Ile Maurice: Jean-Baptiste Salmon - «Maurice, aujourd'hui, n'est pas 'on the map'»

interview

Jean-Baptiste Salmon, directeur de Graines de Boss Mauritius, plaide pour la création d'un bassin spécifique pour être attractif, comme la Fintech, l'«Agri-tech» ou encore la «Bio-tech». Sa plate-forme se positionne pour être un bon révélateur de talents dans l'univers des start-up.

L'investissement dans les start-up africaines a dépassé la barre des USD 3 milliards en 2022, avec le Nigeria, l'Égypte, l'Afrique du Sud et le Kenya dans le Top 4. Considérant le dynamisme de la région, quid du positionnement de Maurice ?

Maurice occupe la première place du classement «Ease of Doing Business» de la Banque mondiale en Afrique. Cela ne peut pas, vu la taille critique du pays, permettre de comparer l'attractivité du pays à d'autres, qui ont jusqu'à 213 millions d'habitants et qui ont mis en place des outils dynamiques pour aider les start-up dans leurs premiers pas. J'en profite pour rappeler la définition d'une start-up : «A new project or a Company, initiated by an entrepreneur, to seek, develop effectively and validate a scalable business model». Ces spécificités ont été assimilées en Inde, au Nigeria et maintenant au Kenya. Ainsi, les outils de financement public existent pour effacer le risque de départ et permettre l'étape d'amorçage. La France l'a fait en son temps.

Ce serait intéressant de créer un bassin spécifique pour être attractif, comme la Fintech, l'Agri-tech, la Bio-tech... Maurice, aujourd'hui, n'est pas «on the map», soyons clairs. Cependant, les efforts de la Mauritius Tech, et notamment de du Mauritius Africa FinTech Hub (MAFH) pour la Fintech et de la French Tech, rassemblent des pôles d'entrepreneurs et le développement est croissant. Les acteurs majeurs de l'investissement, qui font partie de ces USD 3 milliards investis, se pencheront sur un acteur à Maurice s'il y a les outils pour le détecter. Graines de Boss Mauritius pourrait être un bon révélateur de talents pour ce faire.

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À la base un tremplin pour les entrepreneurs français, la plateforme Graines de Boss est aussi présente à Maurice. Pourquoi avoir choisi le pays et quels sont vos projets ?

Il y a d'abord le facteur humain. Je vis à l'île Maurice depuis 13 ans. Cela m'a permis de cerner la qualité de l'écosystème mis en place par les secteurs public et privé pour offrir le meilleur contexte aux entreprises. Lancer Graines de Boss au niveau international à Maurice, c'était aller à la rencontre d'un contexte favorable et offrir ce qui est le plus recherché : un réseau, et des solutions proposées aux jeunes entreprises sous un mode digital et au travers d'événements réguliers. Il y fallait la rencontre avec notre partenaire fondateur, Vivo Energy Foundation, et les piliers des institutions reliées au monde des affaires à Maurice, la MCCI et Business Mauritius notamment.

Les débuts ont été très encourageants avec 100 acteurs réunis, 60 jeunes entreprises et 40 mentors. Notre célébration des récompenses, le mardi 9 mai au Caudan Arts Centre, nous a permis de désigner le Lauréat Maurice et de décerner sept awards. C'est une étape importante qui a permis de révéler des entreprises de talent comme Inspexion, le grand lauréat Maurice et océan Indien, et les accessits comme Chiron Biometric Consulting ou YouPlay, entre autres. La dynamique court 365 jours par an. Il reste beaucoup de chemin à parcourir pour détecter et mettre en lumière ces talents existants.

Pour l'avenir proche, Graines de Boss Mauritius cherche à consolider les relations avec les institutions locales pour inclure d'autres jeunes entreprises mauriciennes. Pour notre développement géographique, nous avons noué des discussions avec toutes les îles de l'océan Indien pour régionaliser la plate-forme et créer les conditions de détection des jeunes entreprises. Ce serait formidable d'établir ainsi une communication globale et croisée entre les îles pour favoriser directement les échanges. L'Afrique représente une ambition plus lointaine. En voyant plus loin que le territoire mauricien, nous allons renforcer Maurice qui aura été, pour toujours, le précurseur international. Il y aura un award Africa, prix spécial du jury cette année ; ce n'est pas un hasard.

À Maurice, avons-nous un écosystème encourageant pour les entrepreneurs ?

Vu de l'extérieur, tout est là pour réussir. Quand vous interrogez les différents acteurs, il semble que les jeunes entrepreneurs ne connaissent pas tous les outils disponibles, qu'ils soient issus du public ou du privé, et leurs programmes de formation ou d'accès à l'investissement, par exemple. Certains acteurs, menant des initiatives privées ou publiques, ne se connaissent pas non plus. C'est donc encourageant de savoir qu'il existe de nombreux outils, faut-il savoir où les trouver, et les différents mécanismes, solutions de prêts et formations proposés.

