Des dizaines de milliers de personnes ont déferlé samedi dernier sur les places publiques de plusieurs villes du Burkina, pour apporter leur indéfectible soutien à la Transition et à son chef, le capitaine Ibrahim Traoré, et pour exprimer, par la même occasion, leur sentiment de fierté et de soulagement suite à la décision des nouvelles autorités de traquer jusque dans les « chiottes », tous ceux qui ont fait basculer progressivement des régions entières de notre pays dans des violences massives, abjectes et inimaginables au Burkina Faso, il y a quelques années.
Ni le soleil de plomb, ni les réminiscences névrotiques des attentats de 2016, 2017 et 2018 à Ouagadougou, n'ont dissuadé les manifestants de crier leur colère, leur indignation et leur révulsion face aux agissements des « ennemis » du peuple qui, chaque jour après l'autre, depuis huit ans, ont semé ou laissé semer le chaos et la désolation dans ce havre de paix qu'était naguère le « pays des Hommes intègres ». Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est un pari réussi pour les organisateurs, qui voulaient démontrer, si besoin en était, que la cote de popularité de leur figure de proue et président de la Transition, est plus que jamais ascensionnelle, malgré la situation sécuritaire et économique toujours préoccupante du pays.
La démonstration de force du 6 mai, vient gonfler à bloc le moral des forces combattantes
Les premiers responsables de la Transition qui suivaient sans doute l'évènement depuis leurs bureaux de Koulouba à quelques centaines de mètres de là, ont été ragaillardis de voir non seulement la place de la Révolution sise dans le quartier chic de Bilbalgho où l'élite côtoie l'élite, bondée de « patriotes » à la fois enthousiastes et menaçants, et surtout de savoir qu'ils bénéficient de soutien populaire dans le combat qu'ils mènent contre la myriade de problèmes qui assaillent le Burkina. Ils ont d'autant plus besoin de ce soutien que le pays qu'ils dirigent est à la croisée des chemins, avec des facteurs aggravants comme ces relations épisodiquement caniculaires avec la France depuis l'avènement de cette Transition, les tentatives de sabotage et de déstabilisation, réelles ou fantasmées, des « caniches » locaux de l'Hexagone, sans oublier évidemment les nombreuses pertes civiles et militaires enregistrées ces derniers mois à travers tout le pays.
La démonstration de force du 6 mai, vient donc non seulement gonfler à bloc le moral des forces combattantes et du commandement, mais aussi mettre en garde les éventuels « apatrides » qui pourraient tenter de renverser le régime, au motif que la situation sécuritaire est allée de Charybde en Scylla depuis l'avènement du MPSR 2.
Tout cela est flatteur et rassurant certes, mais le capitaine Ibrahim Traoré et ses camarades ne doivent pas pour autant dormir sur leurs lauriers, surtout quand on connait l'inconstance et la versatilité des foules, dans le domaine de la politique notamment. Les hyperboles imprudentes sur fond de théories conspirationnistes entendues au cours des rassemblements du week-end dernier, doivent être bannies et leurs auteurs vite recadrés, si on tient à éviter qu'au nom d'un patriotisme exclusif et usé jusqu'à la corde, le fossé déjà bien visible entre les Burkinabè ne s'élargisse davantage et ne complique, ipso facto, la réconciliation nationale et la lutte contre le terrorisme.
Les terroristes gardent toujours des capacités de nuisance
Le besoin d'un soutien populaire ne doit pas nourrir un sentiment de lassitude de devoir alerter sur les risques de dérapages et de mise à mal de la cohésion sociale à travers des propos ou des faits pour le moins clivants, surtout pas en ce moment où la guerre vient à peine d'être "introduite" contre les groupes armés, si l'on se fie au narratif servi par le capitaine Traoré lors de l'interview qu'il a accordée à deux médias locaux en milieu de semaine dernière.
N'oublions pas, en effet, qu'en prélude à la grande mobilisation du samedi 6 mai, le président du Faso a reçu la presse et en a profité pour dire aux Burkinabè que s'il y a sept mois il a pris les rênes d'un pays au bord du collapse, la situation actuelle sur le terrain est moins alarmante, d'autant que même dans les régions toujours en convalescence de l'horreur, les groupes armés sont de moins en moins actifs, leurs combattants passant le clair de leur temps à se cacher des drones et des hélicoptères d'attaque, qu'à planifier des embuscades contre nos Forces de défense et de sécurité (FDS).
S'il n'y a pas de doute qu'au cours de ces derniers mois, les terroristes se sont cassé les dents face à la montée en puissance de notre armée, il n'en reste pas moins vrai qu'ils gardent toujours des capacités de nuisance, puisqu'ils peuvent se projeter loin de leurs bases habituelles, et des villages continuent de se vider en charriant ou en drainant des réfugiés vers des zones plus sûres. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle certains Burkinabè se demandent si, pour limiter les dégâts humains et matériels, de même que les charges financières exorbitantes de la guerre, il ne faudrait pas penser à mettre en place des comités ad hoc ou des passerelles pour ramener certaines brebis égarées enrôlées et armées malgré elles dans le giron de la République, avec la possibilité de les retourner contre leurs anciens comparses, le cas échéant.
C'est vrai que le président a fermé la porte de la négociation à double tour, mais il n'a pas exclu le retour volontaire de tous ceux qui sont devenus des « fédayins » à leur corps défendant, à condition qu'ils n'exigent pas de l'Etat des espèces sonnantes et trébuchantes, comme ce fut le cas en 2020. Dans le cas d'espèce, il est difficile de séparer le grain le moins nuisible de l'ivraie, mais au regard des avancées obtenues en si peu de temps par les nouvelles autorités surtout en termes d'équipement et de mobilisation des masses, d'autres approches moins coûteuses en vies humaines, en ressources financières et matérielles et en libertés individuelles et collectives, peuvent être explorées afin de favoriser la réconciliation nationale et le retour progressif de la paix dans notre pays. Espérons que l'arbre du soutien populaire qu'on a vu pousser dans presque toutes les villes principales du Burkina, ne cachera pas la forêt des défis pressants auxquels la Transition en cours fait face et qu'elle essaie de relever, tant bien que mal.