Son oncle n'est autre que le légendaire Hamadi Agrebi. «Un monument du football national et un magicien sur le rectangle vert», souffle-t-il avec une fierté mal dissimulée.
Né le 24 octobre 1959 à Sfax, Hafedh Soudani, un des meilleurs régisseurs de sa génération, s'est engagé en 1970 pour le team Ecoles du Sfax Railways Sport. En 1978-79, il livre son premier match seniors SRS-OK (0-1), alors que le dernier a été SRS-ASK (4-1) n 1995-96. Avec toutefois une parenthèse entre 1984 et 1986 lorsqu'il passa au Club Sportif Sfaxien. De 1982 à 1984, H.Soudani a renforcé l'équipe nationale. Son palmarès comporte une finale de coupe de Tunisie 1978-79 EST-SRS (0-0), puis (3-2), et trois accessions en Division nationale. Reconverti entraîneur, cet ancien agent de la Sncft, père de trois enfants, a tour à tour conduit de 1996 à 2005 les jeunes du SRS et d'Al Ahly de Sfax.
Dites-nous pour commencer: est-ce vraiment un avantage d'avoir un oncle portant le nom de Hamadi Agrebi ?
Un avantage quand on a à choisir son chemin dans le foot. Un lourd fardeau quand on pense que l'on doit honorer cette filiation. Agrebi était un monument du football national et un magicien sur le rectangle vert. Avec Tarek Dhiab, il reste le meilleur footballeur tunisien de tous les temps. Capable de sortir des tours de magie incroyables, il a pratiqué le football dans sa plus belle expression, la plus noble aussi, celle d'un art comme tous les autres arts. Je dois avouer que j'ai eu la chance de voir le jour dans une famille sportive.
A quel niveau a pu évoluer cette lignée sportive ?
Cela commence par mon père Hassen, agent de police qui a honoré les couleurs jaune et noir du SRS avant de se reconvertir en arbitre. Il aimait l'Espérance de Tunis. Mais dès qu'il a été question de mon départ au Parc B, il opposa un véto ferme. Mon frère aîné Habib a porté les couleurs du SRS durant cinq bonnes saisons avant d'arrêter en raison d'une cascade de blessures (dont une, assez sérieuse à la mâchoire). Mes frères Naceur et Brahim ont évolué avec les jeunes du SRS, alors que l'autre frangin, Houcine, a fait partie de l'équipe fanion. En 1977-78, ma soeur Amina a été convoquée en sélection nationale féminine de volley-ball. Les joueurs du CSS, Mohamed et Abderrazak Soudani, sont mes cousins. Ils partageaient avec nous une même maison.
Avec votre frère Habib, il vous est arrivé une drôle de mésaventure au sein de la sélection juniors conduite en ce temps-là par Larbi Zouaoui et appelée à disputer la première coupe du monde de la catégorie organisée en 1977 par notre pays. Racontez-nous cette anecdote
L.Zouaoui me convoque pour faire le régisseur lors du Mondial, et c'est du domaine de l'ordinaire. Malheureusement, ce qui l'est beaucoup moins, c'est lorsqu'une grosse bourde commise par les services administratifs de la fédération fait que le nom de mon frère Habib, un avant-centre, soit inscrit sur la liste définitive des joueurs engagés au Mondial au lieu du mien. Conséquence: la Tunisie est contrainte de prendre part au Mondial privée d'un régisseur de métier, mon nom n'ayant pu être inscrit. Bien évidemment, la conséquence, c'est un énorme embarras que cette erreur occasionna en ce temps-là au staff technique.
Vous avez eu la chance d'évoluer dans les deux clubs phares de Sfax, le CSS et le SRS. Or, depuis bien longtemps, ce dernier manque à l'appel, et du coup, la capitale du Sud n'a plus son derby. Comment vit-elle ce manque ?
