre victimes et accusés et enfin celui des plaidoiries. Le procès pourrait cependant encore s'allonger. Suite aux dénonciations de l'accusé Toumba, des poursuites ont été engagées contre cinq personnes. Les recours que ces dernières ont déposés contre leur inculpation sont examinés en ce moment même par la Cour suprême.