Sénégal: Littérature - Entre nostalgie de l'enfance et identité provisoire, avec le Mauricien Jean Fanchette

(Rfi.fr)- Grande voix mauricienne du XXe siècle, Jean Fanchette a publié l'essentiel de son oeuvre poétique en France où il a travaillé et vécu dès l'âge de 19 ans. Il avait fait de l'écriture sa madeleine de Proust pour convoquer le monde perdu de l'enfance. Parue en poche, son anthologie de poésie, L'Île Équinoxe, épelle la nostalgie de l'île natale, mais aussi « l'habitude de l'exil », la quête des « repères » et la mémoire irrépressible des « jacinthes qui dérivent » « sur le fleuve Congo ».

« Mon âme est une immense aurore/ Que la nuit a tentée en vain/ Et qui entr'ouvre en souriant/ Ma nostalgique douceur d'automne... » Des vers verlainiens, qui rappelleront à certains « les sanglots longs des violons de l'automne qui blessent mon coeur d'une langueur monotone ». L'auteur de ces vers est le poète mauricien Jean Fanchette, dont paraît ces jours-ci l'anthologie poétique L'Ile Equinoxe, aux éditions Philippe Rey, en collection poche.

Poésie comme hygiène de vie

Né en 1932 à l'île Maurice, Jean Fanchette était neuropsychiatre et psychanalyste de métier et poète dans l'âme. Grandissant dans le quartier de Rose-Hill, il a bénéficié d'une bourse pour faire des études de médecine en France. Arrivé à Paris à 19 ans, il publie plusieurs recueils de poésie qui lui valent des prix prestigieux, dont le prix Paul-Valéry en 1956 et le prix Fénéon en 1958. L'homme est aussi l'auteur d'une étude sur les rapports entre le psychodrame et le théâtre, et d'un roman de science-fiction, Alpha du centaure, d'après le nom de la constellation la plus proche de la Terre. Un roman qui vogue entre uchronie et poésie.

L'Île Équinoxe propose une inoubliable entrée dans l'oeuvre poétique de Jean Fanchette, méconnue du grand public. L'ouvrage rassemble une soixantaine de poèmes puisés dans les différents recueils publiés par l'auteur depuis les années 1950, une sorte de best of préparé par le poète lui-même, quelques mois avant sa disparition brutale en 1992 d'une crise cardiaque, à l'âge de 59 ans. Ces poèmes témoignent de l'originalité de son écriture : exigeante, inspirée, intuitive. Une écriture vécue comme une hygiène de vie, comme l'auteur l'a écrit dans sa profession de foi au début de l'anthologie : « J'ai toujours écrit des poèmes. La poésie a toujours été le témoignage de ma plus constante fidélité à l'indicible, lutte inconsciente et féroce, et destination en même temps, plutôt que destinée. »

Une fidélité dont témoigne Frédérique Fanchette, la fille aînée du poète qui a vu se dérouler sous ses yeux la quête poétique de son père, tiraillé entre poésie, psychanalyse et famille : « Il a commencé à écrire des poèmes très tôt à l'île Maurice avant d'arriver en France vers l'âge de 19 ans. Il avait obtenu la bourse d'Angleterre, une bourse qui permettait à des jeunes Mauriciens de partir en Europe. Il était de famille modeste. Sa période la plus dense pour la poésie, c'était vers la trentaine. Après, il était aussi pris par son travail de psychanalyste, de neuropsychiatre qui le passionnait. Il écrivait, c'était un peu son jardin secret. De temps en temps, on l'entendait taper à la machine. C'est quelqu'un qui se levait très tôt pour échapper à la vie de famille et il a continué toujours à écrire, mais il manquait de temps pour être pris complètement par la poésie, comme il l'a été à son arrivée à Paris dans les années 1950-1960. »

Rimbaud, Shakespeare et Anaïs Nin

Jean Fanchette fut contemporain de Malcolm de Chazal et d'Édouard Maunick, deux voix poétiques majeures de Maurice francophone. Si l'auteur de L'Île Équinoxe est moins connu du grand public que ses deux confrères, il n'en est pas moins un immense poète. Dans sa préface à l'éblouissante anthologie de Fanchette, le Prix Nobel de littérature Jean-Marie Le Clézio, qui lui aussi a des attaches mauriciennes, le compare à Arthur Rimbaud, rapprochant les deux itinéraires noués autour des thèmes de l'exil et de l'ailleurs.

