Congo-Kinshasa: Confidences du chauffeur du Ministre - " A Kalehe, j'ai vu l'enfer "

Je reviens de loin, de Kalehe. De l'enfer. J'ai accompagné mon patron, SE le ministre d'Etat, en mission d'inspection et de compassion. Je comprendrai plus tard que mon patron, sous le stress avant le voyage, et sous le choc prévisible après la mission, avait besoin de consolation...Alors, j'ai accepté l'offre.

C'est la première fois que je mettais les pieds à l'Est du pays. Pour un Kinois, l'Est est une sorte de planète-Far West : avec des hordes de martiens canailles à chaque colline, avec comme chants de réveil les rafales des Kalachnikov à chaque quartier. Mais aussi avec des enfants-soldats-sorciers disséminés dans les maquis. Et avec des femmes violentées.

« Trop, me confesse mon ministre. Trop, c'est trop, pour une simple planète coincée entre les grabens, et traversée par une mer intérieure et initiatique, comme l'Acheron des Anciens, tunnel du Purgatoire «

J'ai vu le Purgatoire. Aussi macabre que les massacres de Bunagana. Aussi apocalyptique que les fosses communes autour du Rutshuru.

Les Kinois ne connaissent pas l'Est. Ne connaissent pas Kalehe. Ne connaissent pas Nyamukushi. Ne connaissent pas Shimakuru. Ne connaissent pas Bamishi. Ne connaissent pas Bushushu.

A présent, moi je connais tout ça : la géographie entre le Purgatoire et l'Enfer. Moi je reviens avec sous les yeux des spectacles de torrents de pluies et de magmas de boues dévalant les collines, et ravalant tout, absolument tout, sur leur passage, sur les flancs et dans les vallées sens dessus-dessous. Facture en chiffres et en lettres : 400 morts.

Un. Deux. Trois. Cinq. Dix. Cent. Quatre cents morts. Dont beaucoup d'enfants. Les survivants sont hagards, interloqués, interlopes. Ils nous voient à peine, nous de la délégation ministérielle. Ils s'en foutent des cortèges et des escortes officielles. Ils n'ont d'yeux que vers les trous de boue, à la recherche de leurs morts.

Le ministre croise un Chef de la Croix-Rouge locale, perdu et éperdu. Le ministre s'enquiert de la situation sanitaire et sécuritaire. Monsieur Croix-Rouge rétorque : « Qui êtes-vous, monsieur ? Que voulez-vous ? Nous, nous ne savons rien, nous ne pouvons rien. Vous, non plus, monsieur. Allez, circulez, il n'y a rien à voir ! »

Cette nuit-là, je n'ai pas voulu dormir à l'hôtel de fortune aménagé pour la délégation. Je dormirai à la belle étoile, pour ainsi dire, en signe de deuil...

Je suis en face du Lac ; il paraît que nos cadavres y ont dévalé vers le Rwanda voisin. Il paraît que les cadavres rwandais ont dérivé sur le Lac vers notre Kalehe. Échanges et diplomatie macabres. Migrations funèbres sous des eaux impardonnables...

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