A quelque neuf mois de la présidentielle, les tensions sociopolitiques sont très vives au Sénégal. Pour cause, d'une part, les déboires judiciaires de l'opposant Ousmane Sonko derrière lesquels ses partisans voient une cabale politique visant à torpiller la candidature déjà déclarée de leur leader à la présidentielle de février 2024. Et, d'autre part, le mutisme du chef de l'Etat, Macky Sall, sur les intentions de troisième mandat qu'on lui prête.
C'est dans ce contexte de tensions que les partisans du leader du PASTEF (Patriotes du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité) prévoient une série de manifestations qui n'ont d'autre but que de mettre la pression sur le pouvoir, face aux menaces de disqualification qui planent sur la candidature de leur mentor. A cet effet, la F24, une coalition de l'opposition, a déjà annoncé la couleur en appelant à une manifestation le 12 mai prochain, en soutien au jeune opposant.
Au même moment, la coalition Yewwi Askan Wi à laquelle appartient le parti de l'édile de Ziguinchor, projette, de son côté, une manifestation de protestation le 19 mai prochain, contre la condamnation en appel du dirigeant politique dans l'affaire de diffamation du ministre en charge du tourisme.
L'épée de Damoclès continue de planer sur l'éligibilité de Ousmane Sonko dans un autre procès
Les militants de ce regroupement politique y voient une répétition de l'histoire après les cas de Karim Wade en 2015 et Khalifa Sall en 2018, qui ont tous deux écopé de condamnations les rendant inéligibles à la magistrature suprème. De là à voir derrière les convocations en justice de Ousmane Sonko, un autre piège judiciaire visant à l'écarter de la course à la magistrature suprême, il y a un pas que d'aucuns ont vite fait de franchir.
Comment peut-il en être autrement quand on sait que cette condamnation en appel pour diffamation, pourrait être lourde de conséquences pour la candidature de ce leader de l'opposition au moment où l'épée de Damoclès continue de planer sur son éligibilité dans un autre procès, en l'occurrence celui de cette employée d'un salon de massage qui l'accuse de viol et de menaces de mort, et qui est programmé pour le 16 mai prochain ? C'est dire si la température sociopolitique pourrait monter de plusieurs degrés dans les jours à venir au Sénégal.
Et l'on peut se demander jusqu'où ira l'escalade. D'autant que, rejetant toute accusation de complot, le pouvoir semble décidé à faire preuve de fermeté. Et ce, face à une opposition qui croit pouvoir obtenir par la pression de la rue, le renoncement hic et nunc du président Macky Sall à un troisième mandat. Dans ce bras de fer qui semble dire son nom, c'est la paix sociale qui est fortement menacée au Sénégal.
Et cela, pour des raisons qui semblent loin des questions existentielles des Sénégalais, qui se trouvent, de facto, reléguées au second plan. C'est en cela que la responsabilité des acteurs politiques est fortement engagée. A commencer par Ousmane Sonko qui est aujourd'hui au coeur de la polémique pour des actes délictuels, mais dont les auditions en justice sont depuis lors, sources de tensions, en raison de la connotation politique qu'il a réussi à leur donner.
Il importe que le président Macky Sall rassure ses compatriotes
Toutefois, que son attitude réponde ou non d'une stratégie visant à se soustraire à la Justice par des moyens détournés, le fait est qu'en bravant la Justice de son pays contre laquelle il a même appelé ses compatriotes à la désobéissance civile, il ne rend pas service à l'Etat de droit qui veut que tous les Sénégalais soient égaux devant la loi. En tout état de cause, le statut d'opposant ou même de personnalité politique de haut rang, ne saurait être un parapluie contre les poursuites judiciaires.
Et chacun doit pouvoir répondre de ses actes. Mais autant l'attitude de Ousmane Sonko peut être sujette à caution, autant celle de Macky Sall qui continue de garder le mystère sur les intentions de troisième mandat qu'on lui prête, ne manque pas d'interroger. Non seulement au regard des fortes menaces que cela fait planer sur la paix sociale, mais aussi et surtout au regard des violences parfois meurtrières que ce sujet qui fonde toute la fronde de Ousmane Sonko, a déjà entraînées dans le pays.
Et le Sénégal continue de retenir son souffle. C'est dire qu'il est temps, pour Macky Sall, de clarifier sa position. Mieux, il importe, pour la paix sociale, qu'il rassure ses compatriotes par la renonciation pure et simple à un troisième mandat qui s'annonce d'ores et déjà comme celui de tous les dangers.
Autrement, plus le natif de Fatick fera durer le suspense en maintenant les Sénégalais dans l'incertitude, plus il fera planer le doute sur la noblesse de ses intentions et plus cela risque de peser lourdement sur un climat social déjà délétère. La balle est dans son camp. Et l'on attend de voir s'il franchira la « ligne rouge » de sa candidature à un troisième mandat, ou s'il saura tirer leçon de l'histoire de tous ses pairs qui, avant lui, se sont laissés aller à cette tentation qui a été aussi celle de leur perte et de leur sortie de l'Histoire par la petite porte.