Tunisie: Après l'attaque de Djerba, la communauté juive partagée entre colère et incrédulité

L'entrée de la synagogue Ghriba à Djerba en 2007 (archives)

À Djerba, la mort de deux pèlerins tués lors d'un échange de tirs entre un assaillant et les forces de l'ordre en plein pèlerinage de la Ghriba a bouleversé la communauté juive tunisienne de l'île. Ils sont encore 1 500 à vivre sur place. Mais face à cette nouvelle attaque, la deuxième depuis 2002, certains se demandent s'ils sont encore en sécurité en Tunisie.

Il était impossible ce mercredi soir de s'approcher de la synagogue de la Ghriba, ciblée dans la nuit par une attaque ayant fait quatre morts, dont deux civils. La route était bloquée par des barrières de béton et des forces de l'ordre empêchent l'accès au périmètre. Le calme qui y régnait tranchait considérablement avec les scènes de colère auxquelles on pouvait assister plus tôt dans la journée à Djerba.

On parlait en attendant le taxi et puis d'un coup, on a entendu «boum, boum». Les deux premiers boums, on a cru que c'étaient des pétards. Dès qu'on s'est retournés - ça s'est passé à vingt mètres - on a vu des enfants courir, d'un coup tous les policiers se sont couchés.

Le témoignage d'Élie, un jeune avocat parisien qui a assisté à l'attaque

La sortie des corps des deux civils de l'hôpital a ainsi donné lieu à une grande confusion. Des membres de la communauté juive ont demandé à pouvoir se recueillir sur les dépouilles une toute dernière fois. Mais leur requête a été rejetée par les forces de l'ordre tunisiennes.

Tensions à l'hôpital de Djerba

Kippa sur la tête, des dizaines de jeunes Tunisiens juifs bloquaient la route. « On a juste demandé à ce que le convoi funéraire passe une dernière fois par le quartier des défunts. La police a dit ok, d'accord et puis ils ont pris la tangente avec les corps en direction de Tunis. Cela ne se fait pas, ce n'est pas correct », raconte un jeune homme.

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Ce différend avec la police qui a pour ordre d'emmener les deux dépouilles des civils à Tunis avant leur inhumation a fait ressortir les frustrations de certains. Alors que l'attaque de Djerba a coûté la vie à deux des leurs à qui ils ne pourront pas rendre de dernier hommage, un homme craque, éclate en pleurs en s'adressant à un policier. « Vous vous faites appeler forces de sécurité, mais elle est où la sécurité, elle est où ? », lui lance-t-il.

Un autre confie ne plus se sentir en sécurité désormais en Tunisie. « Moi, j'habite à Djerba, mais je crois que je vais quitter ce pays. Je vais aller ailleurs pour être clair avec vous. J'ai envie de partir à cause de cette situation et du mépris qu'on a pour nous ». Une communauté en demande de plus de sécurité d'autant qu'une nouvelle fête juive sera célébrée dans deux semaines.

C'est très dommage pour le vivre ensemble parce que c'est un lieu exemplaire du vivre ensemble. Les juifs viennent faire leur fête sur une terre d'islam, c'est quand même très important et c'est un symbole que cela se maintienne.

Gabriel Kabla, président d'honneur de l'Amicale des Juifs de Djerba

Les condoléances de Kaïs Saïed

Le président tunisien Kaïs Saïed a pris la parole ce mercredi soir. En plus des condoléances d'usage, le chef de l'État a évoqué une « opération » qu'il a qualifié de « criminelle » à plusieurs reprises. Jamais, le terme « terroriste » ou « attentat » n'a été utilisé à ce stade. Le Ministère de l'Intérieur, quant à lui, n'a communiqué qu'une fois. Le soir même de l'attaque.

Toute la journée d'hier, la communication gouvernementale a été assurée par le ministre du Tourisme. C'est lui qui a été mandaté pour présenter ses condoléances sur le terrain et surtout rassurer et marteler le message que la Tunisie reste, selon les autorités, un pays sûr. La préoccupation ici c'est que cette attaque nuise à la saison estivale à venir.

Il s'agit d'un échec, mais personne aujourd'hui dans le monde n'est à l'abri de ce type d'attentat et n'est à l'abri d'une tuerie.

Sophie Bessis. Historienne, spécialiste de l'Afrique subsaharienne et du Maghreb

Pour rappel, l'attaque a été menée par un membre de la garde nationale tunisienne. Il aurait tué l'un de ses collègues dans la zone du port de Djerba, avant de s'emparer de ses armes pour se rendre aux abords de la synagogue, où les forces de l'ordre l'ont abattu après un échange de tirs nourri.

En plus de la colère et de l'incompréhension, cette attaque a également fait ressurgir le souvenir de celle au camion-citerne perpétrée en 2002 aux abords de cette même synagogue. Elle avait fait 21 morts.

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