Croyez-moi, très très mal, car il manque un acteur de premier plan au foot sfaxien. La frustration est là. La nostalgie du bon vieux temps, aussi. Les supporters railwystes n'étaient certes pas aussi nombreux que ceux clubistes. Toutefois, les jours de derby, ils savaient mettre une ambiance de tonnerre sur les travées du stade Mhiri. Tout le monde vivait la fête, y compris les plus vieux. Je me rappelle que ma mère Halima, décédée en 2015, vibrait pour ce great-event. Mes six frères et quatre soeurs taquinaient nos cousins qui partageaient notre maison avec nous. Nous étions tous railwystes, alors qu'eux encourageaient les couleurs «noir et blanc». Vous voyez ce que cela peut bien donner !
Fait inédit, en 1982, le Sfax Railways Sport a failli condamner son voisin clubiste sfaxien à une relégation «historique»...
Après avoir concédé le nul devant l'Olympique de Béja, au Mhiri même lors de la dernière journée, les joueurs du CSS étaient restés sur la pelouse à attendre de connaître le résultat du match EST-SRS qui se jouait en même temps à El Menzah.
En effet, ils n'avaient plus leur destin entre les mains. Malheureusement, nous avons perdu (2-0) face à une Espérance pourtant diminuée.
Ce résultat nous condamnait irrémédiablement au purgatoire, et sauvait en même temps la peau du CSS qui l'a vraiment échappé belle. La veille de ce match décisif, c'était l'Aïd que nous avons dû passer en stage à Jebel El Oust.
Vous savez, l'argent, c'est le nerf de la guerre. Compte tenu de notre budget famélique, nous étions condamnés à faire le mouvement d'ascenseur: une saison en L1, la suivante en L2, et ainsi de suite. Ce n'était pas gai... Faute de bons recrutements, il est désormais impossible de bâtir un ensemble compétitif.
Cela fait des lustres, et la situation du SRS n'a pas changé d'un iota. C'est une interminable traversée du désert qu'il connait. Pourquoi ?
En plus des carences financières que je viens d'évoquer, il y a aussi un déficit de motivation.
De notre temps, presque tous les joueurs étaient embauchés par la société marraine, la Sncft. Ce n'est plus le cas maintenant.
Le président du club n'est plus l'enfant de la compagnie. Pourtant, il suffit de peu de choses pour revenir parmi l'élite: trois ou quatre bons recrutements.
Le SRS a souvent disputé le play-off de la L2, mais, à chaque fois, il butait sur ce cap.
C'est dire que son niveau n'est pas très loin des meilleurs de la L2.
Entre 1984 et 1986, vous passez de l'autre côté de la barrière, chez le frère ennemi du CSS. Ce transfert, avouez-le, n'a pas été une réussite totale, non ?
Les règlements des mutations obligeaient un joueur qui n'obtient pas le feu vert de son club à rester deux années inactif. Et cela m'a franchement pénalisé. Durant cette «pause forcée», j'ai pris du poids, passant de 67 à 77 kg. Pourtant, notre entraîneur, le Yougoslave Milor Popov, croyait beaucoup en moi.
Vous étiez à deux doigts de rejoindre l'Espérance Sportive de Tunis plutôt que le Club Sportif Sfaxien, n'est-ce pas ?
Tous les détails de ce transfert furent réglés par le président «sang et or» Naceur Knani et le dirigeant influent Ali Ourak. Mais c'était sans compter avec la volonté de mon oncle Hamadi Agrebi qui mit tout son poids pour convaincre mon père de ne pas me laisser partir à l'EST. De plus, mon club, le SRS, n'était disposé à me laisser partir que pour un seul club, le Club Olympique des Transports. Un accord entre les deux clubs des sociétés (la Sncft et la SNT) relevant du ministère des Transports veut que l'on privilégie le transfert en direction de l'un ou de l'autre.
Comment un bon régisseur, le poste que vous avez toujours occupé, doit-il être ?
C'est un régulateur doté de la faculté de hausser ou baisser le rythme du jeu en fonction de la tournure des événements, et d'éliminer l'adversaire par le dribble afin de créer le surnombre dans la surface adverse. Il doit posséder une bonne frappe et l'habileté de servir ses attaquants dans les meilleures conditions.
Quelles qualités et quels défauts vous reconnaissait-on ?