Les banques et les institutions financières semblent beaucoup travailler pour répondre aux besoins spécifiques des entreprises naissantes. Il me semble que l'accès aux informations est un point fondamental et nécessaire.

Comment attirer plus de start-up africaines et les encourager à s'installer à Maurice ?

Si j'avais la solution, je serais heureux de vous l'apporter ! De bonnes initiatives ont déjà été prises, notamment par l'EDB : la proposition d'exonérer d'impôts pendant cinq ans les plates-formes s'installant à Maurice ou le plan Investor for innovative Start-Up. C'est un bon début mais on reste timide dans l'exécution. On n'entend pas résolument StartUp, Fin-tech ou Agri-Tech Nation. Il faut un cri et un effort d'ensemble, soit un engagement visible qui libère les énergies, l'investissement, et les outils d'installation simples et faciles pour les agréments.

Les États-Unis, la Chine, Israël, la France et plus proche de nous, l'Inde et le Nigeria, en ont fait un véritable enjeu national à leur échelle. Avec toujours un relais financier à la clé. En France, il y a 20 ans, le rêve était de devenir fonctionnaire ; aujourd'hui, 50 % des jeunes veulent monter leur entreprise et de nombreux véhicules d'investissement adaptés ont été proposés. Graines de Boss Mauritius voit dans les incubateurs, comme le Mauritius Africa Fintech Hub, un succès déjà réel. En trois ans, la French Tech a réussi pour sa part un véritable décollage et d'autres environnements comme la Mauritius «Tech» croissent. C'est un véritable essor qui mériterait d'être renforcé avec l'aide du secteur public.

Les start-up africaines se positionnent comme la solution Tech aux problématiques du pays. À Maurice, la sécurité alimentaire et le déficit commercial restent des priorités. Comment encourager plus de start-up à rejoindre le mouvement ?

Je vois surtout des pistes très encourageantes pour l'Agri-tech. On pourrait développer un véritable pôle d'innovation pour créer des prototypes centrés sur l'agriculture et les exporter ensuite. Ce serait un facteur extrêmement attractif pour les personnes en Afrique qui ont la connaissance immémoriale de la culture agricole et qui pourraient créer ce changement vers l'agriculture moderne, indispensable pour Maurice. En identifiant une filière, on pourrait faire de Maurice un champion identifié et ainsi attirer tous les talents de ladite filière. Penser précisément un créneau plutôt qu'une ambition généraliste.

En détectant les meilleurs dans ces filières, Graines de Boss Mauritius pourrait contribuer à cette mise en place et sa relation avec un réseau international en renforcerait la dynamique.

La monnaie digitale de la Banque Centrale passe en phase pilote à la fin de 2023. Nous avons là une belle occasion de booster l'environnement des start-up FinTech. Comment s'y prendre ?

Le mot «booster» ne pourra être utilisé que si une décision forte est prise en disant : on y va ; on devient un pilier mondial ; on crée toute la filière éducative ; on réunit tout le monde sous une même ombrelle avec un pôle d'excellence, et ce sera ici et nulle part ailleurs. C'est tout à fait possible et la création de cette monnaie digitale pourrait être la planche d'appel pour y parvenir. Quand vous voyez l'éclosion des monnaies locales qui se renforcent dans le monde entier, les vertus du produire et consommer local, et autres solutions alternatives, c'est une opportunité exceptionnelle qui se présente.

Au vu de quelques jeunes entreprises présentes sur la plateforme Graines de Boss Mauritius, je peux confirmer que des compétences extraordinaires sont présentes ici pour aider à la réalisation d'un tel plan. C'est ce qui renforce l'idée de potentiel existant. La crise de la financiarisation est donc une opportunité extraordinaire à saisir pour Maurice : allier nouvelles monnaies, les NFT et possiblement l'Intelligence Artificielle pour s'inscrire dans le global business, si on voit grand à l'horizon sur 10 ans.

La finale de Graines de Boss a eu lieu le 9 mai. Cette première édition répond-elle à vos attentes et quelle en sera la suite ?

Cette édition a rempli plusieurs objectifs : en réunissant d'excellentes jeunes entreprises et des mentors de haut niveau d'expertise, 60 et 40 respectivement. Nous sommes sur un chemin de construction dans la durée. Nous allons présenter au niveau national et international des entreprises qui sont la fierté de ce que Maurice crée : des jeunes entreprises issues de son sol, et des entreprises qui ont été attirées par les efforts de l'EDB et la qualité des conditions réservées aux entrepreneurs.

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