Le pays des droits fait fi des droits de l'Homme
Les Marocains arrivent en troisième place sur le podium des personnes enfermées, au mépris de leurs droits, en 2022 dans les centres de rétention de l'Hexagone et d'outre-mer. En tête du classement, on trouve les Algériens avec 3.744 personnes, soit 23,5%, suivis par les Albanais (1.839, soit 11,6%) et par les Marocains (1.416, soit 8,9% ), sur un total de 43.565 personnes dont 15.922 qui ont été enfermées dans les centres de rétention administrative (CRA) de l'Hexagone (94,1% étaient des hommes et 4,8% étaient des femmes; 0,6% étaient des enfants accompagnant leur(s) parent(s); 129 personnes se sont déclarées mineures mais ont été considérées majeures par l'administration), indique le rapport de la Cimade 2022 sur les centres et locaux de rétention administrative en France, publié récemment.
Rétention
Selon ce document, les personnes placées en CRA sont, comme les années précédentes, majoritairement de nationalité algérienne, albanaise, marocaine et tunisienne. «Cependant, parmi ces principales nationalités, ce sont désormais les personnes algériennes qui sont les plus représentées en CRA alors qu'il s'agissait de ressortissants albanais jusqu'en 2021», précisent les rédacteurs dudit document. Et d'ajouter : «Les personnes de nationalité afghane sont les cinquièmes les plus représentées. Elles font l'objet de mesures de placement en CRA principalement dans le cadre de la procédure «Dublin», il s'agit donc de demandeurs d'asile dont l'examen de la demande relève de la responsabilité d'autres Etats membres de l'Union européenne selon le Règlement Dublin. Certains ressortissants afghans ont tout de même fait l'objet d'un placement en CRA dans le cadre de mesures d'éloignement (OQTF, ITF, APE...) dont le pays de destination fixé était l'Afghanistan. Aucun éloignement vers cet Etat n'a été réalisé depuis les CRA ».
Eloignement
Concernant les mesures d'éloignement, la répartition par nationalité classe les Marocains à la troisième place après les Algériens et les Albanais. Selon la Cimade, le nombre de Marocains éloignés vers un pays hors UE a atteint 241 personnes, soit 19,4% contre 100 Marocains renvoyés vers un pays membre UE ou espace Schengen (8%). Tandis que les Marocains non éloignés ont été au nombre de 903 personnes (76%). « Si les personnes de nationalités algérienne, marocaine et tunisienne sont majoritaires en CRA, leurs taux d'éloignement sont parmi les plus faibles. A titre d'exemple, seuls 23% des Algériens ont été expulsés vers leur pays d'origine malgré la réouverture des frontières suite à l'assouplissement des mesures sanitaires. Pour autant, les personnes en provenance de ces pays ont été enfermées pendant des périodes plus longues, en moyenne supérieures à un mois. Ces chiffres illustrent que l'administration, contrairement à ce que prévoient clairement les textes, maintient des personnes enfermées alors que les perspectives d'éloignement sont limitées et que l'allongement de la durée de rétention ne permet pas une augmentation des éloignements », révèle ledit rapport.
S'agissant des principales nationalités éloignées dans l'Hexagone, le document classe les Marocains à la 9ème position avec 241 personnes, soit 3,7%. «L'Albanie reste le premier pays de renvoi depuis les CRA de l'Hexagone : plus de 1.447 personnes ont été éloignées vers cet Etat. Ces expulsions sont réalisées via des «vols Frontex» quasi hebdomadaires et concernent souvent une population albanaise en transit vers le Royaume-Uni, présente dans le nord de la France. Ainsi, près de 75% des éloignements vers l'Albanie ont été réalisés depuis les CRA de Coquelles et de Lille-Lesquin », expliquent les rédacteurs. Et de préciser : « L'Algérie est désormais le second pays de renvoi (749 éloignements) depuis la réouverture progressive de ses frontières suite à l'assouplissement des mesures sanitaires ».
Renvoi
Les renvois vers d'autres Etats membres de l'Union européenne, souligne le rapport, sont nombreux, notamment vers la Roumanie (500 éloignements), concernant principalement des citoyens roumains pour lesquels l'administration considère que leur droit à la libre circulation dans l'espace Schengen est interrompu du fait d'une présence trop longue sur le territoire ou de la menace pour l'ordre public qu'ils représenteraient. Les expulsions vers l'Italie (466), l'Espagne (455) et l'Allemagne (385) concernent en majorité des demandeurs d'asile en procédure «Dublin» dont la responsabilité de l'examen de leur demande d'asile relève de l'un de ces Etats, selon le droit de l'Union européenne.
