Tout se passe comme si nous assistons, impuissants, à un détournement essentiel de l'acte politique.
Le triomphe du journalisme dogmatique et émotionnel tend à nous faire perdre tout sens de la responsabilité citoyenne et démocratique, nous contraignant à n'entretenir que la peur et la pensée victimaire. Il y a, actuellement au Sénégal, un diktat de l'émotionnel et de la pensée dogmatique qui entraîne une déresponsabilisation collective. Aux yeux de la plupart, le journaliste est redevenu un enfant qui observe avec frayeur les méfaits de son immaturité. C'est-à-dire une personne couarde et vénale qui s'est mis en trahison de son service au nom de l'intérêt collectif.
Les questions et problématiques auxquelles nous devons nous intéresser sont nombreuses, essentielles et fondamentales. Par exemple, la déroute de notre système éducatif qui n'offre plus aux jeunes les moyens de relever les déficits de sens et des finalités. Or, la finalité et l'avenir d'une société se mesurent à la façon dont celle-ci forme ses enfants : À être qui ? À penser comment ? À agir pourquoi ? Bref, ce système n'offre aucun accès au développement d'une pensée critique, à questionner les fins, à devenir autonomes et libres, à s'engager dans la résistance citoyenne.
Il semble que tout ceci soit voulu au nom de la normalisation du crétinisme, une idéologie de la domination, hélas entretenue par certains médias «partenaires» du pouvoir. Toute personne, tout argument ou acte qui viendrait remettre en question cet ordre est irrémédiablement frappé du sceau de l'infamie. Donc à combattre.
Sous ce rapport, et en extrapolant un peu, certains journalistes ont reçu samedi dans la matinée le coup de fil téléphonique d'un responsable de premier plan de l'Alliance pour la République (Apr, au pouvoir) et de la coalition de Benno Bokk Yakaar leur demandant, en substance, pourquoi la presse ne dénonçait pas «les agissements» de l'actuel directeur de la Caisse des Dépôts et des Consignations (CDC), M. Mame Boye Diao. Au prétexte - entre autres - que ce dernier aurait papoté avec Ousmane Sonko, l'ennemi juré du régime du Président Macky Sall, à Ziguinchor. Oubliant que ce dernier a lui-même récemment «papoté» avec Barthélémy Dias. Faisant aussi volontairement abstraction du contexte : M. Diao s'était rendu à Ziguinchor pour la pose de la première pierre de la Maison des étudiants ressortissants de Kolda dont il est le maire, et pour assister, de même que le leader de Pastef, à un Gamou annuel. Il est ici important de rappeler que l'adversité politique ne rime pas avec animosité interpersonnelle. Et qu'en l'occurrence, ce qui est valable pour Sall et Dias l'est également pour Diao et Sonko. C'est dire et donner raison à mon confrère Pape Allé Niang lorsqu'il met en évidence le fait que certains d'entre nous sont souvent actionnés, voire «programmés» pour détruire des réputations ou salir des consciences. Bref...
La politique doit traiter de ce qu'il y a de plus sérieux et de plus précieux : le destin, la liberté des individus, des collectivités, la vie... Que se passe-t-il lorsque tout ceci est piétiné ? Où est notre devoir de veille sur les choix fondamentaux de notre société masqués derrière les luttes des politiques ? Renoncer, c'est laisser la voie libre aux dictateurs pour tout massacrer sur leur passage. Il est dommage que certains médias s'emploient à faire diversion, à disqualifier toute résistance et à décourager toute vigilance. C'est que, comme l'a souligné M. Niang, le Pouvoir a mis en place des «Rédactions parallèles» ou infiltrées pour contrôler et contenir des informations hostiles. S'il n'intimide pas les récalcitrants ou ne les jette en prison. C'est dire, par conséquent, qu'il y a une volonté manifeste d'ancrer dans la psyché collective un réflexe de fuite du journaliste là où doit prévaloir un réflexe d'exigence.
La presse sénégalaise est en déroute. Si elle sombre, c'est tout l'édifice social qui s'écroule. Et les premiers responsables qu'il faudra pointer du doigt seront les journalistes eux-mêmes. On est responsable de sa grandeur tout comme on est responsable de sa décadence. Heureusement qu'il y a des journalistes qui ne veulent pas «mourir» et qui, quoi qu'il leur en coûte, ne fermerons jamais les yeux face à l'inadmissible.
Ps : C'est le lieu de rendre encore un hommage appuyé à tous ces grands journalistes aujourd'hui disparus qui n'ont jamais courbé l'échine. Je pense à Mame Less Camara, Babacar Touré, Madior Fall, Sidy Lamine Niasse, Ibrahima Fall... A eux, je dis : «Merci pour tout, et à Dieu vos âmes».