Je possédais une belle conduite de balle et ce qu'on appelle une vision du jeu, ce qui me permettait de trouver la meilleure solution et de servir le partenaire le mieux placé. Me déposséder du ballon, ce n'était jamais facile. Toutefois, ma frappe n'était pas terrible, ce qui ne m'empêcha pas d'inscrire près de 70 buts tout au long de ma carrière. Dès ma première saison, je totalisais déjà sept réalisations. Pour un milieu de terrain, ce n'était pas mal, non ? En fait, je devais me consacrer aux tâches offensives. «Le reste, c'est-à-dire les obligations défensives, on s'en charge», me répétaient, rassurants, mes partenaires de la défense Ellouze et Lejmi.
Parmi ces 70 buts inscrits, lequel vous a marqué le plus ?
Deux buts, en fait. Celui réussi face à Naceur Chouchène en finale de la coupe de Tunisie 1978-79 (deuxième édition). Constatant que le keeper «sang et or» sortait à ma rencontre, je changeais de décision au dernier moment. Au lieu d'une frappe puissante, j'ai préféré un lob côté premier poteau. Il y a également le but d'une magnifique volée suite, à un renvoi d'un corner par le gardien du CSHL, Sahbi Sebaï, dans un match de coupe conclu par un nul (2-2).
Quel est votre meilleur souvenir sportif ?
Notre retour en D1 après les barrages remportés face au Club Sportif d'Hammam-Lif (1-0, 1-2). Il y a également la finale de la coupe de Tunisie 1978-79. Pourtant, c'est l'Espérance de Tunis qui a eu le dernier mot au bout de deux éditions très accrochées (0-0, puis 3-2 pour les «Sang et Or»). Mais il faut avouer que nous revenions de loin. La semaine précédant la finale, nous avions besoin d'un nul face à l'EST pour assurer notre maintien. Et ce fut la parité (1-1). Il est clair que les Tunisois nous ont pris à la légère; ils partaient sûrs de leur triomphe en coupe. Ils faillirent le payer cher, notamment sur les quelques opportunités sur des contres menés en toute fin de match dont nous avons bénéficié. Après une première manche équilibrée (0-0), il a fallu jouer une deuxième édition qui a rétabli la logique, l'EST forçant son destin (3-2).
De qui se composait le SRS de l'époque ?
Les places étaient chères, car les joueurs talentueux ne manquaient pas. Hasnaoui, Talbi et mon frère Habib ont débarqué ensemble parmi les seniors. Ils ont trouvé les Samti, Lejmi, Khcharem, Habib Bousarsar, Ben Tahar, Mechri. Ainsi, dans cette finale de coupe, notre entraîneur Habib Masmoudi a aligné le team suivant: Ahmed Zayani- Ridha Ellouze, Mabrouk Hasnaoui, Mokhtar Talbi, Saïd Bouraoui- Ezeddine Lejmi, Mustapha Sassi (puis Habib Soudani), Youssef Jerbi, Hafedh Soudani- Mehdi Mechri (puis Abderrazak Chayeh) et Habib Bousarsar. Lors du remake, Nouri Hafsi, Jomâa Khecharem, Habib Soudani et Lotfi Chaâbane ont remplacé Talbi, Sassi, Mechri et Bousarsar.
Trouver une place en sélection nationale n'était pas facile, non ?
Ah oui. Et cela l'était à tel point que le sélectionneur polonais Rizard Kulesza renonça à m'aligner dans le troisième match de la coupe d'Afrique des nations 1982, en Libye. Après avoir fait match nul face au Cameroun (1-1), et perdu (2-0) contre la Libye, la rencontre face au Ghana perdue (1-0) se révélait une simple formalité, et notre sélectionneur voulut donner du temps de jeu aux remplaçants.
Contre toute attente, Kulesza me laissa sur le banc ce jour-là aussi. Comme un signe, une fatalité qui veut que je ne joue aucun match officiel avec la sélection «A». Durant toute ma carrière internationale, j'ai dû me contenter de trois sorties amicales contre les Emirats, l'Algérie et le Cameroun de Milla et Nkono.... Il s'est produit une cassure puisque, aussi bien avec les juniors coachés par Zouheir Karoui, Moncef Melliti et Larbi Zouaoui qu'avec les Espoirs conduits par Mokhtar Ben Nacef, j'ai toujours été titulaire.