Abus
Que peut-on retenir de ce treizième rapport concernant l'enfermement dans des centres de rétention administrative ? Selon la Cimade, ce rapport confirme « un recours banalisé à la rétention, de manière trop souvent abusive et parfois dans des conditions indignes ». Le manque structurel d'effectifs policiers, qui impacte l'organisation des CRA, « génère ou aggrave des situations de violences et de violations des droits des personnes enfermées ».
Pour les associations, assurant dans les centres de rétention administrative la mission d'aide à l'exercice effectif des droits des personnes retenues prévue au Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), « le placement en rétention s'effectue trop fréquemment sans examen approfondi des situations personnelles. Cela se traduit notamment par l'augmentation du nombre de personnes particulièrement vulnérables - en situation de handicap, atteintes de maladies graves, souffrant de troubles psychiatriques, placées sous tutelle - enfermées en rétention. Or, les CRA sont des lieux inadaptés à la prise en charge médicale qui serait nécessaire, avec un accès aux soins qui n'est pas toujours garanti, ce qui vient aggraver l'état de santé de ces personnes. Depuis plusieurs années, les lois successives et les instructions adressées aux préfectures ont eu pour conséquence un allongement de la durée de rétention, malgré des perspectives d'éloignement parfois très faibles, voire nulles. En 2022, en dépit des moyens sous-dimensionnés, le ministre de l'Intérieur a décidé d'un fonctionnement en pleine capacité des CRA, ce qui ne peut se faire qu'au détriment de la sécurité de l'ensemble des personnes qui s'y trouvent, comme des garanties en matière de respect des droits des retenus », observent-elles.
Humiliation
Selon ces ONG, trop souvent, « les personnes retenues ont vu leurs droits réduits voire ignorés : non-présentation à leurs audiences, droit de visite suspendu ou limité, non-présentation à leur consulat, etc. De plus en plus d'audiences se tiennent ainsi, avec l'accord des juridictions, par visioconférence ou par téléphone, parfois en violation des exigences légales de publicité des débats et de confidentialité des entretiens entre la personne retenue et son avocat. En août 2022, le ministre de l'Intérieur a, par ailleurs, publié une circulaire prévoyant un placement prioritaire en rétention des étrangers représentant une « menace pour l'ordre public ». Du fait du caractère imprécis de cette notion, les décisions de placement sont souvent disproportionnées au regard de la situation des personnes sur le territoire français, plus encore lorsqu'elles aboutissent à des durées d'enfermement longues et/ou répétées faute de pouvoir procéder à leur éloignement », constatent-elles. Et d'ajouter : « Dans l'Hexagone, le nombre de placements s'est accru de 8,3% en 2022 par rapport à l'année précédente. 44,6% des personnes ont été éloignées, dont certaines avant l'expiration du délai de recours ou alors que l'examen de celui-ci était pendant, et d'autres alors qu'un avis médical préconisait une prise en charge sur le territoire français. Près de 38% des personnes libérées l'ont été par les juges, à 93% par le juge judiciaire (juge de la liberté et de la détention, Cour d'appel) qui a constaté une irrégularité de procédure, ou rejeté les demandes de l'administration de prolonger la rétention. En 2022, 57 familles incluant 94 mineurs, ainsi que 129 personnes se déclarant mineures ont été enfermées dans les CRA dans l'Hexagone. Parmi ces dernières, 77% ont été libérées par le juge judiciaire, du fait de l'absence de preuve de leur majorité ou d'une erreur manifeste d'appréciation de leur situation par les autorités préfectorales ».
Face à ce recours à l'enfermement «trop souvent abusif, inutile et disproportionné», la Cimade appelle à «la prise en compte, de manière plus volontaire et efficace, des situations individuelles des personnes avant l'édiction de toute décision administrative, mais aussi à ce que les projets ou propositions de loi annoncés en matière d'immigration garantissent pleinement l'exercice des droits des personnes faisant l'objet d'une décision d'éloignement du territoire et/ou d'un placement en rétention ».