Qu'en est-il de la participation du secteur privé africain dans le financement de la lutte contre les effets néfastes du changement climatique ? «Peu ou prou».
En effet, sur les 29,5 milliards de dollars de financement climatique en Afrique en 2020, 14 % seulement provenaient d'acteurs privés, ce qui est nettement inférieur à d'autres régions comparables comme l'Amérique latine et les Caraïbes (49 %), l'Asie de l'Est et le Pacifique (39 %) et l'Asie du Sud (37 %), indique la Banque africaine de développement (BAD).
Elle assure, en plus, que ces ressources limitées ont été captées par un petit nombre de pays africains dotés de marchés financiers relativement développés, tels que l'Afrique du Sud, le Nigeria, le Kenya, le Maroc et l'Egypte, qui ont attiré à eux seuls 4,2 milliards de dollars.
Les dirigeants de la BAD estiment que ce chiffre pourrait être plus élevé en se basant sur un ensemble de données concernant les ressources privées internationales. « Les actifs sous gestion des fonds de capital-investissement ont atteint un niveau record de 6.300 milliards de dollars en 2021, tandis que les actifs des fonds de pension mondiaux des 22 plus grands marchés ont atteint un nouveau record de 56.600 milliards de dollars à la fin de 2022 », indiquent-ils dans un récent communiqué.
«Référence» mais pas trop
Le Maroc n'échappe pas non plus à cet état de fait. En effet, et malgré un discours médiatique érigeant le Royaume comme une « référence » sur le plan continental voire mondial en matière de financement climatique, la faiblesse des ressources financières climatiques est une réalité au vu de la situation financière du pays et de l'ampleur des chantiers à mener.
En effet, les besoins en ressources financières sont colossaux comme en atteste la Contribution du Maroc (CDN) soumise en juin 2021 et qui a révélé que le coût de la mise en oeuvre des programmes d'adaptation est estimé à près de 40 milliards de dollars américains. Ces limites des finances climat au Maroc ont été confirmées par Abdellatif Zaghnoun, directeur général de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), qui a indiqué que le Maroc a investi - dans le cadre de la réalisation de ses engagements climatiques - 111,5 Mds de DH sur la période 2011 - 2018.
Les investissements dans le domaine de l'atténuation de l'impact négatif du changement climatique sont prédominants avec presque 80% du total dont 38% pour les seuls investissements en énergies renouvelables. Les investissements directs et indirects générés par la commande publique dépassent 74% du total réalisé, rappelant le rôle majeur des acteurs publics en la matière.
«Le rythme des investissements pour le climat au Maroc est en deçà des objectifs escomptés, affichant un gap de 60 milliards de dirhams (MMDH) par an. La contribution déterminée au niveau national en besoins d'investissements climat est de l'ordre de 14 MMDH par an, contre une estimation de 74 MMDH par an sur la période 2016-2020, soit un gap de 60 MMDH par an », a-t-il expliqué lors d'un webinaire sur les financements climatiques au Maroc.
Quant à la contribution des bailleurs de fonds étrangers au financement des investissements climatiques, elle s'élève à seulement 43%. Sachant, cependant, qu'une partie de ces fonds est accordée à hauteur de 94% sous forme de rééchelonnement de dettes et à hauteur de 6% seulement sous forme de dons destinés à acquérir des technologies étrangères (transport, gestion des déchets, infrastructures, énergie, etc.).
La Stratégie nationale de développement durable 2030 a reconnu elle-même ces entraves en indiquant que l'accès au financement des différents projets de lutte contre le changement climatique demeure «le point faible des programmes marocains».
Défis à relever
La BAD estime que cette participation limitée du secteur privé marocain est due à plusieurs défis, parmi lesquels, l'existence limitée d'incitations financières «vertes» et de renforcement de capacité dans certains secteurs et activités. Tel est le cas dans le secteur de l'investissement des toitures solaires aux secteurs résidentiel et professionnel, marqué par le manque des tarifs de rachat subventionnés, des allégements fiscaux et d'autres mesures à caractère incitatif. Idem pour les régulations de la règlementation thermique des bâtiments, où il est nécessaire de renforcer les capacités des professionnels et des consommateurs, et d'obtenir plus d'investissements.
La BAD souligne aussi une mauvaise compréhension des projets d'adaptation due à une difficulté à estimer la valeur économique des mesures d'adaptation. Et ce défi est d'autant plus important dans le secteur privé malgré l'existence et la création de divers fonds d'adaptation pour le Maroc (Cap Valoris, la Ligne Bleue, Green Value Chain).
L'analyse de la BAD pointe du doigt les fonds d'adaptation qui demeurent très limités et non diversifiés dans leur offre de produits financiers (absence de garantie) par rapport aux fonds existants d'atténuation. D'autant que les Petites et Moyennes Entreprises (PME) ont une connaissance technique limitée concernant le climat (faible taux de ressources humaines possédant les compétences requises) et, par conséquent, elles ont des difficultés pour attirer ou accéder à des financements climat.
Beaucoup à faire
Pour faire face à cette situation, la BAD a recommandé l'instauration d'un cadre réglementaire afin de créer des incitations financières, telles que des tarifs de rachat ou d'autres incitations qui définissent des critères assurant les flux monétaires dans le cadre des investissements verts. Pour ce faire, les institutions financières devraient diversifier leurs produits financiers (assurances, incitations, assistance technique, obligations vertes) et accroître leur capacité à prendre des risques, notamment en réalisant des investissements en amont afin de créer un vivier de projets d'adaptation et d'atténuation, préconise la BAD.
Un renforcement des capacités des PMEs pour la compréhension et l'utilisation des données et outils liés au climat ainsi que l'appui pour accéder au financement climatique sont également préconisés.
La BAD estime, enfin que les partenaires du développement doivent «parler le même langage» que le secteur privé, c'est-à-dire qu'ils doivent se concentrer davantage sur le retour sur investissement, l'accroissement de la compétitivité, la réduction des coûts et de l'exposition aux risques, plutôt que sur les avantages environnementaux. A ce propos, la Banque africaine de développement considère que le Maroc a beaucoup d'expérience pour développer des PPP dans divers secteurs, et cela devrait être optimisé et étendu à des projets spécifiquement «verts» autres que le secteur des ENR.