Ile Maurice: À Tranquebar - Un jardin communautaire pour y mettre en terre les problèmes de la vie

Chacune a subi des coups du sort : déboires sentimentaux, perte d'emploi, ennuis de santé, enfants et petits-enfants à charge. Depuis un an et demi, c'est à l'ombre du jardin communautaire de Sainte-Anne à Tranquebar que deux femmes ont mis en terre leurs difficultés. Pour mieux se relever.

On dirait qu'elle nous regarde un peu de travers. Gilette - «Ginette lakaz» - Legoff, 58 ans, est de celles qui vous jaugent. Elle parle d'une toute petite voix. Avant de s'animer. Très digne, la pioche à la main et les bottes en caoutchouc aux pieds, elle vient tout juste de sortir de l'emballage. Dans l'ombre du jardin communautaire de Sainte-Anne, elle nous fait cadeau de son histoire.

À 17 ans, elle quitte Rodrigues. S'installe dans le quartier dit Bangladesh à Tranquebar. Elle s'y marie, accouche d'un fils, puis divorce. Jusqu'à ce que survienne son «autre petit problème». Alors que, comme elle le dit, «sipoze mo enn dimounn pa tro stab». N'en croyez rien.

Après une mauvaise chute, Gilette traîne des douleurs à la cheville. «Mo lipie res anfle.» Quand elle est enfin «retombée sur terre», elle a pris à sa charge ses deux petits-enfants. Une ombre passe sur son visage quand elle repense au ménage brisé de son fils. «Il a été tellement déçu qu'il n'a pas assumé la responsabilité de ses deux enfants.» Pas d'amertume. Mais un souvenir qui ne s'effacera jamais. «Un jour, on m'a appelée pour me dire que mes petits-enfants étaient dans la rue devant l'église Sainte-Anne à Tranquebar.» C'est leur maman qui les avait laissées là, pour ne plus jamais s'en occuper. Quand Gilette appelle son fils, réponse de ce père «déçu»: «Sa bann zanfan la se bann tifi sa. Se zot mama ki bizin get zot.» Gilette raconte: «Ti pou bizin al met zot enn plas, mo prop disan sa.» Elle ne l'a pas supporté. Après maintes démarches, Gilette recueille ses deux petites-filles. À l'époque, l'aînée a trois ans et la petite seulement huit mois. Aujourd'hui elles sont âgées de 11 ans et huit ans. «Miss dan lekol inn dir mwa sa de zanfan-la pa paret ki zot pena paran.»

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Sauf qu'entre les bons sentiments d'une grand-mère généreuse et son maigre portemonnaie, le gouffre est béant. «Li pa sifi», dit-elle simplement. Dans sa jeunesse, elle a travaillé à l'usine. Quand le textile n'a plus tenu qu'à un fil, et que l'usine a fermé, Gilette a pris de l'emploi dans une société de nettoyage. «Lerla mem mo'nn koumans malad.» «Monn tonbe leve, ziska mo'nn tom isi», lance-t-elle en désignant le jardin qui prend forme depuis un an et demi.

Prendre la pioche était-ce simple? Le ton de Gilette change. Elle se revoit enfant à Plaine-Corail. La sagesse de ses parents qui répétaient : «Si ou pena manze, ar sa mem ou kapav teign ou la swaf.» Du menton, elle nous indique avec fierté les plants de lalo alignés. Elle a suivi un cours «dan plante». Gilette n'aime pas «plant lerb». Pour elle, le plus important c'est de mettre en terre de quoi manger. Comme du maïs et du manioc.

C'est elle qui a «recommandé» Dorina Caëtane, 45 ans, pour travailler au jardin communautaire de Tranquebar. Une autre habitante de Tranquebar, «ki li ousi ti dan lapenn», avec ses cinq filles et un fils. «Monn dir li koumans par tigit avan», confie Gilette. Dorina semble l'avoir écoutée

L'agriculture durable à la rescousse de la pauvreté

Le jardin communautaire de Tranquebar devait être le premier de la série initiée par Action for Environment Protection (AEP), ONG du diocèse de Port-Louis. Mais les circonstances en ont décidé autrement. «Nous n'avons pas bénéficié du Covid-19 Fund», explique Pascal Laroulette, Project Coordinator d'AEP.

Le salut est venu en 2020 d'une enveloppe de Rs 300 000 d'Aide aux Eglises d'Afrique, ce qui a permis d'installer quatre réservoirs d'une capacité totale de 28 000 litres. Une priorité dans un quartier de la capitale qui souffre de stress hydrique. L'irrigation automatique a aussi été installée.

Initialement, le bout de la cour de l'église Sainte Anne devant être transformé en jardin communautaire, était en pente raide. Les services d'une tractopelle ont contribué au terrassement du jardin pour partager 30 m x 11 m entre «28 espèces».

«Les bananiers peuvent devenir aussi grands qu'ils peuvent, cela ne va pas affecter les agrumes en contrebas», fait ressortir Pascal Laroulette. Les bananes gingeli et Williams côtoient limon, citron, mais aussi manguier, pistache malgache, papaye, avocatier, cocotier.

Les espèces endémiques ne sont pas loin, dont le barleria et le bois boeuf qui sont mellifères, c'est-à-dire qu'ils attirent les abeilles.

Par la suite, avec le soutien de PricewaterhouseCoopers à hauteur de Rs 50 000, un stipend est assuré pour Gilette Legoff et Dorina Caëtane. S'il y a un an et demi, elles travaillaient au jardin deux fois la semaine, elles y sont maintenant tous les jours, à raison de trois heures par jour. Elles ont eu droit à une formation. Elles ont été rejointes par une troisième personne, il y a un mois.

Suite à l'expérience concluante du jardin communautaire de Pailles, la société Livestock Feed Ltd accepte d'aider aussi pour mettre en place la pépinière et quelques ruches. La pépinière abrite les pousses qui seront transférées au potager : des brèdes tom pouce, de la laitue, du petsai, de la queue d'oignon, du thym, des lalo entre autres.

Pour sa part, CIM Finance a accordé Rs 100000 pour la partie plane du jardin, consacrée aux plantes endémiques et indigènes. Des pneus - un don de Leal Group - servent de mur de rétention du terrassement. Ils ont été installés par les scouts de la région. «Cela a résisté aux fortes pluies des mois précédents.»

Trois niveaux de compost sont déjà en cours de pourrissement. «Nous n'envoyons aucun déchet végétal à Mare-Chicose.» Le concept de réduction des déchets est rigoureusement appliqué dans ce jardin. «Nous allons au bout de nos idées», assure Pascal Laroulette.

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