Madagascar: L'UE explique aux producteurs le durcissement de ses conditions d'importation

En marge de la semaine de l'Europe, la délégation de l'Union européenne à Madagascar a organisé jeudi une grosse session d'échanges et de débats, sur une thématique brûlante : l'accès au marché européen, dans un contexte d'évolution du cadre réglementaire. Depuis plusieurs mois, un vent d'inquiétude souffle sur certaines filières agricoles, directement concernées par une modification des « LMR », les Limites Maximales de Résidus. Des seuils réglementaires de concentration de résidus de pesticides au-delà desquels la commercialisation des produits alimentaires n'est plus autorisée.

Vanille, cacao, black-eyes (niébé) ... plusieurs denrées d'export malgaches sont directement concernées par le durcissement de certaines LMR. Face aux représentants des ministères concernés et du secteur privé (opérateurs économiques, groupements d'entreprises) conviés pour l'occasion, Edouard Lehmann, spécialiste du sujet mandaté par l'Union européenne, avait pour mission de vulgariser et d'informer les participants des changements importants pour les filières. Tout en rappelant les bases.

« La première, c'est de garantir en tout temps une sécurité pour le consommateur européen. L'autre, c'est d'assurer une facilité de l'accès au commerce avec une circulation libre dans l'ensemble de l'Union européenne. »

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Les révisions des textes sont opérées tous les 10 ans environ, explique l'expert. Et certaines d'entre elles vont toucher en particulier le marché malgache. « La filière black eyes, aussi appelé niébé, pose problème. Parce que l'on retrouve régulièrement dans les grains des résidus de chlorpyrifos, un pesticide interdit depuis 2020 en raison de risques de neurotoxicité et de génotoxicité pour la santé humaine. Au niveau de la filière vanille, ce sont plutôt les résidus de nicotine qui vont être scrutés. »

La nicotine ne faisait jusqu'à présent pas partie des molécules recherchées lors des analyses des contaminants requises pour l'export. Désormais, du fait de la nouvelle réglementation, dès le 15 septembre prochain, les gousses exportées vers l'Europe devront donc présenter un taux de nicotine inférieur à 0,05 % ppm par kilo. Contre 0,3 % actuellement.

« On est obligé de se conformer à la réglementation européenne, on ne la conteste pas, mais on la subit », reconnaît sans détours François-Marie Sarti, membre du Groupement des exportateurs de vanille à Madagascar via la société Floribis et représentant du Groupement des entreprises de Madagascar. Les opérateurs de la vanille ont d'ores et déjà annoncé que l'impact de cette nouvelle LMR serait terrible pour la filière.

« Aujourd'hui, avec la nouvelle réglementation, les 1 600 tonnes de vanille qui sont stockées chez les planteurs, les conditionneurs, les exportateurs, ne sont pas exportables en l'état », déplore l'exportateur. Selon les chiffres avancés par le Groupement, 50 % des lots de vanille malgache dépasseraient ce nouveau seuil de 0,05% ppm. « La seule solution, c'est d'arracher à l'Union européenne un délai d'au moins deux ans durant lequel l'ancien taux de 0,3% ppm, considéré comme inoffensif pour la santé, serait conservé pour vendre les stocks actuellement disponibles. Cette décision augure vraiment un drame social. Pour nous opérateurs qui avons de grosses sociétés, on va subir une perte financière importante. Mais pour les planteurs, ça va être catastrophique, car une manne financière importante va être coupée. »

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Pourtant, rappellent les représentants de l'Union européenne, le processus de révisions des LMR impose à la Commission européenne de communiquer à l'avance les changements aux pays susceptibles d'être impactés, laissant ainsi la possibilité de dialoguer et d'apporter des modifications au texte.

Les opérateurs de la vanille pointent directement du doigt un manque de communication entre les ministères et le secteur privé, qui n'aurait été alerté qu'extrêmement tardivement, des notifications de la Commission européenne au sujet d'un changement prochain de législation.

« Dans ce cas précis, la filière vanille malgache n'a effectivement pas contribué à la remontée d'informations pour cette LMR » confirme Edouard Lehmann. « Depuis, les délais de consultation ont expiré et la LMR a été définie sur des valeurs qui vraisemblablement ne reflètent pas la problématique à Madagascar » concède l'expert qui a donc conseillé aux acteurs économiques de « rapidement se mobiliser et collecter les informations pour informer la Commission européenne du blocage commercial et des impacts socio-économiques susceptibles d'être créés par cette loi. »

Une course contre-la-montre a donc démarré. À l'instar de celle déjà engagée dans la filière black eyes, à deux doigts d'être placée sous embargo.

« Aujourd'hui, on va droit au mur si on continue à travailler comme avant » confesse la plateforme du black eyes de la Région Boeny, l'une des trois régions exportatrices du grain sec. Si la tension est telle, c'est que depuis deux ans, l'Union européenne alerte, via un système de notifications envoyées à l'administration malgache, de la présence importante de résidus de chlorpyrifos, détectés dans les quelque 30 000 tonnes de grains exportées chaque année. La filière ferait vivre « plusieurs centaines de milliers de personnes » assure la plateforme. Mais aucun réel sursaut n'a été enregistré malgré les coups de semonce répétés.

« Le problème se situe au niveau du suivi et du contrôle des pesticides des petits producteurs » souligne la plateforme. « Sur le terrain, nos paysans sont très mal formés sur l'utilisation des pesticides, tant sur les quantités que les fréquences. Résultat : les pesticides à l'intérieur des légumineuses dépassent les limites maximales autorisées sur le marché et se font rejeter régulièrement à leur arrivée sur le sol européen. Actuellement, on est dans une phase de contrôles renforcés et si aucune mesure corrective n'est prise en urgence, c'est l'embargo assuré. »

Une issue possible, confirmée par l'Union européenne, qui pourrait être très dommageable pour la population tant la durée des sanctions est généralement longue. L'embargo décrété en 1996 sur les produits malgaches d'origine animale n'a été levé qu'en 2011, empêchant des filières entières, à commencer par celle du miel, d'exporter leur produit vers les pays européens.

Les échanges de jeudi ont donc permis de soulever des dysfonctionnements. Tant en matière de communication entre les acteurs qu'en matière de stratégie économique et politique au sein même du gouvernement malgache. Les difficultés de mise en conformité aux lois ont aussi été largement soulignées - malgré les mesures d'accompagnement proposées par Bruxelles - du fait des réalités propres au pays ; des réalités souvent ignorées par le législateur européen, pouvant conduire, dans certains cas, à des situations ubuesques.

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