Afrique: L'Afrique peut-elle enfin se libérer du fardeau de l'histoire ?

(Une chronique de Christian Gambotti)

Agrégé de l'Université - Président du Think tank Afrique & Partage - Président du CERAD (Centre d'Etudes et de Recherches sur l'Afrique de Demain) - Directeur général de l'Université de l'Atlantique (Abidjan) - Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org

La place de l'Afrique dans l'Histoire du monde

Certains découvrent aujourd'hui l'Afrique, sa participation, depuis quelques années, à la mondialisation des échanges et son intégration aux dynamiques contemporaines. D'autres considèrent que l'Afrique a toujours existé et qu'elle n'a jamais été absente de l'Histoire du monde depuis le Moyen Âge (1).

Ils font remarquer que l'Afrique précoloniale commerce avec le Moyen-Orient, l'Océan indien et la Chine bien avant l'arrivée des Européens qui, en quête de richesses (or, diamants, cuivre) ne débarqueront sur les côtes africaines, notamment les Portugais, qu'au XVè siècle. Ils ajoutent que l'Afrique connaît, entre le XIIè et le XVIè siècle, un véritable essor économique et culturel.

Entre 1870 et 1880, quelques « aventuriers » vont explorer l'Afrique, cherchant la source du Nil ou parcourant le bassin du Congo. Conclusion très naïve : l'Afrique a toujours été présente dans l'Histoire du monde. Il appartient aux historiens de retracer l'histoire de l'Afrique précoloniale.

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Je constate simplement que l'Afrique, longtemps indépendante même pendant la traite islamique et atlantique, voit son destin lui échapper au XIXè siècle, à l'instant même où, à partir de 1880, commence une conquête militarisée des territoires africains qui la fait entrer dans la modernité. Colonisée, elle est certes invitée à la table des puissances mondiales, mais toujours reléguée en bout de table, marginalisée, obligée de se taire et subir le fardeau de l'Histoire.

Au lendemain des indépendances, les jeunes Etats africains subiront le carcan des idéologies, obligés de choisir entre le monde libre et le monde communiste. Dans le vieux monde bipolaire, constamment manipulée par les superpuissances qui règnent sur des zones d'influence, l'Afrique ne parviendra jamais à être elle-même.

Avec la disparition de l'URSS, le monde devient multipolaire et l'Afrique, depuis son entrée dans le XXIè siècle, désormais consciente de son poids politique, économique, culturel et géostratégique, commence à diversifier ses partenaires et choisir ses amis (2). Est-elle enfin débarrassée du fardeau de l'Histoire ?

Le fardeau de l'Histoire

  • Le fardeau de l'esclavage

Bien avant la colonisation et le commerce triangulaire (3), l'Afrique subit le fardeau de l'Histoire avec la traite orientale ou arabo-musulmane ou djihadistes, la loi musulmane interdisant d'assujettir les musulmans. La traite orientale commence dès le VIIè siècle pour atteindre son apogée au XIXè siècle avec la multiplication des guerres saintes djihadistes. Il convient de distinguer la traite orientale ou arabo-musulmane, la traite intra-africaine (mise en esclavage des prisonniers de guerre) et la traite occidentale.

Cette dernière, pourtant plus courte que la traite orientale et la traite intra-africaine, sera plus massive avec 12 à 15 millions d'esclaves, dont un tiers de femmes. Organisée par les Etats européens modernes, elle fait l'objet d'une législation précise. Aujourd'hui encore, l'esclave hante les opinions publiques africaines.

  • Le fardeau de la colonisation

La colonisation, sous couvert d'une mission civilisatrice théorisée par Victor Hugo dans son fameux Discours sur l'Afrique (18 mai 1879) prononcé au cours d'un banquet célébrant l'abolition de l'esclavage, va nier l'identité de l'Afrique jusqu'aux années 1960. La colonisation, faussement humaniste, contribue, en réalité, à servir en Afrique, de façon directe ou indirecte, les intérêts des puissances européennes.

Le communiste Aimé Césaire publiera, en 1950, un « Discours sur le colonialisme » qui, dans une perspective marxiste, dénonce cette « honte du XXè siècle. » Or, le communisme, une idéologie totalitaire, loin de libérer l'Afrique, la livrera à des dictatures sanguinaires. Il ne s'agit pas de juger le passé à l'aune du présent, car chaque époque construit l'Histoire du monde à partir des valeurs qui sont les siennes.