A propos, quels furent vos entraîneurs ?
Habib Masmoudi, le bâtisseur du SRS des années 1970-80, Ahmed Ammar, Stéphane Gamboz, Faouzi Benzarti, Mokhtar Tlili, Moncef Melliti, Mabrouk Samet, Hamza Mrad, Mohamed Harzallah, Ivan Klotchev, Ezeddine Lejmi, Abderrahmane Rahmouni, Ryadh Charfi, Moncef Arfaoui, Mabrouk Samet et Youssef Jerbi.
Le SRS où vous avez évolué n'a pas pu égaler celui de la fin des années 1960, champion de Tunisie et finaliste de la coupe en 1968...
Egaler le Railways des Romdhane Toumi, Ezeddine Chakroun, Amor Madhi, Bousarsar, Nefzaoui, Hafsi, Fendri... n'était pas une tâche aisée. Cette génération dorée a placé la barre très haut. Nous avons tenté de nous en rapprocher autant que possible.
Tout jeune, quelles étaient vos idoles?
D'abord, le génial Romdhane Toumi. Nous allions au stade Ceccaldi savourer ses corners qui terminaient leur course dans les filets, ses coups francs et ses ouvertures durant les séances d'entraînement. Un vrai régal. Au même titre que le plaisir éprouvé lorsqu'on regarde Agrebi sur un terrain. A l'étranger, mes idoles étaient Cruijff, Pelé et Maradona.
Est-il si difficile de concilier sport et études ?
Oui, surtout dans un régime professionnel. De notre temps, seul Mehdi Mechri a réussi à aller jusqu'au bout de son cursus universitaire. Lors de nos déplacements, que ce soit dans le bus ou à l'hôtel lors des mises au vert, il n'était pas rare de le voir plongé dans la révision de ses cours.
Tout compte fait, que vous a donné le football ?
Tout: le boulot, la santé, la notoriété. Dieu merci, je n'ai pas contracté une grave blessure durant une longue carrière. La reconversion a été réussie. Les anciens du club, Bousarsar en tête, nous prévenaient toujours contre les difficultés de la reconversion survenant après une carrière qui passe très vite. Néanmoins, il m'a fallu lui être fidèle jusqu'au bout des ongles en me privant de beaucoup de choses. Des sacrifices, il en faut pour réussir dans la vie. J'ai fait 17 ans de carrière au plus haut niveau. Cette longévité a fait dire un jour au Marsois Oueslati: «Hafedh, on dirait que vous preniez tous les âges possibles, car je vous connais dans le foot depuis la catégorie Ecoles !».
Parlez-nous de votre famille
J'ai épousé Naïla en 1989. Nous avons trois enfants: Houssam, Prof de sport et entraîneur, Khouloud, agent pharmaceutique, et Halima, étudiante.
Quels sont vos hobbies ?
Des matches sixtes avec les amis Ben Younès, Ayadi, Chaâbani, Ghidaoui... A la télé, je regarde les plateaux politiques, tous les sports et les sitcoms Choufli Hal et Nsibti Laâziza.
A votre avis, la Tunisie est-elle sur le bon chemin ?
Ne nous voilons pas la face: l'économie est à genoux. Il faut faire preuve de patriotisme, arrêter de faire la grève et bosser pour tirer le pays du fond du trou.
Enfin, si vous n'étiez pas dans le foot, quel autre domaine auriez-vous aimé exercer ?
Je ne me vois nullement dans une activité autre que le foot qui m'a permis d'abréger les délais de mon insertion professionnelle à la Sncft que j'ai rejointe en 1979, à l'âge de vingt ans. Tout jeune, en allant à l'école ou pour faire des emplettes, j'avais toujours entre les jambes un ballon accroché au cou par un fil. Hiver comme été, le ballon ressemblait pour ainsi dire à une ombre qui m'accompagne là où je passe.