Pour Frédérique Fanchette, l'errance baudelairienne a aussi été un modèle pour son père, comme elle l'a expliqué au micro de RFI : « C'est un petit peu risqué de faire ces parallèles. Oui, pour ce qui est du voyage, de l'arrachement d'un lieu, je veux bien croire qu'il y a une parenté. De toute façon, on ne peut pas refuser un si bel hommage de Jean-Marie Le Clézio. Il sait ce que c'est le nomadisme, le voyage. Effectivement, Baudelaire est très important pour mon père, parce qu'il y a ce rêve baudelairien autour de l'île Maurice, puisque Baudelaire y est allé. Mon père me parlait très souvent de Baudelaire. C'était quelqu'un qui comptait beaucoup pour lui. »

Dans son évocation des modèles littéraires de son père, Frédérique Fanchette n'oublie pas de rappeler la spécificité mauricienne d'être à cheval sur plusieurs cultures et dont l'auteur de L'Île Équinoxe fut un produit typique. Fasciné par Baudelaire et Rimbaud, l'homme n'hésitait pas à aller puiser son miel dans le champ anglophone. « Il était fou de Shakespeare et dans les soirées avec des amis, il citait de mémoire les romantiques anglais qu'il avait beaucoup lus », se souvient sa fille.

Chemin faisant, il ira encore plus loin dans sa pratique du modèle multiculturel, en animant avec la Franco-'Américaine Anaïs Nin pendant plus de cinq ans, entre 1959 et 1964, une revue littéraire bilingue, en anglais et en français, intitulée Two Cities , d'après le célèbre roman de Dickens. Cette revue fera connaître des auteurs encore balbutiants à l'époque et aussi divers que Henry Miller, Yves Bonnefoy et Lawrence Durrell, futur auteur du séminal Quatuor d'Alexandrie, pour ne citer que ceux-là. Pour éphémère qu'elle fut, Two Cities a marqué la vie littéraire parisienne, soutient Philippe Rey, éditeur et grand ami du poète.

Une inextinguible soif d'altérité

Toutefois, rien n'illustre mieux la quête d'altérité qui distingue le cheminement intellectuel de Jean Fanchette que sa poésie. Les pages de L'Île Équinoxe se partagent entre la nostalgie du pays et les turbulences de l'exil, sans « nulle lamentation sur la dépossession de soi », comme l'a écrit le mauricianiste Jean-Louis Joubert, lors de la première parution de l'anthologie en 1993.

La nostalgie est conjurée par la promesse de l'avènement d'un nouvel équilibre entre le pays perdu et le présent, entre racine et identité provisoire, comme le suggère le titre du volume. « Je ne suis pas d'ici. Je ne suis plus d'ailleurs. / Je me coule dans la verticalité de mon corps », proclame le poète.

Parmi les autres thèmes abordés dans le recueil, on citera pêle-mêle errances, saisons, mythologies, fugacités des souvenirs et, last but not least, Afrique qui a inspiré au poète quelques-uns de ses vers les plus poignants : « Sur le fleuve Congo, les jacinthes dérivent. / L'Afrique me fait mal qui nomme mon exil... ».

Difficile de conclure cette chronique poétique sans faire entendre et lire l'entrechoquement des mots et des rythmes sous la plume du poète. Voici les premières strophes d'un poème dédié à une disparue qui a beaucoup compté dans la vie de Jean Fanchette :

« Aveugle est le silence au feu des solitudes/ Et muette la nuit au guetteur des naufrages/L'enfance est loin, impossible à refaire/Et Dieu s'est retiré dans les hauteurs du ciel/Le temps s'estompe dans la mémoire grave des hommes.../Jamais plus la forêt des oiseaux ne picorera la chair drue de l'aurore/Jamais plus les rois Mages vieillissants ne me porteront leurs nostalgiques offrandes à l'auberge des étoiles,/Jamais plus.../Seuls les violons de l'Exil/Et la voix lointaine de ma mère derrière les collines de l'absence. »

Il faut prêter l'oreille, car dans ces vers, « les violons de l'exil » ne pleurent pas seulement la mère, ils rappellent aussi que la poésie demeure un absolu de la quête humaine, faisant écho à la citation de Jean-Marie Le Clézio dans sa riche préface à la nouvelle et quatrième édition de L'Ile Equinoxe.

L'Ile Equinoxe, par Jean Fanchette. Préface de J.M.G. Le Clézio et postface de Michel Deguy. Collection « Fugues ». Editions Philippe Rey. 222 pages, 9,90 euros.

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.