Promoteurs des libertés, les Pères fondateurs des Etats-Unis, Jefferson et Washington, utilisaient des esclaves. Penseur humaniste, écrivain de l'émancipation des hommes, Victor Hugo justifie pourtant la colonisation. Il ne s'agit pas de faire acte de repentance, mais la colonisation représente une partie du fardeau de l'Histoire que porte l'Afrique et qui hante toujours l'imaginaire collectif.

  • Le fardeau de la « Guerre froide »

Au lendemain des indépendances, les jeunes Etats africains se trouvent plongés au coeur de la « Guerre froide » qui voit se prolonger l'affrontement entre le monde libre, organisé autour des Etats-Unis et de leurs alliés au sein de l'OTAN, et le monde communiste, structuré par l'URSS et ses satellites au sein du Pacte de Varsovie.

L'équilibre de la terreur, une stratégie d'armement nucléaire commune aux Etats-Unis et à l'Union soviétique avec la certitude d'une destruction mutuelle, empêche les deux superpuissances de s'affronter directement. La dissuasion nucléaire est l'un des aspects majeurs de la « Guerre froide ». Le monde libre et le monde communiste se font la guerre par procuration, notamment en Afrique. L'URSS s'appuie sur les mouvements de libération et la lutte anticoloniale, les Etats-Unis cherchent à protéger l'Afrique de la subversion communiste.

L'Afrique représente alors une zone d'influence importante pour le bloc occidental et le bloc communiste. A la fin de la « Guerre froide », devenue une préoccupation secondaire pour les Etats-Unis et l'URSS, l'Afrique est oubliée, marginalisée. Il reste de jeunes Etats africains livrés à eux-mêmes, déstabilisés politiquement, économiquement, socialement et culturellement. La « Guerre froide » et son douloureux héritage représentent une autre part du fardeau de l'Histoire que porte l'Afrique.

  • L'époque contemporaine jusqu'à l'invasion de l'Ukraine par la Russie

On pourrait croire que l'Afrique s'est définitivement débarrassée du fardeau de l'Histoire depuis son entrée dans le XXIè siècle. Désormais courtisée, elle voit les dirigeants de la planète entière attendant d'être reçus dans les palais présidentiels par des Chefs d'Etat en mesure d'imposer leurs exigences à leurs interlocuteurs.

Le temps de l'Afrique est-il arrivé ? Ce siècle est-il celui de l'Afrique ? Rien n'est moins sûr. Certes, l'Afrique évolue, se transforme et elle se construit comme puissance économique avec la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAF), le plus grand marché unique de la planète ; elle commence à parler d'une seule voix dans les instances internationales pour répondre aux défis des urgences nouvelles. Incontestablement, l'Afrique s'affirme dans la mondialisation. Mais, la donne change avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Les Etats africains sont désormais sommés de choisir, notamment à l'ONU, au moment du vote des résolutions contre la Russie, entre l'« Occident collectif » et le « Sud pluriel ». Beaucoup d'Etats africains refusent de choisir, s'installant sur la ligne du « Mouvement des pays non-alignés ». Mais, la menace d'une nouvelle « Guerre froide » se précise avec la volonté de la Russie de Poutine, la Chine de Xi-Jinping, la Corée du Nord de Kim Jong-un et l'Iran des Ayatollah ultraconservateurs, de constituer un large front anti-occidental.

Cette rivalité des puissances dans un monde multipolaire, qui n'est plus simplement une rivalité idéologique, représente pour les Etats africains, très fragiles économiquement, une nouvelle menace. Comme Sisyphe et son rocher, l'Afrique est-elle condamnée à porter éternellement le fardeau de l'Histoire ? Je ne le crois pas, si l'Afrique, s'adressant à des blocs rivaux depuis son importance stratégique et économique croissante sur la scène internationale, affirme sa capacité à construire un ordre mondial plus équitable. Une chose est certaine, le statu quo du vieux monde de Yalta n'est plus tenable. L'Afrique a une carte à jouer.

  • L'Empereur Mansa Moussa (1312-1337) règne sur un empire riche en or qui commerce déjà avec l'Egypte.
  • Antoine Glaser, dans son livre « AfricaFrance » (2014, Ed. Fayard), montre que les Africains sont devenus les maîtres du jeu selon le principe du « qui paie commande ». Mais, l'Afrique dispose-t-elle librement de ses richesses naturelles pour payer et commander au monde ? Ce n'est pas sûr, car le continent, à l'image de la RDC, subit toujours la « malédiction » de son sous-sol et des matières premières agricoles brutes.
  • Le « commerce triangulaire » désigne la déportation d'esclaves noirs réalisée du XVIè au XVIIIè siècles entre l'Europe, l'Afrique et l'Amérique. Le début de la traite des esclaves vers les Amériques commence en 1510.

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