Rompue aux enjeux de la construction écologique, Houda Driss, maître-assistante à l'Ecole nationale d'architecture et d'urbanisme de Tunis (Enau), affirme que, malgré des avancées très timides, le BTP vert fait son chemin en Tunisie. Un travail de communication est cependant nécessaire pour sensibiliser les acteurs du secteur aux avantages des éco-matériaux, des techniques durables, ainsi que de l'architecture écologique.
Quel état des lieux faites-vous de l'éco-construction en Tunisie?
Qu'on le veuille ou pas, l'éco-construction avance aujourd'hui, tout lentement, même si en tant que pratique, elle est beaucoup plus ancienne. En effet, ce n'est qu'après les années 70 qu'on commence à parler d'éco-construction. Mais pour le cas de la Tunisie ou même dans d'autres pays dans le monde, l'éco-construction est beaucoup plus ancienne.
Elle remonte à l'Antiquité avec les Carthaginois et les Romains qui se servaient des matériaux et des techniques constructives respectueuses de l'environnement. Les matériaux utilisés étaient à base de terre, on parle notamment de la technique du pisé ou encore de celle de l'adobe. Avec l'arrivée des arabo-musulmans, ces techniques ont été maintenues. Aujourd'hui, elles sont utilisées de nouveau et c'est à partir de 2012 que l'architecte Karim Laâjili a remis au goût du jour la technique du pisé.
En réalité, les pratiques et les matériaux ne vieillissent jamais, même si la maîtrise de la technique peut disparaître. La terre reste toujours un matériau éternel. Si nos ancêtres l'ont utilisée, nous aussi on peut continuer à le faire. Cependant, il faut instaurer des mécanismes à même de rendre ces techniques applicables et à la portée de toutes les bourses. Aujourd'hui, il existe sur le marché des matériaux à base de terre, tels que la brique de terre comprimée qui est commercialisée par la société « Swap ». Il s'agit d'un matériau très efficace parce que la terre a tout simplement montré ses preuves depuis très longtemps. Elle se caractérise par la forte inertie thermique.
Il s'agit de retenir la chaleur pendant des heures, voire des mois, pour la restituer plus tard. Donc, la construction en terre assure un microclimat adouci à l'intérieur. Un bâtiment doté d'une enveloppe construite en terre a une meilleure efficacité énergétique. Ainsi, pendant la saison hivernale, les murs en pierre permettent de retenir la chaleur au cours de la journée et de la redistribuer plus tard, surtout lorsqu'il fait plus froid la nuit, et inversement, durant l'été les enveloppes en terre vont retenir la chaleur en provenance de l'extérieur pour la restituer plus tard.
Qu'est-ce qui empêche réellement le développement de l'éco-construction en Tunisie, surtout que ses avantages sont indéniables, notamment en termes d'efficacité énergétique ?
En termes de chiffres, on n'est même pas à 5% de construction écologique en Tunisie. Aujourd'hui, la grande part du marché est attribuée à ce qu'on appelle la construction universelle. Cela est dû d'abord à un problème de communication et de mentalité. Si les gens ne sont pas suffisamment informés sur un matériau ou une technique constructive alternative, ils ne vont pas oser changer.
Pour un promoteur immobilier, outre le manque d'information, il y a également la question de la rentabilité qui entre en jeu. Qu'on le veuille ou pas, la construction écologique est réputée pour être un peu plus chère. Or, ce n'est pas toujours vrai. Sur le court terme, oui les matériaux peuvent être perçus comme chers, mais sur le long terme, le bâtiment écologique nous permet de gagner en efficacité énergétique, donc il permet de réduire la facture et les dépenses énergétiques d'une manière générale. Construire en brique creuse rouge et en béton, va être, de prime abord moins cher.
Mais à moyen et long termes, le coût énergétique va se ressentir encore au niveau des factures de la Steg, des dépenses liées au chauffage, à la climatisation... Du coup, les avantages de la construction verte ne sont pas immédiatement ressentis et visibles. D'autre part, il y a la question relative à la confiance en ce matériau qui est relativement innovant bien que pour les blocs de terre comprimée (BTC), la société qui commercialise ce produit soit déjà installée depuis plus de dix ans.
Vous affirmez que la technique a déjà fait ses preuves ?
Oui elle a fait ses preuves, mais il y a toujours des limites, qu'on ne peut pas cacher. Par exemple, le BTC est un matériau porteur, mais qui ne peut pas être utilisé à partir d'un certain nombre d'étages. On ne peut pas construire un R+7 en BTC. Dans ce cas, on va avoir recours au béton armé. Il s'agirait donc d'une construction mixte, c'est-à-dire une structure en béton armé et une enveloppe en terre est préférable à un bâtiment construit entièrement en matériaux universels.
Pour l'éco-construction, on est en phase de transition en Tunisie. Elle est très lente, mais on avance, vraiment à tout petits pas, sachant que plus on avance, plus c'est mieux. Un bâtiment construit à 30% en matériaux écologiques est préférable à une construction 100% conventionnelle. Si on est à 50% ou à 60%, c'est encore mieux.
Nous atteindrons un jour le 100% écologique, même si ce n'est pas aujourd'hui évident en Tunisie, notamment par rapport à la réglementation. La tendance fait son chemin et on est toujours en phase de transition.
Comment promouvoir l'éco-construction en Tunisie ?
En effet, l'éco-construction est un tout. Il ne faut pas voir les choses d'un seul point de vue.
D'abord, il faut miser sur la formation académique. Car si les étudiants ne traitent pas de cette thématique au cours de leur parcours académique ou à travers des matières enseignées qui sont en rapport direct ou indirect avec l'urbanisme éco-durable ou l'architecture écologique et durable, comment voulez-vous que ces futurs concepteurs abordent ce sujet-là. Ils ne vont avoir recours qu'aux matériaux conventionnels qui sont, d'ailleurs, en abondance sur le marché. Donc, la communication est très importante, non seulement pour les étudiants, mais aussi pour les professionnels.
Une grande partie des architectes qui sont installés et qui exercent pour leur propre compte n'ont même pas connaissance de l'existence des éco-matériaux et de la possibilité de construction écologique en Tunisie. Donc, on doit travailler, également, sur la formation continue qui peut être par exemple assurée par l'Ordre des architectes. Il peut y avoir des partenariats, en ce sens, afin de réduire les écarts entre le monde académique et le monde professionnel.
A cela s'ajoutent les questions de la rentabilité et de la communication qui est très importante.