Un peu plus d'un an après les faits, le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme des Nations unies a rendu public, le 12 mai dernier, son rapport sur la meurtrière opération de l'armée malienne dans le delta intérieur du fleuve Niger, à Moura, précisément, du 27 au 31 mars 2022.
C'est une compilation de récits particulièrement glaçants, et pour le moins accablants pour les Forces armées maliennes, puisqu'elle fait état de plus de 500 morts en seulement 4 jours, tous décimés par balles et par petits groupes, à l'intérieur du village ou au bord du fleuve qui borde la bourgade.
Moura, faut-il le rappeler, est une agglomération densément peuplée et composée majoritairement de Peuls-rimaibés, située dans la région martyrisée de Mopti, qui est passée sous le contrôle de la Katiba Macina de Amadou Koufa dès le début de la crise sécuritaire au Mali en 2012.
Le lancement de cette opération d'envergure par les forces de défense et de sécurité maliennes appuyées, semble-t-il, par des mercenaires russes du groupe Wagner, visait justement à libérer le village en cassant les « couilles » des terroristes, mais force est de reconnaitre que cette mission a priori salvatrice, a viré au drame, d'autant que plusieurs centaines de civils innocents auraient été méthodiquement massacrés, simplement en raison de leur appartenance ethnique ou parce qu'ils arboraient la barbe ou des « pantalons courts » pour se conformer aux règles édictées par les djihadistes.
Selon le rapport de l'ONU qui provoque actuellement une poussée d'urticaire à Bamako, tous les témoignages recueillis auprès des victimes et corroborés par des sources crédibles, indiquent qu'il s'agit bien d'une expédition punitive de l'armée malienne et de ses supplétifs russes, qui a tourné au massacre méthodique de supposés complices des terroristes, en utilisant des hélicoptères de combat, des fusils d'assaut et des gaines électriques haute tension pour électrocuter les plus récalcitrants, sans oublier l'arme du viol dont ont été victimes plusieurs dizaines de femmes.
Les autorités maliennes doivent savoir que l'hystérisation verbale du débat sur ce désastre humain, ne saurait constituer pour elles une parade
Il s'agit, en clair, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité dont les auteurs sont passibles de poursuites devant la Cour pénale internationale (CPI), et ce rapport n'est que le prélude au grondement de tonnerre judiciaire qui risque de foudroyer les autorités actuelles de la Transition malienne.
La version de ces dernières sur le drame de Moura, est diamétralement opposée au narratif du Haut-Commissariat aux droits de l'Homme des Nations unies qu'elles qualifient de « fictif » et de « biaisé », puisqu'elle fait état de 203 combattants terroristes supprimés, au terme d'intenses combats au marché de bétail et à la périphérie du village.
Du côté de Bamako, on célèbre plutôt une victoire éclatante de l'armée à Moura qu'une « faune de pseudo-spécialistes du Sahel et de prétendus défenseurs des droits de l'Homme » veut ternir, en faisant passer le coupable pour la victime.
Le porte-parole du gouvernement malien, le colonel Abdoulaye Maïga, est d'autant plus ulcéré par le rapport des Nations unies, qu'il a annoncé l'ouverture d'une enquête, cette fois-ci, pour «espionnage, atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat » et pour « complot militaire », après avoir appris « avec stupeur » que la mission de Casques bleus déployée au Mali, a utilisé des satellites au-dessus de Moura pour obtenir des images de ce qui est supposé être la scène du crime, sans autorisation et à l'insu des autorités maliennes.
C'est donc un autre bras de fer en perspective entre le Mali et la communauté internationale, qui risque d'accentuer la pression sur Assimi Goita et son équipe, à quelques mois de la fin de leur mandat sans qu'on ne sache malheureusement, s'il permettra de connaître la vérité sur ce drame qui n'a pas d'antécédent ; aussi bien du point de vue de l'ampleur que de l'atrocité des actes, dans ce pays pourtant familier des tueries de masse.
La seule chose dont on est sûr, pour l'instant, c'est que la vérité se trouve entre les deux versions contradictoires. Car, si tous les morts et les mourants enregistrés dans le village-mouroir de Moura, ne sont pas des djihadistes, il n'en reste pas moins vrai que ces derniers y avaient pignon sur rue au moment des faits, d'autant que leur chef, Amadou Koufa, a reconnu lui-même avoir perdu une trentaine de combattants suite au siège du village par l'armée malienne.
D'autres « pantalons-courts » ont eu la vie sauve en faisant comme Toumba Diakité, qui n'a pas eu de scrupule à se servir des pieds que Dieu lui a donnés pour échapper à ceux qui étaient à ses trousses.
La découverte de caches d'armes dans certaines concessions, et l'éphémère résistance des djihadistes présents à la foire au moment de l'attaque du site par l'aviation malienne, prouvent à souhait qu'il n'y avait pas que des innocents dans la nasse comme semble le faire croire une certaine opinion, même si cela ne saurait justifier les tirs de rafales de façon indiscriminée sur toutes les silhouettes mouvantes, encore moins sur ceux qui ont été capturés pour délit de faciès.
Pour réparer les torts et panser les plaies ouvertes, les autorités maliennes doivent savoir que l'hystérisation verbale du débat sur ce désastre humain, ne saurait constituer pour elles une parade ou un bouclier contre d'éventuelles poursuites judiciaires.
C'est donc le moment ou jamais pour Assimi Goïta et les siens, de manifester leur bonne volonté de rendre justice aux victimes présumées, en ne faisant pas obstruction à l'enquête ouverte par le tribunal de Mopti au lendemain des faits, au risque de voir le procureur de la CPI, Karim Khan, débarquer sur les bords du Djoliba avec des mandats d'arrêt dûment émis à leur encontre.